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La Grande-Bretagne et la révolution iranienne : opportunisme, armes et accords secrets

Une fois le régime de Khomeini au pouvoir, le 11 février 1979, Londres alla jusqu’à l’armer et fut même de connivence avec lui, le considérant comme un rempart contre l’URSS
L’ayatollah Rouhollah Khomeini arrive à Téhéran après son retour d’exil, le 1er février 1979 (AFP)

Il y a quarante ans ce mois-ci, la révolution iranienne secouait le Moyen-Orient, renversant le client de l’Occident, le shah Mohammad Reza Pahlavi, et amenant au pouvoir le régime islamique de l’ayatollah Rouhollah Khomeini. 

Alors que l’Iran constitue aujourd’hui le plus grand défi pour la puissance occidentale au Moyen-Orient, les relations de la Grande-Bretagne avec l’Iran islamique n’ont pas toujours été si hostiles.

La Grande-Bretagne retira son soutien au shah avant la révolution de 1979, cherchant à s’attirer les faveurs des forces de l’opposition iranienne menées par Khomeini. Une fois le régime de ce dernier au pouvoir, Whitehall (le gouvernement britannique) alla jusqu’à l’armer, et fut même de connivence avec lui, le considérant comme un rempart contre l’Union soviétique. 

Soutien britannique au shah

Le shah arriva au pouvoir en 1953 grâce à une opération secrète anglo-américaine – connue sous le nom d’« Opération Ajax » – initiée par Londres et qui renversa le dirigeant iranien Mohammad Mossadegh, qui avait nationalisé les activités pétrolières britanniques.

« Notre politique », s’est remémoré un responsable britannique plus tard, « consistait à nous débarrasser de Mossadegh le plus vite possible. » En fait, des fichiers déclassifiés montrent que l’ambassadeur britannique à Téhéran préférait « un dictateur » qui « résoudrait raisonnablement la question pétrolière ». 

Ce qu’on sait peu du coup d’État de 1953, c’est que les Britanniques complotèrent avec l’ayatollah Sayyed Kashani, un prédécesseur de Khomeini. Kashani contribua à financer les foules qui se soulevèrent contre Mossadegh en collaboration avec le MI6, le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni, qui soudoya l’armée, la police et des personnalités politiques et médiatiques iraniennes.

« Ces forces », a expliqué l’agent du MI6 Christopher Woodhouse, qui dirigeait la partie britannique de l’opération, « devaient prendre le contrôle de Téhéran, de préférence avec le soutien du shah ou sans le cas échéant, et arrêter [Mossadegh] et ses ministres. »

« L’honneur n’avait rien à voir avec ma décision, il s’agissait uniquement de froids calculs dans l’intérêt national »

- David Owen, ancien secrétaire d’État des Affaires étrangères

Le shah régna pendant 25 ans, réprimant brutalement l’opposition via son service de sécurité intérieure tristement célèbre, le SAVAK, que le Royaume-Uni contribua à former. 

Un an avant la révolution, en avril 1978, la leader de l’opposition conservatrice Margaret Thatcher s’était rendue à Téhéran et avait décrit le shah comme « l’un des plus clairvoyants chefs d’État au monde », qui avait offert à l’Iran « un leadership dynamique » et « dirigeait l’Iran à travers une renaissance du XXe siècle ». 

Quelques mois plus tard, le gouvernement travailliste de James Callaghan convint secrètement, à la demande du shah, de fournir 175 000 grenades lacrymogènes et jusqu’à 360 véhicules blindés de transport de troupes à l’Iran pour aider le régime à réprimer les manifestations croissantes à son encontre. 

Retournement de veste

En octobre 1978, alors que les troubles à Téhéran menaçaient le régime, Callaghan écrivait : « Je ne parierais pas sur le shah », et demandait à son secrétaire d’État aux Affaires étrangères de « commencer à réfléchir à rassurer », c’est-à-dire développer des contacts avec les responsables de l’opposition.

En décembre, les responsables avaient conclu que la survie du shah était peu probable et que l’Iran était au bord de la révolution. Les responsables du Foreign Office plaidèrent alors pour que la Grande-Bretagne transférât totalement son soutien à l’opposition iranienne, bien que les fichiers déclassifiés n’indiquent pas quelles personnalités en particulier. 

Le shah fuit Téhéran le 16 janvier 1979 et le 1er février, Khomeini revint d’exil. La Grande-Bretagne essaya de « s’assurer » davantage auprès du nouveau régime islamique en évitant toute association avec le shah. Londres et Washington refusèrent tous deux l’asile politique à leur ancien pantin.

« L’honneur n’avait rien à voir avec ma décision », écrivit plus tard Owen, « il s’agissait uniquement de froids calculs dans l’intérêt national. » Il ajouta qu’il considérait cela comme « un acte méprisable ». 

