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La solution pour le Yémen ? Pas de gros titres ou d’aide humanitaire. Pensez local

Au lieu de discussions sans fin entre élites à Genève ou de reportages alarmants, ceux qui cherchent à comprendre et à améliorer la situation au Yémen devraient se concentrer sur les dynamiques locales

Cela fait deux ans et neuf mois que les Houthis – un groupe insurrectionnel du nord du Yémen –, soutenus par des forces alliées à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, ont pris le contrôle de la capitale yéménite, Sanaa. Cela fait deux ans et trois mois que l’Arabie saoudite a lancé sa campagne aérienne pour restaurer le gouvernement yéménite.

Le conflit a entraîné une polarisation profonde de la communauté yéménite. Mais peu importe le camp qu’ils soutiennent, la plupart des Yéménites conviennent du fait que la poursuite du conflit menace l’existence même de notre pays.

Étant donné que le Yémen est un conflit qui n’a aucun impact direct sur l’Europe ou les États-Unis, le détail est un luxe que les réunions éditoriales et les salles de rédaction ne peuvent apparemment pas se permettre

Selon les estimations de l’ONU, près de 10 000 personnes ont été tuées, 3,1 millions d’autres sont devenues des déplacés internes et près de 14,1 millions sont en situation d’insécurité alimentaire.

En avril, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a organisé une conférence des donateurs à Genève afin de recueillir des fonds pour son plan d’intervention humanitaire au Yémen. Les pays ont promis 1,1 milliard de dollars. OCHA a indiqué que seuls 605 millions de dollars ont été reçus jusqu’à présent.

Quand vous entendez parler du Yémen dans les médias traditionnels, c’est ce même angle – la crise humanitaire dans le pays, les solutions pour y faire face et l’incapacité à répondre à ces besoins – que vous entendez le plus, sous diverses formes et apparences, encore et encore.

Même si le Yémen ne fait pas toujours les gros titres, il est facile de convaincre le public que les Yéménites se trouvent dans une situation humanitaire désespérée et ont donc besoin de dons et de paquets alimentaires. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’une bonne couverture médiatique ou même que cela aide.

Afin d’améliorer de manière significative la situation au Yémen, nous avons besoin d’une couverture médiatique complexe et nuancée. Mais étant donné que le Yémen est un conflit qui n’a aucun impact direct sur l’Europe ou les États-Unis, le détail est un luxe que les réunions éditoriales et les salles de rédaction ne peuvent apparemment pas se permettre.

Ce qui se passe à Ta’izz depuis 2011 est un bon exemple du type de détails locaux que les journalistes, les organisations d’aide et les Nations unies doivent comprendre pour mieux répondre à la crise actuelle dans le pays.

Comment les détails ont leur importance à Ta’izz

Des combats font rage à Ta’izz depuis près de deux ans entre les forces Houthis-Saleh et les combattants de la résistance locale, fidèles au président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi.

En février 2015, alors que les forces Houthis-Saleh avançaient vers le sud, elles prirent le contrôle de la ville en vue d’assurer un accès militaire à Aden, que Hadi déclara capitale temporaire. Mais elles durent faire face aux nombreuses protestations de ceux qui essayaient d’empêcher leur avancée vers Aden.

Ce qui se passe à Ta’izz depuis 2011 est un bon exemple du type de détails locaux que les journalistes, les organisations d’aide et l’ONU doivent comprendre pour mieux répondre à la crise actuelle

Après que les forces Houthis-Saleh tuèrent de nombreux manifestants, la situation empira rapidement, passant d’une situation déjà tendue à une confrontation armée. Ta’izz devint une zone de guerre et les combats commencèrent dans presque chaque rue.

Le gouvernement yéménite décida de soutenir la Résistance populaire, surtout après la décision de l’Arabie saoudite d’intervenir et de soutenir Hadi. En août 2015, la résistance parvint à chasser les Houthis hors de la vieille ville, à l’ouest. Les Houthis contrôlent toujours la partie orientale.

Après août 2015, les forces Houthi-Saleh ont assiégé l’ouest de Ta’izz, empêchant l’entrée de nourriture, d’eau, d’aide humanitaire et de fournitures médicales. La situation est devenue si grave que le chef des affaires humanitaires de l’ONU a publié une déclaration condamnant le blocus. L’ensemble du système de santé s’est effondré et seulement trois hôpitaux de la ville continuent de fonctionner aujourd’hui, et ce de manière très limitée.

