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Élections irakiennes : un scrutin qui pourrait changer le paysage politique du pays

Malgré leurs failles, les élections de 2021 pourraient revêtir une grande importance si les forces du mouvement de protestation parviennent à convaincre les jeunes Irakiens de se joindre à la politique institutionnelle
Un homme trempe son doigt dans l’encre après avoir voté dans un bureau de vote à Bagdad, capitale de l’Irak, à l’occasion des élections législatives anticipées, le 10 octobre 2021 (AFP)
Un homme trempe son doigt dans l’encre après avoir voté dans un bureau de vote à Bagdad, capitale de l’Irak, à l’occasion des élections législatives anticipées, le 10 octobre 2021 (AFP)

Les élections anticipées qui se sont tenues cette semaine en Irak n’ont pas réservé de grandes surprises. Le faible taux de participation attendu s’est traduit par des gains électoraux pour les partis au pouvoir, dont les partisans ont afflué vers les bureaux de vote pour faire entendre leur voix.

Le nouveau Parlement sera encore plus fragmenté que le précédent

Le bloc du leader irakien Moqtada al-Sadr, fort d’une machine politique huilée et d’une base disciplinée, est ressorti comme le grand gagnant avec environ 73 sièges selon les résultats non officiels.

Deuxième, l’alliance Taqadum (« Progrès »), dirigée par l’actuel président du Parlement Mohammed al-Halbousi, arrive loin derrière avec 43 sièges. La Coalition de l’État de droit, dirigée par l’ancien Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, pointe en troisième position avec 37 sièges.

Les trois gagnants appartiennent à la classe politique au pouvoir. Le scrutin s’est principalement limité à un remaniement des votes parmi les anciens acteurs et n’a pas apporté de « changement », raison principale pour laquelle des élections anticipées avaient été réclamées en premier lieu.

Un Parlement fragmenté

Sur la base de ces résultats, le nouveau Parlement sera encore plus fragmenté que le précédent, ce qui permettra à la « vieille politique » de partage rétif du pouvoir de dominer encore une fois.

Ceci pourrait donner lieu à un processus difficile voire interminable de formation d’un gouvernement, lors duquel on invoquerait la très critiquée « répartition des postes ministériels » en fonction du poids parlementaire de chaque bloc politique, où les intérêts des partis priment sur ceux de la nation.

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De plus, un Parlement fragmenté se traduira par un processus décisionnel inefficace et frustrant qui devra tenir compte des intérêts très différents et parfois irréconciliables de nombreux acteurs politiques.

Compte tenu du faible taux de participation, les élections de dimanche n’ont pas permis de résoudre la question majeure de la légitimité du régime, sérieusement mise à mal auprès des Irakiens ordinaires.

Une participation significative était importante pour restaurer la légitimité de l’ordre politique post-2003, largement discrédité aux yeux de la majorité des Irakiens, excédés par la partisanerie restrictive et la corruption qui le caractérisent.

Ces élections anticipées, organisées selon une loi électorale améliorée et plus souple qui ne favorise pas les grands partis comme le faisait l’ancienne loi, étaient la principale « concession » que la classe politique était prête à faire pour impliquer les Irakiens mécontents, après six mois d’un mouvement de protestation massif qui a gagné la sympathie de l’ensemble du pays.

La Haute commission électorale indépendante (HCEI), l’organe irakien chargé d’organiser les élections, a annoncé que 41 % des électeurs – soit neuf millions sur les 22 millions inscrits – ont participé au scrutin de dimanche, un chiffre vivement contesté par les analystes et les boycotteurs.

Certaines forces politiques ont accusé le HCEI de gonfler les statistiques : elles estiment que le véritable chiffre devrait être de 34 % sur environ 27 millions d’électeurs éligibles, en tenant compte des cinq millions d’Irakiens ayant refusé de s’inscrire sur les listes électorales.

Certains contestent même le fait que neuf millions d’électeurs aient réellement voté, étant donné que les rues étaient pratiquement vides dans la majeure partie du pays le jour du scrutin.

Les principaux enseignements

Il y a trois enseignements à tirer de ces élections. Le premier concerne la transparence du vote. Les améliorations techniques apportées aux machines à voter, la poursuite de l’informatisation du processus de vote, la qualité et la protection améliorées des cartes d’électeur ainsi que l’annonce rapide des résultats (dans les 24 heures suivant le vote) réduisent le risque de fraude.

