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L’absence de plan B exacerbe les tensions en Algérie

Le pouvoir algérien n’envisage aucune autre issue que la réélection du président Abdelaziz Bouteflika pour un 5e mandat. Un pari à la limite de l’absurde, que la rue pourrait rendre perdant
Des Algériens détachent un panneau géant représentant le président Abdelaziz Bouteflika lors d’une manifestation contre sa candidature pour un 5e mandat, le 22 février 2019 à Alger (AFP)

En l’absence d’un plan B, les dirigeants algériens sont tentés par un passage en force pour maintenir le président Abdelaziz Bouteflika au pouvoir à la faveur de l’élection présidentielle du 18 avril prochain, malgré une large contestation populaire.

Ressenti comme une humiliation par de larges franges de la société algérienne, ce choix a provoqué une crispation, coupant l’Algérie en deux : des cercles de pouvoir enfermés dans une logique de survie et une société en ébullition, sortie dans la rue depuis le 22 février pour s’opposer au 5e mandat d’un président fortement diminué sur le plan physique et incapable d’exercer le pouvoir.

Mardi 26 février, Abdelmalek Sellal, directeur de campagne du président Bouteflika, a annoncé que celui-ci déposerait son dossier de candidature au Conseil constitutionnel le 3 mars prochain. Personne ne peut empêcher un citoyen algérien d’être candidat, à part le Conseil constitutionnel, a déclaré M. Sellal.

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La démarche des partisans de M. Bouteflika semble dictée par l’urgence : prendre les devants, avant l’acte II de la protestation, prévu ce vendredi 1er mars, pour imposer un fait accompli supposé décourager les protestataires. L’annonce faite par M. Sellal peut en effet envoyer un signal fort selon lequel le pouvoir est déterminé à imposer son candidat, ce qui refroidirait une partie des protestataires potentiels.

C’est un moment psychologique important : avec les marches du 22 février, la candidature de M. Bouteflika est apparue dans toute son absurdité. Un succès de la seconde protesta le 1er mars risque de disqualifier définitivement le chef de l’État sortant. D’où l’empressement de M. Sellal à confirmer cette candidature et à imposer un calendrier.

Mais ce redoutable jeu de la surenchère peut tout autant avoir un effet inverse, avec une exacerbation de la colère et une amplification de la protestation, au risque de déboucher sur un affrontement final redouté. Car après la marche du 22 février, toute la semaine a été marquée par des marches impliquant différentes catégories sociales, médecins, avocats, étudiants, etc.

Aucune sortie de route possible

Dans le scénario mis en place par les partisans de M. Bouteflika, il est remarquable que le pouvoir n’a pas prévu de plan B. Il a même verrouillé toutes les sorties possibles pouvant mener vers une négociation et une issue susceptible de ménager les uns et les autres.

Comment expliquer cette attitude obstinée, à la limite suicidaire, d’un pouvoir qui joue le tout pour le tout sur un candidat incapable de parler, de se mouvoir, de faire des discours et de tenir des réunions ?

Le Conseil constitutionnel peut, à titre d’exemple, refuser une candidature pour des raisons médicales. Mais personne ne voit le président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, prendre une telle initiative. En effet, M. Belaïz, installé dans ses nouvelles fonctions il y a dix jours pour remplacer Mourad Medelci, décédé trois semaines plus tôt, est un ancien conseiller du président Bouteflika, auquel il doit toute sa carrière. Personne en Algérie n’imagine que ce conseiller puisse invalider une candidature de M. Bouteflika.

De son côté, Seddik Chiheb, un dirigeant du Rassemblement national démocratique (RND) du Premier ministre Ahmed Ouyahia, a laissé entendre en début de semaine que si son parti soutenait Bouteflika « à l’instant T », ceci pouvait changer en fonction de l’évolution de la situation.

