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La menace Trump pour les intérêts d’Israël en matière de sécurité

Alors que certaines personnalités politiques israéliennes se sont réjouies de la victoire de Trump, il est possible que ses politiques encore mystérieuses se révèlent néfastes pour Israël sur le long terme

Certaines personnalités politiques israéliennes de droite, dont le ministre de l’Éducation Naftali Bennett, voient la victoire du candidat républicain américain Donald Trump comme favorable à l’entreprise de colonisation israélienne en Cisjordanie, et donc comme favorable à Israël.

Pourtant, les analystes qui abordent plus largement la victoire de Trump estiment que son leadership se traduira bientôt par une augmentation des tensions aux États-Unis et par un changement dans l’équilibre des pouvoirs dans la région du Moyen-Orient.

Et ces conséquences pourraient se révéler néfastes pour les intérêts à long terme d’Israël en matière de sécurité.

Dans une interview post-électorale accordée au Wall Street Journal, le président élu Trump a déclaré qu’il tenterait de parvenir à un accord de paix entre l’État d’Israël et les dirigeants palestiniens. Ou, selon ses propres termes, « l’accord ultime ».

La façon dont Trump prévoit de le faire demeure un mystère – tout autant que la façon dont il projette de « rendre l’Amérique grande à nouveau ».

Pendant la campagne présidentielle, Trump a promis d’accomplir une série d’objectifs, y compris celui qui est formulé dans son slogan de campagne. Néanmoins, jusqu’à présent, Trump n’a pas encore clarifié sa stratégie en vue de les accomplir – si tant est qu’il en ait une.

Sheldon Adelson lors du troisième débat présidentiel américain, en octobre 2016 à Las Vegas (AFP)

En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, Trump s’est défini comme un acteur « neutre », mais cette position a évolué suite à un don de 25 millions de dollars accordé par le magnat des casinos Sheldon Adelson à un « Super PAC » pro-Trump.

Deux jours après le don d’Adelson, Trump a rencontré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et lui a promis que s’il remportait les élections, les États-Unis « reconnaîtraient Jérusalem comme la capitale indivisible de l’État d’Israël ».

En outre, Trump a promis de transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, ce qui irait à l’encontre du droit international.

Cela a naturellement poussé de nombreux observateurs à remettre en question la promesse de campagne de Trump de ne pas « être contrôlé par les donateurs, les intérêts spéciaux et les lobbyistes qui corrompent depuis trop longtemps notre politique et nos responsables politiques aux États-Unis ».

« Pas un obstacle à la paix »

L’entourage de Trump a également exprimé son soutien aux colonies israéliennes en Cisjordanie et a soutenu que cet obstacle historique à un accord de paix potentiel ne constituait en réalité en aucun cas un obstacle.

« Ce n’est certainement pas le point de vue de M. Trump d’estimer que les activités de colonisation doivent être condamnées et constituent un obstacle à la paix »

- Jason Greenblatt, co-président du Comité consultatif sur Israël de la campagne de Trump

Plus récemment, Jason Greenblatt, co-président du Comité consultatif sur Israël de la campagne de Trump, a déclaré à la radio de l’Armée israélienne : « Ce n’est certainement pas le point de vue de M. Trump d’estimer que les activités de colonisation doivent être condamnées et constituent un obstacle à la paix, car celles-ci ne constituent pas un obstacle à la paix. »

Cette invitation ouverte à l’expansion des colonies en Cisjordanie a été suivie d’une campagne nationale visant à légaliser rétroactivement les colonies construites sur des terres privées palestiniennes. Cette initiative de droite, qui va à l’encontre du droit international, a même suscité l’inquiétude de Netanyahou, fervent défenseur du statu quo actuel.

Des soldats israéliens prennent leurs positions lors d’une manifestation contre les colonies juives dans la vallée du Jourdain, près de la ville de Jéricho (Cisjordanie), en novembre 2016 (Reuters)

En réponse, l’ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour, a récemment menacé de « [libérer] toutes les armes [dont les Palestiniens disposent] à l’ONU » contre les États-Unis et notamment, a-t-il déclaré, la réouverture de « toute la boîte de Pandore », en référence aux décisions de la Cour pénale internationale sur les colonies illégales israéliennes et le mur de séparation.

À mesure que les tensions escaladent, les chances d’un nouveau soulèvement palestinien et de nouvelles attaques terroristes augmentent également, une situation qui menace la sécurité intérieure d’Israël.

Des intérêts particuliers ?

Après la victoire de Trump, le ministère israélien des Affaires étrangères a distribué un document, intitulé « L’administration Trump – Commentaires préliminaires », qui propose une évaluation préliminaire de la politique étrangère de Trump au Moyen-Orient.

Selon Haaretz, qui a bénéficié d’un accès exclusif à ce document rédigé par le Centre pour la recherche politique du ministère, les auteurs estiment que Trump réduira l’implication des États-Unis dans la région.