Une foule de partisans de l’ayatollah Rouhollah Khomeini l’accueille à son retour à Téhéran le 1er février 1979 (AFP)
Une foule de partisans de l’ayatollah Rouhollah Khomeini l’accueille à son retour à Téhéran le 1er février 1979 (AFP)

En février, alors que le véritable pouvoir se concentrait au sein du Conseil de la révolution islamique dominé par des fondamentalistes fidèles à Khomeini, James Callaghan reconnaissait le nouveau gouvernement de Mehdi Bazargan, un intellectuel emprisonné par le shah. Le secrétaire du Cabinet, Sir John Hunt, écrivit à Callaghan : « Nous ne devrions perdre aucune occasion de renforcer nos relations avec le nouveau gouvernement ». 

Margaret Thatcher rassura également le nouveau gouvernement en affirmant que les armes commandées par le shah, notamment un important accord concernant des chars d’assaut, continueraient d’abonder, de même que « le pétrole, le commerce et d’autres intérêts ».

Quelques semaines plus tard, une République islamique était instituée, avec une nouvelle Constitution reflétant la théocratie. 

Armer l’Iran

Sous le nouveau gouvernement Thatcher, la Grande-Bretagne continua d’armer et de former le nouveau régime iranien. En avril 1980, au début de la crise des otages américains, Londres entraînait encore une trentaine d’officiers de l’armée iranienne en Grande-Bretagne. Avec les forces d’invasion soviétiques en Afghanistan, Thatcher voyait dans la théocratie iranienne un rempart contre l’idéologie soviétique. 

Cela prit des proportions brutales en 1982, lorsque la Grande-Bretagne aida secrètement le régime iranien à quasiment détruire le Parti communiste Tudeh, la principale organisation de gauche en Iran.

Le MI6, en collaboration avec la CIA, transmit aux Iraniens une liste d’agents supposés de Tudeh, acquise auprès d’un transfuge soviétique, afin de s’attirer les faveurs du régime et de réduire l’influence soviétique. Des dizaines d’agents de Tudeh furent ensuite exécutés, plus d’un millier de membres arrêtés et le parti interdit. 

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Cependant, la Grande-Bretagne alla encore plus loin, même après avoir commencé à considérer le régime révolutionnaire iranien comme une menace stratégique pour l’Occident.

Alors que l’Iran combattait l’Irak dans la brutale guerre du Golfe des années 1980, le gouvernement Thatcher arma les deux camps. Dès le premier jour de la guerre, la Grande-Bretagne envoya pour des millions de livres sterling de canons et de moteurs de chars à l’Iran, contribuant à l’entretien des chars livrés au shah par Londres dans les années 1970.

Whitehall intrigua également avec une société américaine appelée Allivane International pour envoyer secrètement des armes à l’Iran vers la seconde moitié des années 1980, tandis qu’un autre projet permit à la société britannique BMARC d’exporter en Iran, en 1986, des armes, des pièces de rechange et des munitions pour la marine via Singapour.

À cette même époque, une entreprise appartenant au gouvernement britannique exporta cinq cargaisons de tétryl, un composé chimique utilisé pour fabriquer des explosifs, enfreignant à la fois l’embargo des Nations unies et les propres directives d’exportation de la Grande-Bretagne.

Affaires en suspens

Les exportations de chars britanniques convenues sous le shah pèsent encore sur les relations entre les deux pays.

Aujourd’hui, les Britanniques voudraient éliminer le régime iranien du Moyen-Orient, tandis que les extrémistes aux États-Unis et en Israël poussent à la guerre. Mais nous ne sommes plus en 1953, et Whitehall réalise certainement que l’Iran est beaucoup plus fort que l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Mouammar Kadhafi

Des dossiers déclassés montrent que le nouveau régime écrivit à la Grande-Bretagne en février 1979 pour dénoncer six contrats militaires signés par le shah portant sur plus de 1 500 chars britanniques d’une valeur de 1,25 milliard de livres sterling.

Les deux pays marchandent encore à propos du taux d’intérêt devant être payé par la Grande-Bretagne pour régler une dette au titre de chars achetés par l’Iran mais jamais livrés. L’Iran cherche à récupérer son argent depuis 1979. 

Aujourd’hui, les Britanniques voudraient éliminer le régime iranien du Moyen-Orient, tandis que les extrémistes aux États-Unis et en Israël poussent à la guerre. Mais nous ne sommes plus en 1953, et Whitehall réalise certainement que l’Iran est beaucoup plus fort que l’Irak de Saddam Hussein ou la Libye de Mouammar Kadhafi. 

Pour le moment, Londres continuera à promouvoir ses intérêts commerciaux avec l’Iran, tout en se plaçant parfois du côté des États-Unis pour le combattre. La politique britannique vis-à-vis de l’Iran repose souvent sur un pur opportunisme. Nous ne pouvons qu’attendre de voir si le Royaume-Uni finira par jouer un rôle de modérateur plutôt que de soutien au changement de régime en Iran. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mark Curtis is an author and editor of Declassified UK, @declassifiedUK
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