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Israël sème les graines d’un nouveau soulèvement

Une nouvelle génération de Palestiniens s’élève sous le nez de Netanyahou et lui dit : « Ça suffit ! »
Les manifestations d’al-Aqsa attirent aussi bien des chrétiens que des musulmans, des laïcs que des religieux, des nationalistes que des islamistes. Ils viennent de Jérusalem mais aussi de Haïfa et Jaffa (AFP)
Les manifestations d’al-Aqsa attirent aussi bien des chrétiens que des musulmans, des laïcs que des religieux, des nationalistes que des islamistes. Ils viennent de Jérusalem mais aussi de Haïfa et Jaffa (AFP)

Il y a dix ans, en suivant une allée carrelée dans le quartier de Sheikh Jarrah, j’ai été conduit dans une pièce où une vieille femme était assise au milieu de cartons et de valises remplies.

La première chose que j’ai remarquée chez Rifqa al-Kurd, c’était l’intensité de la flamme dans ses yeux. Elle m’a confié qu’elle vivait au milieu des cartons parce qu’elle s’attendait à ce que la police la jette dehors à tout moment pour y installer des colons. Lorsque cela se produirait, elle ne voulait pas que ses vêtements soient jetés dans la rue, a-t-elle expliqué. D’où les bagages.

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Elle avait déjà vécu cela auparavant, lorsqu’elle avait été expulsée de sa maison à Haïfa en 1948. Qu’est-ce qui la retenait là, assise parmi ses cartons ? Sa réponse tenait en un mot : « sumud », qui se traduit grossièrement par « ténacité ».

Rifqa est décédée l’an dernier, toujours dans la maison qui lui avait été donnée par le gouvernement jordanien et l’UNWRA. Son fils Nabil m’a expliqué que des colons s’étaient installés dans une extension qu’il avait construite, considérée comme illégale par les autorités municipales.

Désormais un peu plus grisonnant, Nabil a pris la place de sa mère et monte la garde devant la maison, au numéro 13, près d’un mur sur lequel « Nous ne partirons pas » est tagué en arabe.

Sa fille Muna, petite-fille de Rifqa, est à l’origine d’une vidéo devenue virale montrant un colon juif au fort accent de Brooklyn qui fait irruption chez elle : « Si je ne […] vole pas [votre maison], quelqu’un d’autre le fera », lance-t-il.

Lorsque j’ai rencontré la famille al-Kurd et que j’ai écrit au sujet de Rifqa, personne ne s’y intéressait ne fût-ce que de loin, pas plus qu’à Sheikh Jarrah. J’ai dû expliquer à mon rédacteur en chef où se trouvait Sheikh Jarrah et même là, je ne pense pas qu’il avait compris.

Le Printemps arabe était le seul sujet qui importait et ce n’était pas la première fois que l’on disait aux Palestiniens que leur conflit était une vieille histoire.

Aucune crédibilité

Aujourd’hui, Sheikh Jarrah fait l’objet de déclarations de l’ONU, du département d’État américain et de personnalités politiques de tous bords en Grande-Bretagne.

Des manifestations sont organisées à Downing Street, Chicago et Berlin. Et Muna al-Kurd touche un public mondial en ligne. Je peux donc personnellement attester d’un fait à la lumière de ces derniers jours de chaos à Sheikh Jarrah, à la mosquée al-Aqsa et à la porte de Damas : Israël est loin d’en avoir fini avec le conflit palestinien.

L’an dernier, la droite religieuse nationaliste d’Israël a proclamé sa victoire dans ce conflit et annoncé que la seule chose à faire pour les Palestiniens était de sortir et d’agiter un drapeau blanc.

La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par l’ancien président américain Donald Trump a transformé l’ouverture de l’ambassade américaine en un service évangélique doublé d’une parade triomphale.

« Quel jour glorieux pour Israël. […] Nous sommes à Jérusalem et nous sommes ici pour de bon », a proclamé Benyamin Netanyahou devant Jared Kushner lors de la cérémonie d’inauguration. Alors que Netanyahou et Kushner pavoisaient, plus de 50 personnes ont été tuées le même jour à Gaza par les forces israéliennes.

