La résistance de la classe moyenne iranienne
La révolution iranienne a été le résultat d’un siècle d’affrontements entre le système culturel traditionnel et le système culturel contemporain, entre religieux et les laïcs, entre esprits despotiques et démocratiques.
Réagissant à la corruption extravagante et aux violations flagrantes des droits de l’homme auxquelles se livraient le shah et sa police secrète meurtrière, la révolution de 1979 a provoqué l’effondrement de la monarchie iranienne.
Si l’Iran se retrouve un jour à l’aube d’une nouvelle ère de liberté et d’élargissement des libertés civiles, ce sera grâce à la capacité du peuple iranien provenant de tous les horizons de la société à s’adapter et à prospérer
L’ascension au pouvoir de l’ayatollah Khomeini et du fondamentalisme islamique a été accompagnée de sanctions imposées par les États-Unis qui ont rompu la participation iranienne au marché mondial.
L’interdiction du pétrole brut iranien dans les années 1980 a évolué vers une interdiction totale de toutes les marchandises produites par l’Iran et un embargo sur les exportations occidentales. En 1995, l’administration Clinton a approfondi ces mesures en mettant sur liste noire des entreprises qui ont investi plus de 20 millions de dollars dans l’industrie pétrolière iranienne.
Ces sanctions ont eu des conséquences de grande envergure et touché toutes les facettes de la vie iranienne, de l’explosion des frais médicaux aux crashs d’avion fréquents résultant de l’interdiction des ventes d’avions, qui a contraint les voyageurs à embarquer dans des avions encore équipés de pièces défectueuses datant de la dynastie Pahlavi. Beaucoup de gens ont perdu leur fortune, leur entreprise et leurs moyens de subsistance.
S’adapter et économiser
Au cours de la période des sanctions, beaucoup se sont plaints du fait que les détenteurs du pouvoir se servaient des restrictions pour tout justifier, qu’il s’agisse des violations des droits de l’homme, de la violence étatique, de la réduction des salaires ou des peines trop sévères.
Les membres de la classe moyenne iranienne ont réussi à s’adapter. Se trouvant dans l’incapacité de s’engager avec les banques étrangères, ils se sont servis de banques émiraties et turques pour effectuer des transactions commerciales internationales. Ayant joui auparavant d’un niveau de vie élevé, ils ont appris à économiser. Le marché noir iranien proposait des marchandises inaccessibles par des voies légales et dans la mesure où le rial a chuté, les Iraniens ont investi dans des actifs qui auraient conservé leur valeur, comme les pierres précieuses et l’or.
La guerre de huit ans avec l’Irak a tué plus d’un million de soldats et de civils irakiens et iraniens et a frappé encore plus durement l’économie et le moral de l’Iran.
Ma famille ouvrière iranienne a connu le même effet dévastateur de la révolution, des sanctions et de la guerre que beaucoup d’autres familles iraniennes.
D’aucuns prétendent que la classe moyenne iranienne a largement échoué à consolider des réformes politiques réelles en vue de créer des libertés démocratiques ; toutefois, la plupart des pays du Moyen-Orient en proie à l’instabilité politique et économique ne sont pas en mesure de nourrir des processus démocratiques organiques et l’Iran ne fait pas exception.
Néanmoins, au fil des ans, les Iraniens se sont montrés de plus en plus créatifs pour répondre aux problèmes qui affligent leur pays. Par le biais de l’expression sociale, les Iraniens parviennent à négocier des libertés civiles dans un paysage de fondamentalisme islamique.
Une réaction créative
En formant des mouvements sociaux, les Iraniens restent indépendants des fardeaux politiques imposés par le régime iranien tout comme par le régime américain. Le refus de femmes iraniennes de porter le hijab, le foulard musulman traditionnel qui couvre les cheveux et qui est destiné à montrer sa piété et sa modestie, en est un excellent exemple.
Au fil des ans, les Iraniens se sont montrés de plus en plus créatifs pour répondre aux problèmes qui affligent leur pays
De nombreuses femmes iraniennes insistent sur le fait que le hijab doit être un choix et non une obligation politique, et cette campagne prend de l’ampleur. À la fin des années 1970, après la révolution iranienne, des milliers de femmes iraniennes issues de la classe moyenne ont protesté contre les lois imposant le hijab dans les rues de Téhéran, et cet esprit est encore très présent aujourd’hui.
Aujourd’hui, des milliers de femmes risquent leur vie en retirant leur hijab, défiant ainsi ce qu’elles perçoivent comme une oppression. La campagne « My Stealthy Freedom » (« Ma liberté furtive ») encourage les femmes à publier des photos de cheveux sans hijab sur les réseaux sociaux et invite même les hommes iraniens à porter le hijab en signe de solidarité.
