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La survie de Rohani dépend de l’accord sur le nucléaire

Personne ne s’est davantage investi pour aboutir à l’accord historique scellé à Lausanne que le Président iranien Hassan Rohani

L’accord-cadre annoncé à Lausanne est plus détaillé et complet que prévu. A moins de difficultés inattendues ou d’événements dramatiques, ce dernier ouvre la voie à la signature d’un accord officiel historique le 30 juin.

Selon des informations dévoilées jeudi, il semble que l’Iran ait fait d’importantes concessions dans les derniers jours et les dernières heures de ces négociations marathon. Etant donné que le programme nucléaire représente trente ans d’engagement politique, stratégique et financier, c’est une reculade importante de la part de l’Iran.

S’il semble que des négociations intenses peuvent encore être nécessaires jusqu’à la date limite officielle du 30 juin, l’optimisme est légitime à ce stade. Le capital politique et diplomatique investi tant par les Iraniens que par les Américains est trop important pour que ceux-ci se séparent sans avoir conclu un accord global.

Une fois que l’accord final aura été signé, ce sera probablement l’accord diplomatique le plus complexe et le plus important des temps modernes, au vu du nombre de pays impliqués et de l’enjeu, à savoir la résolution pacifique du différend portant sur le nucléaire iranien.

Cet accord a de nombreux détracteurs et adversaires, autant de puissantes factions qui y sont opposées pour des raisons idéologiques et politiques, symbolisées par les faucons et partisans de la ligne dure aussi bien à Washington qu’à Téhéran.

Le Président iranien Hassan Rohani a effectivement joué son avenir politique avec cet accord sur le nucléaire et l’aubaine politique et économique qui l’accompagne. Il a fait naître de telles attentes chez l’opinion publique qu’en l’absence d’un accord durable, il est peu probable qu’il soit reconduit pour un second mandat. 

La normalisation de l’Iran  

Hassan Rohani a remporté les élections présidentielles de juin 2013 en grande partie grâce à sa promesse de lever les sanctions, et par extension de résoudre le différend sur le programme nucléaire controversé de l’Iran.

C’était une grande promesse, mais néanmoins crédible, compte tenu de ses trente ans d’expérience en tant que pilier compétent de la classe au pouvoir. Jusqu’ici, Hassan Rohani a tenu sa promesse, comme en témoigne l’accord préliminaire annoncé jeudi.

Pour mieux comprendre les intentions d’Hassan Rohani, il faut examiner la philosophie sous-jacente qui anime sa politique étrangère. Au fond, c’est un conservateur pragmatique possédant une connaissance approfondie de la doctrine relative à la sécurité nationale et des institutions de la République islamique. En conséquence, les institutions iraniennes sensibles lui accordent toute leur confiance, en particulier les puissants Gardiens de la révolution islamique (GRI).

Lors de la campagne pour l’élection de juin 2013, son équipe lui a attribué la couleur « violet » pour le distinguer des factions réformistes du pays, connues collectivement comme le « mouvement vert ». Le message politique était clair : Hassan Rohani est un centriste, et bien qu’il puisse être proche des réformistes sur certaines questions, il s’efforcera néanmoins d’affirmer ses propres positions en ce qui concerne les enjeux majeurs.

Son équipe dédiée à la politique étrangère est exceptionnellement forte. Le ministre des Affaires étrangères et responsable des négociations sur le nucléaire, Mohammad Javad Zarif, incarne le potentiel et la force de cette équipe. Diplomate iranien chevronné, il est tenu en haute estime dans les milieux occidentaux de la diplomatie et du renseignement.

Mohammad Javad Zarif est déjà entré dans l’histoire de la diplomatie en brisant l’un des plus grands tabous de la République islamique, à savoir parler directement aux Etats-Unis. La relation étroite qu’il a forgée avec le secrétaire d’Etat américain John Kerry domine désormais l’imagerie et le symbolisme liés à ces négociations prolongées sur le nucléaire. Il y a quelques années encore, ces images auraient été impensables.

Nous arrivons là au cœur du sujet. Pour Hassan Rohani et son équipe, la résolution de la question nucléaire est synonyme de fin de la guerre froide entre la République islamique et les Etats-Unis. Bien qu’une totale normalisation ne soit pas à l’ordre du jour (dans tous les cas, cela prendra des années), il est clair que Mohammad Javad Zarif et ses alliés visent à établir des relations américano-iraniennes stables.

A tous points de vue, c’est une ambition immense qui aura des répercussions non seulement sur l’ensemble des aspects de la politique étrangère iranienne, mais probablement aussi sur la politique intérieure. Après tout, l’opposition aux Etats-Unis a été une caractéristique fondamentale de la culture politique iranienne post-révolutionnaire.   

Un pari audacieux

La grande ambition de Mohammad Javad Zarif n’a d’égale que les limites imposées à sa fonction. A l’heure actuelle, la politique étrangère iranienne semble avoir deux responsables : Mohammad Javad Zarif gère les relations avec l’Occident, tandis que le général Qasem Soleimani, commandant de la force al-Qods des Gardiens de la révolution iranienne, dirige efficacement la politique iranienne dans la région.

Cela reflète les souhaits du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui semble avoir donné à Hassan Rohani et à Mohammad Javad Zarif le feu vert pour parvenir à un accord sur le nucléaire avec les Etats-Unis afin de soulager les difficultés économiques.

Dans le même temps, Ali Khamenei croit clairement que la force al-Qods des GRI est l’institution la plus compétente pour gérer et diriger les intérêts iraniens dans un Moyen-Orient qui se fragmente et s’effondre à toute allure.

Mais au-delà de ces défis institutionnels, le Président et son équipe de politique étrangère font face à un obstacle beaucoup plus grand, à savoir convaincre la majeure partie des loyalistes de la République islamique du bien-fondé d’un rapprochement nuancé avec les Etats-Unis.

Ce problème est aussi ancien que la République islamique elle-même. Alors que les réformateurs et les « centristes » alliés à Hassan Rohani sont convaincus que l’Iran doit engager le dialogue de façon systématique avec les Etats-Unis pour atteindre ses objectifs dans la région et au-delà, la majeure partie des loyalistes de la République islamique n’est pas de cet avis.

Surmonter cet obstacle nécessite un véritable débat national qui prenne pleinement en compte les vicissitudes des relations entre les Etats-Unis et l’Iran depuis la révolution iranienne. Cela demanderait également de véritables gestes de bonne volonté de la part des Etats-Unis, par opposition à la Realpolitik poursuivie par le Président Barack Obama.

Un débat national n’intéresse pas Hassan Rohani et Mohammad Javad Zarif puisqu’ils ont pleinement conscience de leur faiblesse politique et institutionnelle au sein du système. Au contraire, ils espèrent qu’un accord sur le nucléaire créera un élan irrésistible vers un engagement plus conséquent avec les Etats-Unis.

C’est un pari audacieux dans la mesure où Hassan Rohani négociera son intégrité idéologique et sa cohérence politique pour un gain politique à court terme. Même si l’accord sur le nucléaire s’avère durable, il est peu probable que la République islamique se réconcilie avec les Etats-Unis à moins et jusqu’à ce qu’un changement idéologique et culturel ne se produise à Téhéran.       

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.    

Légende photo : le Président iranien Hassan Rohani s’affiche lors de l’inauguration de la phase 12 des installations du champ gazier de South Pars dans le port iranien d’Assalouyeh, sur la côte du Golfe, le 17 mars 2015 (AFP/Présidence iranienne).

Traduction de l’anglais (original).

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