La beauté du hadj réside dans les pèlerins qui s’unissent contre vents et marées
Aujourd’hui, dans la clinquante ville de La Mecque située au milieu du désert poussiéreux, trois millions de personnes s’étreignent de joie, de soulagement et d’incrédulité. La joie d’avoir accompli les épuisants rituels du hadj – un pèlerinage incombant à tout musulman qui en a les capacités physiques et financières une fois dans sa vie –, le soulagement de n’avoir pas succombé à une grue de construction ou à une bousculade dans le processus et l’incrédulité d’avoir effectivement réussi à l’accomplir, malgré les foules innombrables et la chaleur dépassant les 40 °C.
Comment je le sais ? Parce que je faisais partie de ces pèlerins l’année dernière, assez chanceux pour avoir survécu et raconter l’histoire. L’édition 2015 du hadj a été la plus meurtrière dans l’histoire. Tout d’abord, une grue de construction s’est effondrée le 11 septembre, tuant plus d’une centaine de personnes rassemblées pour prier dans la Grande Mosquée de La Mecque, lieu de culte le plus saint de l’islam.
Environ 50 pays dans le monde aujourd’hui comptent une population à majorité musulmane, chacun ayant sa propre culture ou une multiplicité de cultures
Un peu plus d’une semaine plus tard, une bousculade a éclaté dans une rue dans laquelle je marchais quelques heures auparavant. Près de 3 000 personnes sont mortes écrasées. Des images terrifiantes prises par des téléphones portables ont fait surface dans les jours qui suivirent, montrant les pèlerins hurlant en s’escaladant désespérément les uns les autres pour atteindre un mur à proximité afin de se mettre en sécurité. Essayez de publier cette expérience sur Facebook.
Si vous vous êtes déjà demandé ce que c’est de compléter le hadj à La Mecque – ou même si vous n’y aviez jamais vraiment réfléchi –, lisez la suite, ne serait-ce que pour avoir une meilleure idée de ce que ces 2 278 âmes ont connu avant que leur vie ne prenne brusquement fin il y a tout juste un an... et pourquoi tant de gens ont afflué à la Mecque cette année encore, malgré les risques.
Entre autres choses, le hadj peut être considéré comme un baromètre symbolique de la communauté musulmane internationale, une mesure ultime de la patience et de la tolérance l’un envers l’autre dans des circonstances particulièrement difficiles.
Comme les chrétiens, les musulmans sont loin d’être un groupe monolithique. Environ 50 pays dans le monde aujourd’hui comptent une population à majorité musulmane, chacun ayant sa propre culture ou une multiplicité de cultures. Le pèlerinage à La Mecque constitue une occasion unique pour les musulmans d’origines diverses de s’unir.
Absence d’étiquettes
L’absence d’étiquettes est rafraîchissant. À La Mecque, les musulmans ne sont pas classés dans la catégorie « extrémistes », « modérés » ou « conservateurs », ni selon leur appartenance ethnique ou confessionnelle. Le religieux ultra-orthodoxe saoudien priera silencieusement aux côtés d’un Iranien fervent ; l’homme d’affaires milliardaire de Dubaï se frayera un chemin dans la même chaleur étouffante que l’agriculteur d’Ouzbékistan tandis qu’ils accompliront les rituels du hadj. Le plus choquant peut-être : hommes et femmes prient et effectuent les rituels côte à côte, une pratique autorisée uniquement à la Grande Mosquée, où se trouve la Kaaba, le cube noir autour duquel sont tenus de déambuler les pèlerins.
Que vous soyez un fervent croyant ou non, il est impressionnant d’assister à quelques-unes des scènes se déroulant devant vos yeux lors du hadj : des fils adultes qui poussent précautionneusement leurs mères âgées en fauteuil roulant et négocient avec les gardes saoudiens pour leur donner de l’espace pour prier ; un petit garçon pakistanais portant le vêtement de l’ihram poussant avec enthousiasme son père en fauteuil roulant qui tient son autre fils – un bébé qui n’a pas plus de six mois – sur ses genoux ; un Africain de 1 m 80 qui se précipite pour aider une Iranienne qui a trébuché au cours de son tawaf (déambulation autour de la Kaaba) ; l’adolescente française d’origine algérienne qui accompagne avec entrain ses grands-parents pour le pèlerinage (en ajoutant qu’elle repose fortement sur Snapchat pour survivre) ; les chats maigres gris qui serpentent entre les lignes de prière dans les cours de marbre et les dizaines et dizaines de petits oiseaux qui imitent la déambulation des pèlerins – mais dans le sens opposé.
Bien entendu, rien de tout cela signifie que tous les pèlerins retirent du hadj une expérience unificatrice qui change leur vie et reviennent à une vie normale sans préjugés et transgressions morales. Cela ne signifie pas que la Mecque est une utopie de justice sociale – loin de là. Les centres commerciaux et gratte-ciel tape-à-l’œil surplombant la Kaaba ont tous été construits sur des sites culturels et historiques précieux, effaçant le caractère esthétique et culturel de la ville.
Les Iraniens n’ont pas été autorisés par leur gouvernement à assister au hadj cette année en raison de la rupture des relations politiques avec Riyad et je ne compte plus toutes les fois où d’agressifs agents de sécurité saoudiens ont essayé de m’empêcher moi et d’autres femmes de prier à côté d’hommes dans la Grande Mosquée
Je ne compte plus toutes les fois où d’agressifs agents de sécurité saoudiens ont essayé de m’empêcher moi et d’autres femmes de prier à côté d’hommes dans la Grande Mosquée
Il est très frustrant de voir comment le sectarisme, l’extrémisme et la misogynie ont imprégné les pays musulmans à travers le monde, et l’Arabie saoudite est plus coupable que la plupart sur ces trois chefs d’accusation.
Cependant, il convient également de rappeler que la vraie beauté du hadj ne réside pas dans la ville de La Mecque, mais dans la ténacité et la miséricorde de ses pèlerins, dont beaucoup ont utilisé les économies de toute une vie pour perpétuer une tradition vieille de 1 400 ans. Il y a une bonne raison pour laquelle chaque pèlerin est tenu de rédiger un testament et d’effacer ses dettes avant d’entreprendre le voyage. Et si vous êtes assez chanceux pour rentrer chez vous, vous aurez des histoires exceptionnelles à raconter à vos enfants.
- Shenaz Kermalli est une journaliste vivant à Toronto spécialisée dans la géopolitique et les droits de l’homme. Elle a travaillé comme productrice et rédactrice pour BBC News, Al Jazeera English et CBC News. Son travail a été publié dans The Globe and Mail, The Toronto Star, CTV News, la section Comment is Free du Guardian, Foreign Policy, The Huffington Post et Muftah.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le hadj 2015 avant l’effondrement de la grue et la bousculade (AA).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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