Benyamin Netanyahou doit se rendre compte aujourd’hui de la faible valeur que ses nouveaux atouts arabes ont en réalité

Il y a eu ensuite les accords d’Abraham, dans le cadre desquels les Émirats arabes unis et Bahreïn ont normalisé leurs relations avec Israël. 

Dans une tribune publiée dans le New York Times en réponse à Saeb Erekat, le négociateur en chef palestinien aujourd’hui décédé, Danny Danon, alors ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, a écrit : « Qu’est-ce qui ne va pas avec l’idée d’une capitulation palestinienne ? […] Un suicide national de l’éthos politique et culturel actuel des Palestiniens est précisément ce qui est nécessaire pour la paix. »

Mais si le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou pensait alors pouvoir enterrer l’État palestinien en nouant des liens avec les Émirats ou Bahreïn, en faisant retirer le Soudan de la liste des États commanditaires du terrorisme ou en faisant reconnaître par Washington la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, il doit se rendre compte aujourd’hui du peu de signification que cela avait et de la faible valeur que ses nouveaux atouts arabes ont en réalité.  

Ces dirigeants arabes n’ont aucune crédibilité auprès de leur propre peuple et encore moins auprès des Palestiniens. En pensant le contraire, Netanyahou s’est bercé d’une grande illusion.

Une nouvelle génération de Palestiniens s’élève sous son nez, une génération que la skunk, les gaz lacrymogènes et les grenades assourdissantes ne pourront arrêter. Il y a une Muna al-Kurd à chaque coin de rue. 

Rifqa al-Kurd et sa petite-fille Muna dans leur maison à Sheikh Jarrah (photo fournie)
Rifqa al-Kurd et sa petite-fille Muna dans leur maison à Sheikh Jarrah (photo fournie)

Comment en sont-ils arrivés là ? Qui a provoqué leur soulèvement ? Qui les y a incités ?

Les soldats qui les arrêtent chaque nuit, les tribunaux qui décident que les colons sont les véritables propriétaires de leurs maisons ou qui émettent les ordres de démolition, la municipalité qui les exécute, la fondation Cité de David, El-Ad qui fait valoir des revendications territoriales par le biais de projets archéologiques et de construction de logements en faveur des colons à Silwan, les foules de jeunes juifs d’extrême droite qui crient « Mort aux Arabes ! », ou encore le maire adjoint de la ville, Arieh King, qui a déclaré à un activiste palestinien qu’il était dommage qu’il n’ait pas « reçu une balle dans la tête ».

Cette éducation dans un climat de haine est le fruit d’un effort véritablement pluridisciplinaire de la part des différentes institutions israéliennes à tous les niveaux. Ce climat les a accompagnés dès leur naissance.

Aujourd’hui, cette génération leur dit : « Ça suffit ! ». Elle ne se soucie guère du nombre de fois où la police israélienne lancera des grenades assourdissantes sur des médecins qui soignent les blessés, sur des fidèles à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa ou sur des femmes et des enfants dans les rues de la vieille ville.

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Ils reviendront nuit après nuit à al-Aqsa. Sans qu’aucune pierre ne soit jetée, leur présence prouve que Jérusalem-Est est sous occupation et le sera toujours tant qu’elle ne sera pas libérée du contrôle israélien.

Mais des pierres seront jetées et bien d’autres choses se passeront en parallèle. De grandes manifestations ont eu lieu en Cisjordanie et des salves de roquettes ont été tirées depuis Gaza. Mardi, 25 Palestiniens dont neuf enfants ont été tués lors de frappes aériennes israéliennes contre l’enclave. Deux Israéliennes ont également trouvé la mort.

Si le président palestinien Mahmoud Abbas parle et se comporte comme un lapin pris dans les phares d’une voiture face à un peuple sur lequel il a perdu toute autorité, il n’en va pas de même pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.

Les éléments clés

Trois éléments viennent renforcer cette vague de protestations, ce qui devrait alarmer les services de sécurité israéliens. Le premier est qu’à la suite de la dernière vague de normalisation avec Israël, plus aucun Palestinien ne croit qu’un État arabe viendra à leur secours, même de manière rhétorique.

