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Le coronavirus donne aux Israéliens un petit avant-goût de ce qu’est la vie des Palestiniens

Les Israéliens ressortiront-ils de cette expérience avec une compassion nouvelle pour la souffrance des Palestiniens ? C’est peu probable
Des gardes-frontières israéliens portant des masques de protection visent de jeunes Palestiniens lors d’affrontements dans un village situé au sud de Naplouse, en Cisjordanie occupée, le 11 mars (AFP)

Les Israéliens sont confinés à cause du coronavirus.

Comme partout ailleurs sur la planète maintenant, leur confinement est à la fois physique et psychologique.

L’atmosphère est lourde de malaise et d’anxiété face à la pandémie et, surtout, de la peur de l’inconnu. Les aspects physiques sont connus dans le monde entier : sorties restreintes et pénuries temporaires dans les supermarchés. Les grands aéroports sont quasiment déserts, les arrivées et départs sont presque nuls.

Les rassemblements sociaux, artistiques, culturels et religieux sont annulés. Les taux de chômage grimpent en flèche. L’armée est prête à diriger des hôtels transformés en hôpitaux pour les personnes infectées les moins gravement malades. Et bientôt, peut-être, un confinement total, avec des patrouilles de l’armée et de police dans les rues.

On parle déjà de la menace d’anarchie. De dystopie.

Confinement sous occupation

Tout cela aurait dû rappeler quelque chose aux Israéliens. Mais non. Ils sont trop occupés à s’inquiéter de leur survie, ce qui est compréhensible, et bien naturel. Toutefois, il est difficile d’ignorer le fait que les réalités graves, voire extrêmes, de la vie en Israël ces derniers temps ressemblent au quotidien normal depuis des décennies dans les territoires palestiniens occupés.

Tout cela aurait dû rappeler quelque chose aux Israéliens. Mais non. Ils sont trop occupés à s’inquiéter de leur survie

Ce qui est jugé dystopique par les Israéliens ressemble presque à une utopie pour les Palestiniens. Le confinement temporaire – ainsi que les pénuries imposées aux Israéliens – ressemblerait presque à un rêve pour les Palestiniens, dont la situation à Gaza, et parfois aussi en Cisjordanie, est bien pire depuis longtemps.

C’est le temps du retour de karma, le destin rit, l’ironie amère abonde. Un ministre de l’Histoire glousse quelque part face à la nouvelle réalité imposée aux Israéliens.

Pour la première fois de leur vie, les Israéliens reçoivent un avant-goût de ce qu’ils servent aux Palestiniens depuis des générations. Pour la première fois de leur vie, les Israéliens goûtent au confinement et à la pénurie d’une manière inédite pour eux.

Et pourtant, le siège des Israéliens ressemble fort à un luxe pour tout enfant palestinien né dans la réalité beaucoup plus dure qui est leur sort.

Les Israéliens n’ont qu’un petit avant-goût des restrictions qu’ils imposent aux Palestiniens. On leur offre l’opportunité de découvrir un aperçu de ce qu’est la vie palestinienne, bien que dans de meilleures conditions.

Cela changera-t-il un jour leur avis ? En ressortiront-ils plus sensibles et plus compréhensifs face aux souffrances palestiniennes après la pandémie ? J’en doute fort.

La routine quotidienne

Premier point, le confinement lui-même. Les portes internationales d’Israël, comme dans la plupart des autres pays aujourd’hui, sont bel et bien fermées et verrouillées. Presque qu’aucun vol n’atterrit ni ne décolle : la claustrophobie règne, temporairement, ici.

Or, Gaza vit ainsi depuis quatorze ans. Dans la plus grande prison en plein air du monde, la cage de Gaza, les gens ne peuvent que rire devant la détresse à court terme des Israéliens.

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Il y a de jeunes Palestiniens à Gaza qui n’ont jamais vu d’avion de passagers, ne serait-ce qu’en vol au-dessus de leurs têtes ; il y a des Palestiniens adultes à Gaza qui n’ont jamais mis les pieds dans un terminal d’aéroport et qui n’ont jamais pu rêver d’aller à l’étranger en vacances, pour étudier ou faire des affaires.

Pour les Israéliens, être privés d’entrée et de sortie via l’aéroport Ben-Gourion est insupportable, même pour quelques semaines. Les Palestiniens de Gaza, et même de nombreux habitants de Cisjordanie, ne savent rien de la vie avec un aéroport.

Les portes des maisons israéliennes vont se fermer maintenant, aussi. Au moment de l’écriture de ces lignes, il n’y a toujours pas de confinement total, mais on pourrait bien y arriver d’un jour à l’autre.

À une demi-heure de route de Tel Aviv, les couvre-feux sont pour certains la routine quotidienne, et durent parfois plusieurs mois.

Un couvre-feu peut être imposé arbitrairement à tout moment par un officier de l’armée. Ces couvre-feux sont imposés aux foyers qui ont beaucoup d’enfants, généralement, et très peu de chambres. Avec bien plus de chars à l’extérieur générant bien plus de haine à l’intérieur. Quand il n’y a pas de couvre-feu dans les territoires, c’est la fermeture : un siège.

Un sombre scénario

Fermeture entre la Cisjordanie et Israël, fermetures entre différentes régions de Cisjordanie, d’une ville à l’autre, d’un village à l’autre. Avec des check-points ponctuels et des check-points fixes. Ne parlons même pas de Gaza, qui est en permanence assiégée.

