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Pour les Palestiniens, la campagne de vaccination exceptionnelle d’Israël expose l’apartheid au temps du COVID-19

La campagne de vaccination menée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui vise à conforter ses perspectives de réélection, laisse des millions de Palestiniens sans protection
Une soignante montre une dose du vaccin contre le COVID-19 à Herzliya, en Israël, le 21 décembre (AFP)

Les médias internationaux s’émerveillent devant le déploiement par Israël du vaccin contre le COVID-19 : près d’un million de personnes ont été vaccinées au cours des deux dernières semaines. Israël prévoit de doubler ce nombre d’ici la fin janvier. Effectivement, c’est un succès. Toutefois, cela ne devrait pas occulter d’autres aspects, troublants, à la fois de la campagne de vaccination et de la crise de santé publique qui l’a précédée.

Israël a été lourdement touché par la pandémie, se classant 32e en nombre de cas au monde et parmi les 60 pays avec le taux de mortalité le plus élevé. L’approche israélienne en matière de santé publique s’est avérée grandement dysfonctionnelle, avec une succession de confinements, déconfinements et reconfinements. 

La communauté juive ultra-orthodoxe s’est en grande partie opposée aux mesures édictées par le gouvernement et a connu un taux extrêmement élevé de contamination. Le dépistage des communautés palestiniennes était aléatoire. L’Autorité palestinienne (AP) disposait de bien moins de ressources pour gérer la crise, les gens ont principalement été laissés livrés à eux-mêmes.

D’un extrême à l’autre

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou semble être passé sans cesse d’un extrême à l’autre dans son approche de la pandémie. Plusieurs hauts responsables de la santé publique et un ministre ont démissionné. Les PME se sont rebellées contre les restrictions mettant en péril leur survie et des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour manifester à la fois contre l’approche du gouvernement et le procès à venir du Premier ministre pour corruption.

Dans la lutte contre le COVID-19, le gouvernement s’est replié sur les traditionnels protocoles de sécurité et de surveillance qu’il privilégie lorsqu’il combat une force hostile. Il a embarqué le Shin bet, le service de sécurité intérieure israélien, qui a utilisé un outil de surveillance de masse reposant sur le suivi des appareils électroniques et des communications des Israéliens afin de traquer les cas de coronavirus. Les défenseurs du droit à la vie privée ont protesté contre cette atteinte aux droits des citoyens.

Bien qu’Israël soit la puissance occupante en Cisjordanie et à Gaza et qu’en tant que telle, il est responsable de la population palestinienne, il s’en lave les mains

La célèbre entreprise de cybersécurité israélienne NSO Group a développé sa propre application de tracking et l’a vendue à plusieurs pays. Elle aussi a envahi la vie privée. Lors d’une démonstration à la presse pour présenter le produit aux journalistes, l’entreprise a assuré que les données COVID utilisées dans cette démonstration n’étaient pas liées à des personnes existantes, mais un expert en cybersécurité a découvert le contraire, affirmant que la société utilisait des données de pays auxquels elle avait vendu sa technologie de surveillance invasive.

Pendant ce temps, après avoir appris le développement d’un vaccin efficace, Netanyahou s’est assuré des millions de doses, mais cela a eu un coût. Israël paie 62 dollars par dose. Le vaccin AstraZeneca coûte à peine 2 dollars la dose pour les pays européens qui l’ont acheté, tandis que celui de Moderna coûte 18 dollars. Mais Netanyahou a payé le prix fort, car il savait qu’il serait confronté à une élection imminente (prévue pour mars), à une impopularité croissante et à une menace pour la poursuite de son règne. Il s’est dit qu’un succès contre le COVID, même à un prix aussi élevé, serait un triomphe à présenter à un électorat dubitatif.

Une répartition différente en fonction des groupes ethniques

En Palestine, pas de vaccin, quel que soit son prix. L’Autorité palestinienne n’a pas les moyens de l’acheter et attend des expéditions de l’Organisation mondiale de la santé, lesquelles sont retardées. Bien qu’Israël soit la puissance occupante en Cisjordanie et à Gaza et qu’en tant que telle, il est responsable de la population palestinienne, il s’en lave les mains. 