« Les États-Unis ont un rôle à jouer dans le maintien d’un équilibre des pouvoirs dans lequel Israël peut prospérer et survivre. Sans cet équilibre, cette région est plus dangereuse »

- Bruce Maddy-Weitzman, Université de Tel-Aviv

« Dans le cadre de son intérêt minimal pour les affaires étrangères, Trump ne voit pas le Moyen-Orient comme un bon investissement, indique le document. Il est en outre raisonnable de supposer qu’il cherchera à réduire la participation américaine dans la région, tout en s’engageant dans le même temps à maintenir la lutte contre l’État islamique et l’élan créé dans la bataille pour les villes de Mossoul en Irak et Raqqa en Syrie, qui continuera de jouir du soutien de son administration. »

De nombreux analystes ont soutenu que la diminution de l’implication des États-Unis sous l’administration Trump affecterait négativement l’équilibre régional des pouvoirs, un phénomène qui n’est pas conforme aux intérêts d’Israël en matière de sécurité régionale.

Parmi ces analystes figure Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste de la politique du Moyen-Orient au centre Dayan de l’Université de Tel Aviv.

« Si les États-Unis ne sont pas impliqués [dans la région du Moyen-Orient], l’équilibre des pouvoirs sera affecté négativement. Le renforcement de l’influence russe et les efforts consentis par l’Iran et la Turquie pour faire étalage de leur pouvoir ne jouent pas en faveur de l’intérêt d’Israël », a récemment indiqué le Jerusalem Post.

« Les États-Unis ont un rôle à jouer dans le maintien d’un équilibre des pouvoirs dans lequel Israël peut prospérer et survivre. Sans cet équilibre, cette région [le Moyen-Orient] est plus dangereuse. »

Un équilibre bousculé

Historiquement, la politique étrangère américaine au Moyen-Orient est interventionniste et les dirigeants démocrates comme républicains ont tenté d’y protéger les intérêts des États-Unis, ainsi que ceux de leurs alliés, y compris Israël.

En outre, les États-Unis ont visé à garantir la stabilité régionale en maintenant un équilibre spécifique des pouvoirs, assumant le rôle d’acteur hégémonique étranger au Moyen-Orient.

Le président égyptien Anouar el-Sadate, le Premier ministre israélien Menahem Begin et le président américain Jimmy Carter signent un accord de paix à la Maison Blanche, en septembre 1978 (AFP)

Sur la base des déclarations faites par Trump lors de la campagne présidentielle, la politique étrangère américaine dans la région sous son administration ne sera pas aussi interventionniste que par le passé.

Par conséquent, les États-Unis ne continueront pas d’être le seul acteur étranger qui contrôle l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient, laissant ainsi un vide du pouvoir qui augmentera l’influence russe dans la région en faveur de ses alliés, notamment l’Iran et le régime syrien de Bachar al-Assad, deux ennemis d’Israël.

Cette situation engendrera davantage d’instabilité régionale et menacera les intérêts à long terme d’Israël en matière de sécurité régionale, en particulier dans le nord du pays, où le Hezbollah constitue toujours une source de graves préoccupations.

De nouveaux alliés naturels

Dans une interview récemment accordée à la RTP, télévision d’État portugaise, Assad a défini Trump comme « un allié naturel » si le président élu remplit sa promesse de campagne en « combatt[ant] les terroristes », en référence aux militants de l’autoproclamé État islamique.

Ce changement de stratégie des États-Unis dans la région enverra le message suivant aux anciens alliés américains : « Vous êtes livrés à vous-mêmes »

Dans une interview accordée en mars au New York Times, Trump a affirmé penser que « l’approche consistant à combattre en même temps l’État islamique et Assad [était] une folie et une idiotie ».

« Ils se battent entre eux, et pourtant, nous les combattons tous les deux. [...] Je pense que l’État islamique est pour nous un problème beaucoup plus grand qu’Assad, j’ai toujours ressenti cela. [...] On ne peut pas combattre deux personnes qui se battent entre elles et les combattre ensemble. Il faut choisir l’un ou l’autre », a-t-il ajouté, indiquant qu’il viserait le groupe terroriste.

Ce changement de stratégie des États-Unis dans la région enverra le message suivant aux anciens alliés américains : « Vous êtes livrés à vous-mêmes. » Et ceci pourrait donner lieu à une course aux armements ayant des conséquences désastreuses pour Israël et le reste de la région.

- Tania Ildefonso Ocampos est une analyste politique espagnole spécialisée dans les stratégies de l’UE au Moyen-Orient. Elle a effectué par le passé un stage Robert Schuman (à l’Unité euro-méditerranéenne et moyen-orientale de la Direction générale des politiques extérieures du Parlement européen) et elle a obtenu un master en Histoire du Moyen-Orient à l’université de Tel-Aviv, en Israël.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et Donald Trump discutent en septembre 2016 lors d’une rencontre à New York (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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