Traduction : « Droits des femmes en Iran : la liberté exprimée furtivement – et son impact public http://bit.ly/2g7OgaC »
En 2015, la police de la morale iranienne (« Ershad ») a saisi les voitures de quelque 40 000 femmes pour des infractions liées au port du hijab dans le but de « maintenir le conservatisme religieux ».
Le tchador noir – le long vêtement intégral porté par les femmes musulmanes qui couvre les cheveux et cache la forme du corps – a été remplacé par des foulards aux couleurs vives. Souvent, ces foulards sont amples et montrent les cheveux, ce que les codes plus traditionnels n’autorisent pas. Certaines activistes iraniennes refusent de porter le hijab dès que cela leur est possible.
La tendance à recourir aux technologies pour promouvoir la réforme sociale ne devrait pas surprendre suite au Mouvement vert de 2009, qui a été mené en grande partie en ligne. Les Iraniens utilisent couramment plusieurs des mêmes plates-formes que les habitants des États-Unis et de l’Europe.
Waze, l’application de navigation appartenant à Google qui est née en tant que startup israélienne, a été bloquée ces derniers jours par les élites israélophobes du gouvernement après avoir gagné en popularité auprès de la population.
Les Iraniens sont à la page et utilisent les mêmes outils qui permettent une plus grande participation culturelle que ceux que l’on trouve dans n’importe quelle ville occidentale et adoptent facilement les nouvelles tendances en matière de technologie, de réseaux sociaux, de mode, de musique et d’alimentation.
L’expression artistique est généralement le feu même que les dirigeants fondamentalistes cherchent à éteindre ; pourtant, Téhéran demeure le centre d’une scène artistique contemporaine florissante et créative, bien qu’illégale.
L’Iran présente déjà l’une des traditions artistiques les plus riches au monde, recouvrant de nombreux domaines, de la littérature à l’architecture en passant par la musique, la calligraphie et la sculpture. Malgré la menace de la censure, des milliers d’artistes, de musiciens, de poètes, de sculpteurs et d’écrivains ont transformé leur mode d’expression en un phénomène social de résistance.
Un esprit prospère
Avec la levée des sanctions contre l’Iran par le président américain Barack Obama en 2015, certains ont fait part de leur optimisme quant à la réapparition de l’Iran dans divers secteurs du marché mondial, tandis que d’autres se montrent plus mesurés et anticipent une déception face à la corruption potentielle qui serait susceptible d’entraver tout bénéfice durable pour le peuple iranien.
L’esprit créatif de l’Iran et la volonté de beaucoup de ses citoyens ne correspondent clairement pas au ton employé par ses institutions gouvernementales
En janvier, le président Rohani a fait remarquer que tous les efforts fournis par l’administration Trump pour renverser l’accord multilatéral seraient semblables à un « retour en arrière ».
L’Iran possède certaines des plus grandes réserves de pétrole et de gaz au monde et si l’intention du régime est effectivement d’apporter la stabilité à ses citoyens, comme il le prétend, les investissements dans l’industrie et l’éducation feront alors partie de ses principales priorités dans une ère post-sanctions.
L’esprit créatif de l’Iran et la volonté de beaucoup de ses citoyens ne correspondent clairement pas au ton employé par ses institutions gouvernementales. Le régime iranien doit comprendre que le peuple iranien descend des Perses fondateurs de grands empires et d’innovateurs faisant partie des premiers de l’histoire. Les nouvelles contributions de la société iranienne à l’histoire de l’humanité doivent être anticipées, entretenues et accueillies positivement par ses dirigeants.
La volonté d’un peuple détermine les libertés personnelles et sociales dont il jouit indépendamment des obligations politiques ou des sanctions. Si l’Iran se retrouve un jour à l’aube d’une nouvelle ère de liberté et d’élargissement des libertés civiles, ce sera grâce à la capacité du peuple iranien provenant de tous les horizons de la société à s’adapter et à prospérer après une catastrophe et à sa détermination à fixer son propre cap.
- Amirah Masnavi a travaillé sur plusieurs continents dans plusieurs domaines, notamment dans l’enseignement auprès des femmes en Arabie saoudite ainsi qu’en tant que consultante pour l’UNESCO en France. Elle est titulaire d’une licence en sciences politiques à l’université de Californie du Sud et d’une maîtrise en études du Moyen-Orient et de l’islam de l’université américaine de Paris (The American University of Paris).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une manifestante crie des slogans contre le dirigeant iranien Mahmoud Ahmadinejad devant l’ONU à l’occasion de la 64e Assemblée générale des Nations Unies, à New York, le 23 septembre 2009 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].