Élection présidentielle en Iran : la tâche risque d’être ardue pour les réformistes
Si l’élection présidentielle iranienne est fixée au 18 juin 2021, le débat sur les possibles candidats a commencé dès le mois de mai 2019, lorsque le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a tracé les lignes indiquant la direction que devraient prendre les prochaines élections. S’adressant à un groupe d’étudiants universitaires, il a déclaré : « Si vous, les jeunes […] préparez le terrain pour la formation d’un gouvernement jeune et pieux, vos soucis prendront fin, et ces soucis ne sont pas les vôtres uniquement. »
L’alliance des réformistes et des modérés iraniens a peu de chances de remporter l’élection présidentielle de 2021, et ce pour trois raisons. L’une d’elles a été évoquée par l’ancien président Mohammad Khatami, ancien chef spirituel du mouvement réformiste iranien, qui a demandé dans un discours en mars 2019 : « Pensez-vous que les gens nous écouteront à nouveau et participeront aux prochaines élections ? »
Catastrophe économique
Premièrement, le président modéré soutenu par les réformistes, Hassan Rohani, a presque complètement échoué à mettre en œuvre les réformes économiques et sociales qu’il avait promises, et qui étaient au cœur de ses campagnes électorales en 2013 et 2017. L’inflation est endémique, le chômage est élevé et la monnaie nationale, le rial, en chute libre.
Selon le Fonds monétaire international, le taux d’inflation est de 34,2 % et le chômage de 16,3 %. Mais il y a un hic : la méthodologie de l’Iran pour estimer le nombre de personnes qui travaillent consiste à compter une heure de travail par semaine comme équivalent à un emploi.
En 2013, année de la prise de fonction de Rohani, un dollar américain pouvait être échangé contre 30 000 rials. En 2020, il faut 300 000 rials pour obtenir un dollar, un record.
Qui est responsable de la mauvaise situation économique de l’Iran – ou quoi – est sujet à débat. Il est juste de dire toutefois qu’une combinaison de facteurs y a contribué, notamment l’inefficacité de l’administration Rohani, le manque de volonté du gouvernement à lutter contre les injustices et les inégalités sociales et économiques, la corruption généralisée, le modèle théocratique de gouvernement qui fait que le guide suprême est impliqué dans tous les aspects de la vie, sapant l’autorité du gouvernement, le régime américain de sanctions et la pandémie de COVID-19.
Aux yeux des électeurs, cependant, l’alliance des réformistes et des modérés n’a pas tenu ses promesses.
Dans ce contexte, l’éminent analyste réformiste Sadegh Zibakalam a reconnu que « les gens ne voter[aient] plus pour les réformistes ». Selon lui, quel que soit le candidat réformiste, ce camp « n’a aucune chance » lors des prochaines élections compte tenu du bilan de Rohani.
Les radicaux consolident leur pouvoir
Deuxièmement, le frère et conseiller de Rohani a été condamné l’année dernière à cinq ans de prison pour corruption, et Mohammad Ali Najafi, une figure réformiste de premier plan, a été reconnu coupable du meurtre de sa femme. Ces deux incidents ont gravement nui à la crédibilité des réformistes et des modérés, qui étaient perçus comme des gens biens par des millions de citadins de la classe moyenne fermement opposés aux conservateurs.
Troisièmement, un candidat modéré/réformiste a peu de chances de devenir le prochain président de l’Iran parce que le Conseil des gardiens, un organe ultra-conservateur chargé d’examiner les candidatures potentielles, disqualifiera très probablement les candidats les plus en vue de ce camp, comme il l’a fait avant les élections législatives de février. Cette décision a été en partie responsable du taux de participation électorale le plus bas qu’ait connu le pays depuis la révolution de 1979.
Les récentes élections ont montré que les radicaux privilégiaient leur consolidation du pouvoir à la participation électorale
Bien que le taux de participation ait été traditionnellement considéré comme un moyen pour le système iranien de prouver sa légitimité tant sur le plan national qu’international, les récentes élections ont montré que les radicaux privilégiaient leur consolidation du pouvoir à la participation électorale.
Fait intéressant, depuis qu’il est devenu le guide suprême, Khamenei a vu quatre présidents se succéder, aucun aligné sur ses positions. Même Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), qui lors de son premier mandat semblait suivre le guide, a publiquement rompu avec Khamenei sur un certain nombre de questions lors de son deuxième mandat – au point qu’il a été disqualifié lors de la présidentielle de 2017.
Parmi ces quatre présidents, Akbar Hachemi Rafsandjani et Hassan Rohani, tous deux du camp modéré, et Mohammad Khatami, le chef de facto du mouvement réformiste, pensaient que l’interaction avec les États-Unis était non seulement possible, mais dans le meilleur intérêt de la nation.