Malgré la réaction négative au résultat du bloc pro-iranien Fatah, les nouvelles mesures visant à renforcer la transparence du scrutin devraient contribuer à restaurer la crédibilité des élections aux yeux de nombreux Irakiens sceptiques.

Le juge Jalil Adnan Khalaf, président de la Haute Commission électorale indépendante irakienne, s’exprime à Bagdad, le 11 octobre 2021 (AFP)
Le juge Jalil Adnan Khalaf, président de la Haute Commission électorale indépendante irakienne, s’exprime à Bagdad, le 11 octobre 2021 (AFP)

Le deuxième enseignement est le sang neuf apporté au corps politique irakien, avec l’entrée d’« outsiders » dans le jeu politique par le biais d’un mandat populaire, et non à l’aide des pratiques clientélistes habituelles des partis.

En dépit des obstacles qui se sont dressés contre eux, notamment le manque de ressources, une faible expérience en matière de campagnes et un boycott populaire qui a compromis leurs chances, les nouveaux partis issus du mouvement de protestation et les candidats indépendants favorables à ce dernier sont parvenus à remporter environ 35 sièges.

Si ces vainqueurs parviennent à former un bloc d’opposition parlementaire cohérent qui ne se laissera pas entraîner dans des accords entachés de corruption et des alliances louches, la politique irakienne pourra s’ouvrir et connaître une évolution positive en suivant les préoccupations de la population, loin de l’emprise exclusiviste et égoïste des vieux partis.

Les mauvais résultats électoraux du bloc Fatah se traduiront probablement par un effort plus poussé de l’État pour contenir les groupes armés pro-iraniens

Le troisième enseignement est la disparition électorale des forces pro-iraniennes. Le bloc Fatah, une alliance politique conservatrice sur le plan religieux qui rassemble des milices chiites et des petits partis qui défendent la cause de l’« axe de la résistance » et de l’antiaméricanisme, n’a remporté que 14 sièges, contre 47 aux élections de 2018.

En réaction, son dirigeant Hadi al-Ameri a dénoncé un résultat « inventé », tandis qu’une faction de milice a brandi la menace d’une action violente. En réalité, l’alliance a perdu une grande partie de son aura héroïque auprès de la population chiite paupérisée, qui ne croit plus à son statut de « pourfendeur de l’État islamique » et « nouvel acteur politique » irréprochable.

Les mauvais résultats électoraux du bloc Fatah se traduiront probablement par un effort plus poussé de l’État pour contenir les groupes armés pro-iraniens qui œuvrent au sein ou en dehors des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi) officielles. Dans son discours de victoire après l’annonce des résultats non officiels des élections, Moqtada al-Sadr s’est montré clair sur ce point.

Voie révolutionnaire et outils parlementaires

Une fois l’euphorie des gagnants et la déception des perdants dissipées, le mouvement de protestation devra se pencher sur la question cruciale du long terme. Pour forcer le changement, ils devront choisir entre la voie révolutionnaire alimentée par l’action de rue, qui revêt actuellement un attrait majeur parmi les manifestants, et les outils institutionnels actuels que sont la formation de partis, les élections et les méthodes parlementaires.

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L’argumentaire des boycotteurs contre la participation au scrutin repose en grande partie sur l’hypothèse communément admise selon laquelle un vote transparent est impossible et, par conséquent, les manifestants et leur programme n’entreront jamais au Parlement. Ainsi, ils voient un mouvement de protestation massif et décisif dans la rue comme la seule voie possible.

La réponse à cette question réside dans la manière dont les dizaines de nouveaux députés favorables au mouvement de protestation s’organiseront au Parlement pour se démarquer des pratiques regrettables qui ont entaché les partis au pouvoir au cours des seize dernières années.

S’ils proposent un modèle positif de travail parlementaire qui pourra convaincre les jeunes manifestants en colère de canaliser leur énergie vers une politique institutionnelle plutôt que vers des scénarios révolutionnaires de changement de régime induits par le pouvoir de la rue, le scrutin de dimanche aura été très utile malgré ses nombreuses failles.

- Akeel Abbas est un universitaire et journaliste irakien. Il est titulaire d’un doctorat en études culturelles de l’Université Purdue.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Akeel Abbas is an Iraqi academic and journalist. He holds a PhD in cultural studies from Purdue University
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