Toutefois, sa déclaration a été rapidement enterrée par les partisans du chef de l’État, qui n’envisagent aucune autre issue que le maintien de leur candidat. Mouadh Bouchareb, président de l’Assemblée nationale (APN, chambre basse du Parlement), a déclaré que le président Bouteflika était une « ligne rouge » et que les protestataires pouvaient « rêver » s’ils pensaient que leur action changerait la donne.

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Comment expliquer cette attitude obstinée, à la limite suicidaire, d’un pouvoir qui joue le tout pour le tout sur un candidat incapable de parler, de se mouvoir, de faire des discours et de tenir des réunions ?

Dans les milieux informés, on cite trois facteurs principaux. Le premier concerne un engagement, une sorte de pacte, conclu avec les principaux dignitaires du pouvoir pour maintenir Abdelaziz Bouteflika à son poste tant qu’il est vivant. Au cœur de ce pacte, se trouve le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, puissant chef d’état-major de l’armée, une institution dont le poids est déterminant dans la désignation du président de la République.

Le second élément concerne l’absence de consensus sur un éventuel successeur. Il est significatif de voir qu’aucun candidat de l’intérieur du pouvoir ne s’est affirmé à l’ombre de M. Bouteflika. Les ambitions cachées des personnalités de premier plan ne peuvent être affichées en raison d’une règle non écrite qui veut que tout candidat affiché devienne de fait la cible de tous les rivaux potentiels.

Le troisième facteur concerne le temps nécessaire à la fabrication d’un nouveau candidat. Entre les manifestations du 22 février et la date limite de dépôt des candidatures, le 4 mars, il y avait moins de dix jours. Impossible, en une période aussi courte, de trouver un candidat acceptable pour les cercles du pouvoir, particulièrement pour un système algérien extrêmement lourd.

Pas de concurrent

Un ancien haut responsable, qui a longtemps côtoyé le président Abdelaziz Bouteflika, affirme que cette situation porte « la marque de fabrique » du chef de l’État lui-même.

Disciple de Abdelhafid Boussouf, le père des services spéciaux algériens, compagnon du président Houari Boumédiène dont il a été l’inamovible ministre des Affaires étrangères pendant quatorze ans, Abdelaziz Bouteflika « a vécu l’essentiel de sa vie au cœur du pouvoir », affirme cet ancien haut responsable.

« [Bouteflika] pense que la vocation d’un numéro deux est naturellement de pousser le numéro un vers la porte de sortie pour le remplacer. Il a donc toujours veillé à éviter l’émergence d’un successeur potentiel crédible et populaire »

« Il en connait les rouages et les mécanismes, et il pense, à ce titre, que la vocation d’un numéro deux est naturellement de pousser le numéro un vers la porte de sortie pour le remplacer. Il a donc toujours veillé à éviter l’émergence d’un successeur potentiel crédible et populaire. »

En organisant le pouvoir autour de sa personne, il place tout le personnel politique en situation de précarité, donc de dépendance. Il peut congédier les uns en s’appuyant sur les autres, sans jamais se retrouver en difficulté.

Le résultat est frappant : tous s’accrochent à lui, malgré son état de santé, car personne ne dispose d’un pouvoir propre à lui. Larbi Belkheir, homme clé du système algérien pendant deux décennies, Toufik Mediène, puissant patron des services spéciaux pendant un quart de siècle, Mohamed Lamari, ancien chef d’état-major, ont été broyés.

D’autres ont subi des humiliations encore plus retentissantes : Ahmed Ouyahia a été éjecté de son propre parti et renvoyé chez lui, avant d’être rappelé pour faire la campagne de M. Bouteflika en 2014 !

Un autre dirigeant du FLN pendant la guerre d’Algérie résumait la démarche de Bouteflika : pour lui, « il ne s’agit pas d’être le meilleur ou le premier, il suffit de faire en sorte qu’il n’y ait pas de concurrent ». C’est ce qu’il veut mettre en place le 18 avril : pas de plan B dans son camp, pas de concurrent à l’extérieur. À moins que la rue ne fausse la donne.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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