Or à chaque occasion, la faction dure dirigée par Khamenei a torpillé le rapprochement américano-iranien et qualifié ceux qui soutenaient les pourparlers directs avec les États-Unis d’« ignorants » ou de « traîtres ». Dans ce contexte, le président américain Donald Trump a retiré les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018, fournissant à Khamenei et à ses partisans une puissante justification de leur radicalisme.
Candidats réformistes potentiels
Parmi les candidats réformistes les mieux positionnés pour l’élection présidentielle de 2021, mentionnons Mohammad Reza Aref, président de la faction pro-réforme Espoir au sein de la dernière législation ; Eshaq Djahanguiri, actuel premier vice-président de Rohani ; Hassan Khomeini, le petit-fils le plus éminent de Rouhollah Khomeini, leader de la révolution islamique ; Ali Motahari, ancien vice-président du Parlement et conservateur social aux opinions politiques réformistes, qui a été disqualifié lors des récentes élections parlementaires ; Mohammad Reza Khatami, ancien vice-président du Parlement et frère de l’ancien président réformiste Mohammad Khatami ; et Mostafa Moïn, un politicien réformiste de haut rang qui a officié en tant que ministre et député.
Alors que la plupart seront probablement rejetés par le Conseil des gardiens, le camp réformiste soutient que la disqualification de leurs candidats remet en question la légitimité des élections, discréditant davantage leurs rivaux. Selon les rumeurs, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif entrerait également dans la course, bien qu’il ait indiqué le contraire.
Cela dit, ce camp pourrait soutenir un poids lourd conservateur devenu modéré, qui semble se rapprocher de plus en plus de ces derniers, et avec qui les réformistes n’ont pas de relations tendues : l’ancien président du Parlement Ali Larijani.
Selon certaines informations, Larijani a posé comme condition pour se présenter le fait d’être soutenu également par les conservateurs ou, comme le disent certains rapports, par les « bons traditionalistes ». Sans le hochement de tête de Khamenei, il est peu probable toutefois qu’un consensus entre les conservateurs (également connus sous le nom de principalistes) existe concernant leur représentation par Larijani.
Candidats conservateurs potentiels
Selon un haut responsable conservateur principaliste, ces derniers ont une liste de quinze candidats potentiels, parmi lesquels cinq personnalités de l’armée. Il soutient que le résultat des élections américaines aura un impact significatif sur les décisions relatives au choix des candidats de cette faction. Si Trump est réélu, ils se tourneront très probablement vers un homme de l’armée en harmonie avec leurs idées et celles du guide suprême.
Mohammad Bagher Ghalibaf, ancien commandant du corps des Gardiens de la révolution (GRI ou Pasdaran), ancien maire de Téhéran et actuel président du Parlement, qui fait face à une multitude d’allégations de corruption financière, est l’un des candidats potentiels de cette faction. Il est obéissant et bénéficie du soutien sans faille de Khamenei. Il s’est déjà présenté trois fois à la présidence.
Parmi les autres candidats potentiels de cette faction figurent le politicien d’extrême droite Saïd Jalili, ancien secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale et ancien négociateur sur le nucléaire ; Ebrahim Raïssi, actuel juge suprême et futur dirigeant potentiel de l’Iran après Khamenei, vaincu par Rohani en 2017 ; Mohsen Rezaï, ancien commandant des GRI, actuel secrétaire du Conseil de discernement et trois fois candidat à la présidence ; Parviz Fattah, ancien membre des GRI et actuel chef de la Fondation Mostazafan ; Ali Shamkhani, général deux étoiles et actuel secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale ; et Mehrdad Bazrpash, ancien député et actuel chef de la Cour suprême des comptes – un homme controversé de 40 ans qui fait face à des allégations de corruption.
Des personnalités dont on devrait entendre parler dans les mois à venir
Deux personnalités liées à l’armée attirent particulièrement l’attention ces jours-ci : Hossein Dehghan, 63 ans, ancien officier de l’armée de l’air des Gardiens de la révolution et ancien ministre de la Défense ; et Saïd Mohammad, commandant de Khatam al-Anbiya Construction Headquarters, un gigantesque conglomérat contrôlé par les Pasdaran.
En tant que principale branche d’ingénierie des GRI et plus grand entrepreneur iranien dans le secteur industriel et du développement, Khatam al-Anbiya a mis en œuvre et a sous contrat des projets de plusieurs milliards de dollars dans les domaines de la construction de barrages, des systèmes d’approvisionnement en eau, de l’agriculture, des autoroutes, de la pétrochimie et plus encore.
Saïd Mohammad, 52 ans, qui dirige avec succès Khatam al-Anbiya, ne porte pas d’uniforme militaire et répond clairement à la définition de Khamenei de jeune révolutionnaire dévoué à même de prendre en charge la présidence. Certains soutiennent que si Trump est élu, on en entendra davantage parler.
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste freelance irano-canadien qui écrit principalement sur la politique nationale et étrangère de l’Iran. Il est également le coauteur de l’ouvrage Iran and the United States : An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace, publié en mai 2014.
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Traduit de l’anglais (original).
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