Traduction : « Avec les deux premiers cas de #coronavirus signalés à #Gaza, l’un des endroits les plus densément peuplés sur terre, il est essentiel que #Israël permette la livraison de fournitures médicales indispensables pour prévenir une catastrophe humanitaire. »

Le confinement partiel en Israël ressemble presque aux rêves de vie en liberté des Palestiniens : vous pouvez aller à l’extérieur, aller au parc ou marcher au bord de la mer. La plupart des enfants de Cisjordanie n’ont jamais vu la mer, laquelle n’est qu’à une heure de route environ si vous avez une voiture.

Bientôt, nous commencerons peut-être aussi à voir des policiers et des soldats en uniforme patrouiller dans les rues d’Israël, mettre en place des check-points et examiner les papiers d’identité des gens. Des check-points ! Ne faites pas rire les Palestiniens ; ils ne connaissent rien de la vie sans ces patrouilles et postes de contrôle.

Un homme, masqué par crainte du coronavirus, attend au poste-frontière de Rafa, le 8 mars (Reuters)
Un homme, masqué par crainte du coronavirus, attend au poste-frontière de Rafa, le 8 mars (Reuters)

Tous les jours, partout. Mais en Israël, les uniformes seront plus gentils avec les habitants, contrairement à la brutalité habituelle affichée envers ceux des territoires occupés, mais les Israéliens auront quand même du mal à le supporter, même temporairement.

C’est quand même beaucoup plus facile quand le soldat est l’un de vous, parlant votre propre langue, dans votre propre pays. C’est tellement plus difficile et plus exaspérant quand il s’agit d’un occupant étranger. Les patrouilles dans les rues à Tel Aviv seront comme un pique-nique par rapport à celles de Jénine en Cisjordanie.

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Et bientôt, la vie économique du côté israélien du mur de séparation commencera aussi à ressembler à la façon dont les gens vivent de l’autre côté. Au moment d’écrire ces lignes, un demi-million d’Israéliens, soit environ 17 %, sont déjà au chômage. Et ce chiffre augmente considérablement de jour en jour.

À Gaza, un taux de chômage à deux chiffres est une réalité depuis des décennies. Gisha, une ONG israélienne qui milite pour la liberté de circulation, a récemment fait état d’un taux de chômage de 46,7 % à Gaza en septembre dernier.

Chez les jeunes de Gaza, ce chiffre est encore plus élevé. Les Israéliens au chômage aujourd’hui ont temporairement perdu leur emploi ou fermé leur entreprise et la plupart recevront une indemnité chômage de l’État.

Dans les territoires occupés, ils n’ont jamais entendu parler d’indemnité chômage. Chômage sous la routine de l’occupation. C’est comme ça depuis des décennies.

Invasion de la vie privée

À l’heure actuelle, un tollé secoue les Israéliens en raison d’un décret en vertu duquel le Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure d’Israël, utilisera des « moyens numériques » pour suivre les individus infectés par le virus et toute personne s’étant approchée d’eux physiquement. Décision temporaire, initialement de sept jours, avec des prolongations possibles.

Les véhémentes critiques en Israël au sujet de l’invasion de la vie privée doivent être assez amusantes pour les Palestiniens

Ne faites pas rire les Palestiniens. L’espionnage est l’aspect le plus « humain » de la façon dont le Shin Bet traite les Palestiniens. Très bien, laissez-les écouter ; contentez-vous de les amener à cesser de torturer, de faire chanter et de maltraiter les gens.

Dans les territoires occupés, le Shin Bet sait toujours tout, partout, avec peu de surveillance juridique ou de supervision parlementaire. Les véhémentes critiques en Israël au sujet de l’invasion de la vie privée doivent être assez amusantes pour les Palestiniens. Tout comme les photos de militaires israéliens gérant des hôtels, les transformant en hôpitaux d’urgence. Combien d’hôtels appartenant à des Palestiniens l’armée israélienne a-t-elle saisis par la force au fil des ans et convertis en quartier général militaire ?

Dystopie-19

Bien sûr, on ne peut ignorer les différences. Même au plus fort d’une pandémie de coronavirus, les Israéliens ne seront pas humiliés ou battus devant leurs enfants ou leurs parents.

Aucun soldat étranger n’envahira leur maison au milieu de la nuit, nuit après nuit, sans raison valable. Personne ne les arrachera de leur lit et ne les emmènera. Personne ne les arrêtera sans jugement. Personne n’interrogera leurs enfants et ne les emprisonnera en violation des conventions internationales dont Israël est signataire.

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Même dans la pire dystopie liée au coronavirus en Israël, aucun scénario ne mettra en vedette des tireurs d’élite rivalisant pour tirer dans les genoux de centaines de manifestants, comme ils le font à la frontière de Gaza depuis des mois maintenant.

Les maisons des Israéliens ne seront pas bombardées et leurs champs ne seront pas aspergés de poison, comme c’est le cas à Gaza. Dans l’ensemble, il s’agit d’un couvre-feu temporaire dans des conditions raisonnables et avec un objectif clair et compréhensible.

Plus ou moins le genre de choses dont rêvent les Palestiniens lorsqu’ils envisagent une vie un rien meilleure.

- Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz. Il a rejoint Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997 et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Son dernier livre, The Punishment of Gaza, a été publié par Verso en 2010.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Gideon Levy is a Haaretz columnist and a member of the newspaper's editorial board. Levy joined Haaretz in 1982, and spent four years as the newspaper's deputy editor. He was the recipient of the Euro-Med Journalist Prize for 2008; the Leipzig Freedom Prize in 2001; the Israeli Journalists’ Union Prize in 1997; and The Association of Human Rights in Israel Award for 1996. His new book, The Punishment of Gaza, has just been published by Verso.
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