Ce n’était pas le cas lors des précédentes intifadas. Il n’y a plus de négociateurs honnêtes. Les Palestiniens savent qu’ils sont bel et bien livrés à eux-mêmes et que chacun ne peut compter que sur les ressources dont il dispose. 

Le deuxième est que contrairement à ce que l’on a pu voir lors des soulèvements précédents, tous les Palestiniens sont impliqués.

En faisant de Jérusalem-Est l’objet de la prochaine vague de colonisation et en la justifiant ouvertement et effrontément, Israël a allumé une flamme qui ne peut que croître aux quatre coins du monde musulman

Ceux de 1948, de Jérusalem, de Cisjordanie, de Gaza et de la diaspora. Les protestations d’al-Aqsa attirent aussi bien des chrétiens que des musulmans, des laïcs que des religieux, des nationalistes que des islamistes. Ils viennent de Jérusalem mais aussi de Haïfa et Jaffa. 

Si les bus qui les transportent sont arrêtés sur l’autoroute, les Hiérosolymites viennent les chercher en voiture. La loi israélienne leur octroie différents statuts. Certains ont un passeport israélien et sont citoyens, d’autres ont un permis de résidence à Jérusalem. Israël a défait tout son travail dans le cadre de sa stratégie visant à diviser pour mieux régner. Il les a tous unis.

Tous sont animés par la même flamme et expriment la même passion. Tous se disent palestiniens. Chacun connaît les enjeux.

La troisième différence, cruciale, est que ce mouvement est centré sur al-Aqsa et Jérusalem. Peu importe le nombre de fois où la police israélienne évacuera la mosquée – ce qu’elle a déjà fait deux fois –, elle se remplira à nouveau de fidèles palestiniens encore plus déterminés à la protéger en prenant la place de ceux qui ont été blessés ou arrêtés.

Choisir Jérusalem comme lieu pour proclamer la fin du conflit l’an dernier a été l’erreur la plus fondamentale que Netanyahou et les colons puissent commettre. Bien sûr, ils peuvent employer – et ont employé – une force maximale, mais ils apprendront à remettre en question l’utilité de cette méthode.

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En faisant de Jérusalem-Est l’objet de la prochaine vague de colonisation et en la justifiant ouvertement et effrontément, ils ont allumé une flamme qui ne peut que croître aux quatre coins du monde musulman. Et c’est une flamme qu’ils ne peuvent contrôler.

Personne ne l’a exprimé avec plus de ferveur et d’éloquence qu’Um Samir Abdellatif, une ancienne vivant dans l’un des 28 logements de Sheikh Jarrah concernés par les menaces d’expulsion.

Interrogée lundi par Al Jazeera, Um Samir a confié qu’elle savait que le monde arabe ne pouvait rien faire pour eux. « Mais nous ne nous appuyons sur personne, car nous allons résister à l’occupation de nos propres mains. Si Dieu le veut, nous résisterons jusqu’à notre dernier souffle. »

« Mon cœur brûle devant toute cette hypocrisie et leurs prétentions vis-à-vis de ces terres. Et ils savent pertinemment qu’ils mentent. C’est du sionisme, cela n’a rien à voir avec le judaïsme. Les gens disent que nous combattons le judaïsme, mais ce n’est pas le cas, nous avons toujours eu de bonnes relations avec les chrétiens et les juifs, nous avons toujours été bienveillants les uns avec les autres. Mais nous rejetons l’occupation, nous la rejetons, nous la rejetons totalement. »

Ainsi sont semées les graines d’un nouveau soulèvement.

David Hearst est cofondateur et rédacteur en chef de Middle East Eye. Commentateur et conférencier sur des sujets liés à la région, il se concentre également sur l’Arabie saoudite en tant qu’analyste. Ancien éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, il en a été le correspondant en Russie, en Europe et à Belfast. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

David Hearst is co-founder and editor-in-chief of Middle East Eye. He is a commentator and speaker on the region and analyst on Saudi Arabia. He was the Guardian's foreign leader writer, and was correspondent in Russia, Europe, and Belfast. He joined the Guardian from The Scotsman, where he was education correspondent.
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