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La guerre au Yémen, un Vietnam moderne pour Riyad et ses alliés

Cela fait désormais trois ans jour pour jour que la guerre au Yémen a débuté. Malgré les déclarations grandiloquentes des responsables de la coalition arabe, Riyad et ses alliés se retrouvent confrontés à une impasse militaire doublée d'une catastrophe humanitaire

Dans l’esprit de ses initiateurs, la guerre au Yémen débutée fin mars 2015 ne devait durer que quelques semaines. Confiant dans sa force de frappe et souhaitant démontrer à la face du monde sa capacité à asseoir son leadership sur la péninsule arabique qu’elle considère comme son pré carré inviolable, l’Arabie saoudite fanfaronnait à l’heure où de substantiels changements s’opéraient au plus haut niveau de sa hiérarchie dynastique.

L’heure était à la célébration de Mohammed ben Salmane (MBS) qui, tout juste nommé ministre de la Défense et appelé à une ascension fulgurante, conduisait les opérations militaires et incarnait le nouveau visage d’un royaume décidé à réhabiliter son prestige.

Mohammed ben Salmane, considéré comme l'initiateur de l'intervention militaire au Yémen, a été pressé, vendredi 23 mars, de relancer les efforts de paix au Yémen par le secrétaire américain à la Défense Jim Mattis (AFP)

Sauf que la situation n’a pas évolué dans le sens désiré. Alors que certains responsables saoudiens affirmaient qu’ils allaient en finir au bout de trois semaines, force est de constater que le bilan sonne, trois ans plus tard, comme un échec total pour Riyad et ses alliés.

D’abord sur le plan militaire car la milice houthie – vouée aux gémonies pour sa proximité avec l’Iran – n’a pas été vaincue. Pire, la voilà qui se permet de viser régulièrement l’Arabie saoudite par des missiles balistiques jetant l’effroi jusqu’au cœur de la capitale.

Non seulement les Houthis sont loin d’avoir été brisés mais en plus, le royaume est désormais incapable d’assurer sa propre sécurité

Preuve de cette humiliation pour Riyad, plusieurs de ces missiles ont encore été tirés dans la nuit du 25 au 26 mars plongeant une partie du royaume dans la panique.

Comme pour « marquer » à sa manière les trois ans de la guerre, la milice houthie a souhaité démontrer par cette opération d’envergure comment sa capacité de nuisance est montée en puissance et ce, en dépit du tapis de bombes déversées par l’aviation saoudo-émirienne depuis trente-six mois.

Pour Riyad, le déshonneur est béant car non seulement les Houthis sont loin d’avoir été brisés mais en plus, le royaume est désormais incapable d’assurer sa propre sécurité.

Une rébellion qui ridiculise chaque jour davantage la monarchie

Malgré les centaines de milliards de dollars injectés dans des moyens militaires hypersophistiqués, plus d’un citoyen saoudien doit se poser de sérieuses questions sur la crédibilité d’un pouvoir qui crie à la victoire depuis le départ alors qu’il semble impuissant à venir à bout d’une rébellion qui, malgré un blocus drastique dont elle est la cible, ridiculise chaque jour davantage la monarchie pétrolière aux yeux du monde.

Sur le plan humain et de l’image, le bilan pour la dynastie al-Saoud est tout aussi dramatique. Le conflit a en effet causé la mort de près de 10 000 personnes sans parler des quelques 40 000 blessés et des 2,3 millions de personnes déplacées.

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Des maladies d’un autre âge comme le choléra ont refait leur apparition mettant en péril la survie de près d’un million d’enfants. Dans un pays de près de 30 millions d’âmes déjà frappé par la misère, la guerre n’a fait qu’exacerber les souffrances qui plongent la population civile dans un marasme général.

Alors que la famine guette une grande partie du pays, ce sont également près de dix millions de personnes qui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Devant un tel chaos, des acteurs humanitaires ont qualifié la situation au Yémen de la « pire crise humanitaire de la planète ».

Membres des tribus yéménites des Comités de résistance populaire, qui soutiennent les forces loyales au président yéménite soutenu par l'Arabie saoudite, surveillent le quartier de Nihm, à l'est de la capitale Sanaa (AFP)

En dépit des dénégations émanant du camp émiro-saoudien qui multiplie ces derniers jours les évènements et autres opérations de communication pour « vendre » leur stratégie guerrière aux opinions occidentales, cette réalité ne peut plus aujourd’hui être niée.

Au-delà de l’effet désastreux en termes d’image, elle interroge sur l’amateurisme de la politique poursuivie par ces deux États qui semblent décidés à faire un usage inconsidéré du hard power pour asseoir leur hégémonie.

Montée en puissance de Téhéran

Car si la doctrine saoudienne semble depuis des décennies – et plus encore depuis l’arrivée du roi Salmane au pouvoir en février 2015 – être guidée par le désir ardent de « containment » de l’influence iranienne, force est de reconnaître que les choix opérés ces trois dernières années ont provoqué l’effet inverse.

Alors que les Houthis étaient certes liés d’une manière indirecte à l’Iran avant la guerre, plus d’un observateur font remarquer que le conflit a définitivement jeté la milice dans les bras de la grande puissance chiite qui en fait désormais une carte majeure dans sa confrontation avec Riyad. D’autant que la montée en puissance de Téhéran est palpable sur les autres lignes de faille du Moyen-Orient.

Le blocus du Qatar, dont beaucoup s’accordent à dire qu’il a été une grave erreur stratégique allant jusqu’à disloquer le Conseil de coopération du Golfe (CCG), n’a fait que consolider la présence iranienne dans le Golfe du fait du rapprochement entre Doha et son grand voisin du nord.

Le rêve saoudien de restaurer la grandeur du royaume a viré au cauchemar

En plus du Liban où la vacuité diplomatique saoudienne s’est manifestée avec éclat à travers le psychodrame de la démission forcée de Saad Hariri en novembre, l’Iran consolide sa présence en Syrie et en Irak, deux pays majeurs pour l’équilibre stratégique régional.

Trois ans donc après le début de l’opération Tempête décisive au Yémen, le rêve saoudien de restaurer la grandeur du royaume a viré au cauchemar.

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Mais le pire est peut-être devant nous puisque Mohammed ben Salmane, dont tout porte à croire qu’il deviendra à court terme le souverain de la première puissance pétrolière mondiale, semble ne pas comprendre que le choix des armes est une voie sans issue.

Au Yémen comme ailleurs, son caractère compulsif conjugué aux désirs de grandeur immodérés de son maître à penser, l’Émirati Mohammed ben Zayed, risquent de plonger la péninsule arabique – et avec elle tout le Moyen-Orient – dans une période d’instabilité propice à toutes les incertitudes.

- Nabil Ennasri est docteur en science politique, spécialiste de la région du Golfe, et directeur de L'Observatoire du Qatar. Il est aussi l'auteur de L'énigme du Qatar (Armand Colin). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NabilEnnasri.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Soldats saoudiens à Marib, au Yémen, le 26 janvier 2018 (Reuters).

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