Des commentateurs pro-Israël ont avancé, à tort, que les accords d’Oslo spécifiaient que les Palestiniens seraient responsables de leur propre santé et bien-être. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du fait qu’Israël n’a jamais honoré ses engagements en vertu des accords d’Oslo et n’a jamais reconnu un État palestinien. Sans État, pas de souveraineté ; par conséquent, l’AP est dans l’incapacité d’offrir les protections d’un gouvernement parfaitement fonctionnel. Sans oublier qu’elle est en faillite et dépend de l’aide humanitaire internationale pour s’en sortir. Comment imaginer qu’elle pourrait payer 20 dollars la dose, sans parler de 62 dollars ?

Des doses du vaccin contre le COVID-19 photographiées dans une succursale de l’organisation israélienne Clalit, le 4 janvier (AFP)
Des doses du vaccin contre le COVID-19 photographiées dans une succursale de l’organisation israélienne Clalit, le 4 janvier (AFP)

L’une des autres principales assertions est que l’AP n’a pas requis l’aide d’Israël – mais il ne fait aucun doute que Netanyahou a le numéro du président palestinien Mahmoud Abbas et pourrait lui proposer de l’aide, s’il le voulait. Non seulement il ne l’a pas fait, mais les Palestiniens sont la dernière chose qu’il ait en tête.  

Malgré le succès tant vanté du déploiement du vaccin par Israël, comme d’habitude dans le pays, les avantages sont répartis différemment en fonction des communautés ethniques. Près de 30 % de ceux qui sont vaccinés en Israël même sont juifs, contre seulement 15 % de Palestiniens. Les soins de santé en général sont moins bons dans les communautés palestiniennes d’Israël, lesquelles ont aussi moins confiance dans les programmes officiels du gouvernement, qui traditionnellement ne leur ont rien ou peu rapporté.

Sur les 300 000 doses de vaccin administrées par la plus grande organisation israélienne de services de santé, seules 5 % ont été mises de côté pour les communautés palestiniennes et seulement 10 des 145 sites de vaccination sont situés dans des zones palestiniennes. Le gouvernement a également refusé de vacciner les prisonniers palestiniens incarcérés dans les geôles israéliennes. Ils n’ont pas la moindre protection.

Conséquences mortelles

Il ne faut pas oublier que de nombreux Palestiniens travaillent dans le système de santé israélien en tant que médecins, infirmiers et pharmaciens. En Israël, près de 20 % des médecins sont palestiniens, tout comme 25 % des infirmières et près de 50 % des pharmaciens. Les médecins palestiniens travaillent aux côtés des médecins juifs pour sauver la vie des patients COVID-19, qu’ils soient juifs ou palestiniens, dans les hôpitaux israéliens.

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Au vu des taux inférieurs de vaccination dans les zones palestiniennes, un pays avec un bon système de santé publique organiserait une grande campagne de presse et d’information pour convaincre les citoyens de se déplacer pour se faire vacciner.

Aucune campagne de ce type n’a lieu en Israël, car le gouvernement ne pense pas de cette manière. Ils laissent les Palestiniens se débrouiller seuls – un exemple de ce que l’ancien politicien américain Daniel Patrick Moynihan appelait notoirement la « négligence sans malveillance ». Mais en Israël, cette négligence n’est absolument pas sans malveillance ; elle s’inscrit dans le tissu de la société et a des conséquences mortelles.

Cette situation met en évidence le racisme au cœur de la société israélienne, montrant comment Israël est une nation reposant sur l’apartheid, où des droits étendus, des privilèges et des avantages sont offerts aux juifs mais pas aux citoyens palestiniens du pays. La presse internationale vantant le succès israélien dans la vaccination devrait se souvenir qu’un tel succès a un coût énorme pour ceux en Israël qui ne sont pas juifs et sont abandonnés.

- Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006 A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir Israël and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield). (Photo par Erika Schultz/Seattle Times.)

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Richard Silverstein writes the Tikun Olam blog, devoted to exposing the excesses of the Israeli national security state. His work has appeared in Haaretz, the Forward, the Seattle Times and the Los Angeles Times. He contributed to the essay collection devoted to the 2006 Lebanon war, A Time to Speak Out (Verso) and has another essay in the collection, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield) Photo of RS by: (Erika Schultz/Seattle Times)
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