Je n’arrive toujours pas à comprendre les attentats de Paris
C’était il y a plus d’une semaine mais il est toujours difficile de comprendre ce qui s’est passé dans ma ville natale. La seule chose dont je suis sure, c’est que pour éviter ce genre d’événements à l’avenir, nous avons besoin de plus de dialogues et de compréhension.
C’était la fin du match France-Allemagne. Je profitais d’un petit verre de rosé en regardant le match dans le salon avec ma mère, pendant que mon père et ma sœur y assistaient depuis les gradins du stade de France. Soudain, le présentateur télé indique que la conférence de presse classique n’aurait pas lieu en raison des « événements à Paris ». Nous nous sommes regardées avec ma mère : quels événements ? Et puis nous avons commencé à chercher sur les réseaux sociaux et à rassembler quelques bribes d’information : « 60 personnes tuées près de République », des « fusillades ». Une page spéciale s’est affichée sur l’écran de la télévision. C’est ainsi que tout a commencé.
Le présentateur faisait état de présence de kamikazes près du Stade de France. Nous avons appelé ma sœur et mon père. Pas de réponse. Les images montraient des personnes réunies sur les pelouses du Stade de France, elles semblaient en sécurité mais nous étions tout de même inquiètes : que faire dans cette situation ? À peine le temps de se poser des questions, déjà le pire était en route dans Paris - prise d’otages au Bataclan, des cadavres partout autour de République, sur les terrasses des petits cafés. Nos téléphones commençaient à sonner, c’était la famille et les amis qui venaient aux nouvelles. Tout le monde avait l’air paniqué. Je restais suspendue à Facebook pour vérifier que mes amis étaient en sécurité, mais ça me paniquait de ne pas avoir de nouvelles de mon père et de ma sœur.
Comme la plupart des Parisiens, je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là. Mon père et ma sœur ont fini par appeler, ils étaient tous deux en sécurité. Ils ne savaient pas alors que les explosions entendues au cours de match étaient en fait trois hommes qui s’étaient fait exploser. Je gardai cette nuit-là les yeux rivés sur les chaines d’informations qui tournaient en boucle, un peu hallucinée au chaud dans mon salon. Je recherchais le maximum d’informations possible pour essayer de comprendre un petit peu ce qui se passait. Des kamikazes ici, des otages là, et d’autres kamikazes? La prise d’otages est-elle terminée ? Des corps ensanglantés, des cris et des pleurs, des experts en terrorisme. On dirait que ça ne va jamais finir.
Une vidéo reste en tête, celle du journaliste du Monde qui filme une des sorties arrière du Bataclan ; des personnes sortent en courant, trébuchant sur les cadavres allongés dans la rue. Certains de ces corps bougent un petit peu. « Qu’est ce qui se passe ? » hurle le journaliste. C’est cette question qui m’a hantée ce soir-là, et me hante encore à ce jour.
Ces derniers jours, nous avons tous réagi de façon différente. Le samedi matin, quelques-uns se sont aventurés dans les rues de Paris, pendant que d’autres allaient déposer des fleurs et des bougies en hommage aux morts, aux blessés, et aux héros ordinaires qui se sont occupés d’eux.
Pour ma part, je suis restée à l’intérieur à couvrir les événements. Je savais qu’il ne fallait pas avoir peur d’aller dehors, que le terrorisme, comme on dit, ne devait pas gagner, mais je préférais la sécurité de mon salon. J’y ai appris, quelques heures plus tard, par un discours de François Hollande, que l’État islamique était responsable de ce bain de sang.
Ce groupe, l’État islamique, avait toujours paru un peu loin, et pas très menaçant pour l’Europe, pas vraiment de quoi toucher notre quotidien, mis à part ces jeunes hommes et femmes qui partaient rejoindre leurs rangs. Mais ils sont maintenant suffisamment organisés pour provoquer l’attentat le plus sanglant commis depuis des années sur le sol français, et leurs recrues sont capables de se faire exploser et de tuer des dizaines d’innocents à la kalachnikov.
Qu’est-ce que ça signifie pour nous en France, quand des gens de mon âge sont prêts à tout quitter pour rejoindre cette organisation ? Ils ont choisi d’attaquer des endroits ou de jeunes Parisiens, plutôt de gauche et ne connaissant pas la guerre, aiment sortir. Tous ces bombardements que l‘État effectue en notre nom nous retombent désormais sur la tête.
Le dimanche soir je me suis rendue au café local pour prendre un verre avec des amis et essayer de nous changer les idées. Mais nos conversations ne parvenaient pas à masquer un sentiment de menace ; elles nous ramenaient invariablement vers ces attentats et chaque bruit inconnu nous paraissait suspect. Nous avons reçu appel qui nous prévenait d’une autre fusillade dans Paris. Mais il s’est avéré que c’était encore une fausse alerte.
J’ai vécu a Paris toute ma vie, et, bien que je n’en sois pas vraiment éprise, j’ai compris que le monde en général voyait en Paris un symbole de l’amour et des petits bonheurs - la tour Eiffel, les petits cafés, le vin, les baguettes et les cigarettes. Mais maintenant, pour la première fois, je réalise que notre ville est également un symbole de décisions gouvernementales condamnables, de l’interventionnisme, du racisme, du rejet, du capitalisme et apparemment pour certains des vices et des choses diaboliques.
Les messages de soutien qui arrivent de partout aident beaucoup, tout cet amour contrebalance la terreur en quelque sorte. Mais il y a quelque chose qui interpelle. J’ai des amis en Afrique et au Moyen-Orient, pour qui la violence est quotidienne, et qui ne bénéficient pas de telles démonstrations de soutien international.
Les Parisiens se sont soutenus entre eux, et ont décidé de redonner à Paris sa réputation de capitale des petits plaisirs et des bons vivants. Dignement, les Parisiens ont été attentifs les uns envers les autres, et se sont promenés le dimanche dans les parcs, ou arrêtés aux terrasses des cafés. Mais c’était quelque part une unité faussée. Après avoir appris que les assaillants se disaient de foi musulmane, certains ont décidé de s’en prendre à des mosquées. Il n’y a pas de doute sur le fait que les attentions d’une partie des Parisiens n’empêcheront pas par ailleurs des attaques contre la communauté musulmane de France ou les réfugiés, ou tout autre groupe objet de discriminations.
Le fait que personne n’arrive réellement à expliquer la motivation des assaillants montre que l’on a besoin de davantage de dialogue et de tolérance pour dissuader toute violence. La France doit intégrer tous les membres de notre société, et les gouvernements devraient écouter davantage leurs citoyens, de toutes origines et confessions. Mais cela va-t-il se passer ? J’en doute. J’ai assez peur de ce qui va se passer.
- Valentine Maury est responsable des réseaux sociaux. Elle est titulaire d'une licence en Journalisme et Sociologie de la City University de Londres.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Une femme pose une affiche sur laquelle est écrit en arabe « Non au terrorisme » au dehors du consulat Français à Rabat, Maroc, le 15 Novembre 2015 (AFP).
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