Des Yéménites se réunissent à Ta’izz en février 2015 contre les Houthis (AFP)

En décembre 2015, l’envoyé de l’ONU au Yémen, Ismaïl Ould Cheik Ahmed, a préparé la deuxième série de pourparlers de paix. Il a suggéré des mesures de mise en confiance mutuelle, y compris un cessez-le-feu, la création de comités de désescalade, la libération des prisonniers, la levée du blocus saoudien et l’accès de l’aide humanitaire aux zones assiégées.

Ces mesures étaient censées être mises en œuvre à l’échelle nationale avant les pourparlers de paix. Cependant, la deuxième série de pourparlers a pris fin, aucune des mesures n’a été mise en œuvre et, à Ta’izz, le siège a continué.

Mettre fin au siège

La ville a reçu un déluge de missiles et, lors de la troisième série de pourparlers de paix en juin 2016, une série de bombardements a entraîné la mort de 60 civils, selon Watch Team, une ONG qui fournit un soutien aux civils dans les zones assiégées de Ta’izz.

Selon Akram el-Shawafi, membre de Watch Team et l’un des nombreux civils actuellement piégés dans la ville à la recherche d’une solution claire pour mettre fin à leur misère, le nombre de victimes civiles à Ta’izz a dépassé les 3 000.

J’ai parlé avec Akram il y a quelques semaines, peu de temps après la conférence des donateurs de l’OCHA à Genève. Il se demandait comment l’ONU et les pays donateurs aideraient vraiment à mettre fin au siège de sa ville.

Au lieu de recueillir de l’argent ou d’essayer de mettre en œuvre des mesures nationales en amont des négociations, l’ONU, a-t-il insisté, devrait se concentrer sur la fin du siège et faire pression sur les forces Houthis-Saleh pour qu’elles permettent l’accès de l’aide humanitaire afin de parvenir à une solution pour le pays dans son ensemble.

L’aide humanitaire – l’absence et le besoin de celle-ci – peut faire de gros titres tapageurs, mais des titres qui cachent le véritable problème

Si l’ONU réussissait à mettre fin au siège de Ta’izz, elle fournirait une avancée dans les pourparlers de paix et montrerait à l’ensemble du pays que le conflit approche de sa fin.

Le siège et les missiles qui continuent de tomber ne sont pas les seuls problèmes auxquels sont confrontés les habitants de Ta’izz. Selon le vice-gouverneur de Ta’izz, près de 400 000 personnes vivent encore dans la ville et les fonctionnaires n’ont pas reçu leurs salaires depuis huit mois.

Alors que le siège continue, Akram et ses collègues reçoivent un soutien de l’étranger qu’ils redirigent vers les habitants de Ta’izz, mais cela ne peut durer pour toujours, préviennent-ils. L’envoi de paquets alimentaires ne résoudra pas la crise.

Trouver des solutions permanentes

L’aide humanitaire peut fournir des solutions temporaires, mais elle ne peut couvrir l’absence de gouvernement. Le gouvernement yéménite peut certes revendiquer sa légitimité, mais en ne versant pas les salaires, il met en danger des milliers de personnes.

La levée du siège et le paiement des salaires sont des problèmes urgents que la communauté internationale et le gouvernement yéménite peuvent résoudre. Au lieu de discussions sans fin avec des politiciens de haut rang à Genève, ces problèmes nécessitent une approche ascendante, une décentralisation des programmes et un travail avec les conseils locaux.

Ta’izz n’est pas la seule ville à traverser une crise. Dans le nord du Yémen, la ville de Saada a eu sa part de la crise humanitaire actuelle. Les bombardements continus de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, notamment les frappes contre des marchés et des hôpitaux, ont fait de nombreuses victimes et forcé de nombreuses personnes à évacuer leurs maisons.

En mars 2017 à Saada, des écoliers yéménites se tiennent à l’extérieur des tentes qui leur servent de classe après que l’école locale a été endommagée lors des combats (AFP)

Au cours des deux dernières années, de nombreux Yéménites ont perdu confiance et espoir dans la communauté internationale. L’aide humanitaire – l’absence et le besoin de celle-ci – peut faire de gros titres tapageurs, mais des titres qui cachent le véritable problème.

Le problème au Yémen est que les griefs locaux qui ont été étouffés par le gouvernement central pendant de nombreuses années ont maintenant émergé, et qu’il sera difficile – voire impossible – pour les élites de Sanaa de les étouffer à nouveau. Le peuple yéménite le sait, mais l’ONU, qui continue de traiter la crise au niveau des élites, ne le sait pas.

- Baraa Shiban est un activiste des droits de l’homme yéménite. Il est chercheur pour l’organisation des droits de l’homme Reprieve et a été le coordinateur de projet de cette organisation au Yémen.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants anti-gouvernementaux yéménites exigent le départ du président Ali Abdallah Saleh à Ta’izz en juillet 2011 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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