Iran : même disqualifié, Ahmadinejad exerce toujours une grande influence
Ces élections présidentielles iraniennes, qui se présentaient sous un jour relativement aseptisé, ont été radicalement brouillées par la déclaration, mi-avril, de Mahmoud Ahmadinejad.
La décision de l’ancien président d’entrer dans la course fut une provocation frontale contre le guide, l’ayatollah Ali Khamenei, qui, en septembre dernier, lui a déconseillé de se présenter aux élections prévues le 19 mai.
Ahmadinejad essaie de se forger un avenir politique en se présentant comme la troisième force de la vie politique iranienne
Plutôt qu’une tentative sérieuse de remporter les élections, son initiative a été largement perçue comme une manœuvre politique destinée à faire des remous. Et malgré ses huit ans de présidence, Ahmadinejad n’a pas obtenu l’approbation du Conseil des gardiens de la révolution, juridiquement indispensable à tout candidat pour avoir le droit de se présenter.
Si le combattif Ahmadinejad avait reçu le feu vert, il aurait radicalisé les positions de tous les bords et fait peser une menace crédible sur le président sortant, Hassan Rohani.
Faiblesse systémique
Cette entrée fracassante d’Ahmadinejad a toutefois trahi les plus graves faiblesses du système électoral iranien.
Si, à chaque cycle d’élections, les campagnes recourent à des méthodes de plus en plus sophistiquées, le système sous-jacent entrave l’adoption d’une approche plus disciplinée pour postuler à la candidature.
De fait, en l’absence de partis forts et établis, la phase initiale des élections, à savoir l’enregistrement des candidatures laisse une grande part au hasard, voire s’avère même, dans certains cas, totalement absurde.
Le ticket d’entrée est si bon marché que des centaines de citoyens lambda, sans assise politique, se précipitent pour devenir candidats. Évidemment, ils sont par la suite tous disqualifiés par le Conseil des gardiens.
Un système aussi chaotique convient parfaitement, bien sûr, aux agitateurs politiques de la trempe d’Ahmadinejad, bien décidé à provoquer les pouvoirs en place. Plus largement, il plaît à un électorat qui n’aime rien tant que créer la surprise dans les urnes.
Plutôt qu’un mécanisme soigneusement élaboré, c’est la culture politique du pays qui est à l’origine des particularités du système électoral iranien. Effectivement, aucun obstacle institutionnel insurmontable n’empêche les gens de s’organiser en formations politiques sérieuses.
Pourtant, les partis politiques existants, toujours faibles, présentent des protocoles mal définis et des hiérarchies plutôt déconnectées des couches populaires qu’elles sont censées représenter. Lors de chaque cycle électoral, on voit plutôt émerger des mouvements improvisés qui galvanisent les partisans d’un bout à l’autre de l’échiquier politique – des réformistes aux conservateurs.
Un moyen de provoquer les pouvoirs en place
C’est dans ce contexte chaotique qu’a débarqué Ahmadinejad. On s’attendait certes depuis longtemps à un éclat de l’ancien président lors des élections, mais pas aussi frontalement : rares étaient ceux qui croyaient qu’il oserait désobéir à l’ayatollah Khamenei. On pensait généralement qu’il se contenterait de brouiller la donne par l’intermédiaire de son protégé, Hamid Baghaei, également candidat.
Sans surprise, Ahmadinejad avait déclaré n’avoir aucune autre intention que de soutenir Baghaei, revendication apparemment crédible, puisqu’ils faisaient campagne ensemble – dernièrement auprès des tribus de Bakhtiari, influentes au sud-ouest de l’Iran.
On observe d’ailleurs que le bras droit d’Ahmadinejad, le très controversé Esfandiar Rahim Mashaei, s’affiche presque toujours en compagnie des deux candidats, donnant donc l’impression qu’ils dirigent un mouvement électoral organisé, fort d’un pouvoir avec qui compter.
Vu le mépris qu’affiche le pouvoir pour ces candidats, qualifiés de « courant déviant », il n’est pas étonnant que Baghaei lui-même n’ait pas été approuvé par le Conseil des gardiens.
À ce stade, voici la question clé : qu’ont espéré gagner Ahmadinejad et son cercle rapproché en provoquant le système ? Ils avaient sans doute des motivations diverses. Ahmadinejad jouit d’un fort soutien populaire, signe d’une réelle demande politique en sa faveur afin de compenser l’influence d’autres forces politiques.
Domaine des élections
Plus globalement, le paysage électoral permet de préciser la motivation d’Ahmadinejad. Conformément à une tradition remontant à 1981, on s’attend généralement à ce que le président en exercice, Rohani – un centriste –, obtienne un second mandat.
Jusqu’à présent, Ebrahim Raïssi a le rôle du challenger le plus puissant, le plus crédible : c’est le gardien du mausolée de l’imam Reza, à Mashhad, et par extension, de l’immense empire commercial afférent. Il n’y a pas si longtemps, un allié proche de l’ayatollah Khamenei, Raïssi, était censé incarner son successeur potentiel.
Si les conservateurs ne sont pas au pouvoir depuis 1989, c’est en partie du fait de leurs dissensions internes et de leur incapacité à se rassembler autour d’un candidat consensuel. Reste d’ailleurs à voir si Raïssi est en mesure de cristalliser un consensus conservateur solide d’ici les élections.
Le paysage électoral global n’est guère prometteur pour les autres rivaux de Rohani, dont des poids légers, comme le maire de Téhéran, Mohammad Bagher Ghalibaf, lui aussi candidat en 2013.
Lors de la dernière course présidentielle, en juin 2013, il avait obtenu un peu plus de 16 % des voix et la place de lointain second. Il ne fera probablement guère mieux cette fois-ci.
Totalement désavoués par le système conservateur, Ahmadinejad et son cercle rapproché peuvent être classés « non-conformistes principalistes ». Au sein de la République islamique, le courant principaliste (Osoolgera, en farsi) passe généralement pour un prolongement des conservateurs, en dépit d’importantes différences politiques et d’attitudes entre les deux.
Plus principaliste que conservateur convaincu, Ebrahim Raïssi est un cas d’école de candidat à pollinisation croisée. En effet, l’organisation politique impromptue qu’il représente – le Front populaire des forces de la révolution islamique – créée fin 2016, séduit les tenants du principalisme radical plus que ceux du conservatisme.
Au niveau national, les conservateurs/principalistes s’opposent à une large coalition réformiste et centriste – relativement bien soudée, néanmoins. Depuis 1997, c’est autour de ce clivage que se décide la politique iranienne : on estime généralement en effet que la présidence d’Ahmadinejad (2005-2013) fut une aberration, surtout son deuxième mandat.
Ahmadinejad essaie de se forger un avenir politique en tant que troisième force de la vie politique iranienne. Il représente un mouvement principaliste qui se distingue distinctement des autres conservateurs et même d’autres factions minoritaires principalistes. Si, comme on s’y attendait, Baghaei et lui ont été disqualifiés de la course cette année, Ahmadinejad espère susciter un soutien politique suffisamment crédible pour avoir des chances lors des futures élections.
Reste à savoir si le système iranien acceptera de coopter ce mouvement insurgé, et si oui, dans quelle mesure.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : au QG électoral du ministère de l’Intérieur, l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad (au centre) fait un rapide signe de la victoire, tandis que les candidats commencent à postuler à la candidature aux prochaines élections présidentielles à Téhéran, le 12 avril 2017.
Traduit de l'anglais (original) par Dominique Macabies.
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