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Le « coup d’État coronavirus » de Benyamin Netanyahou est en train d’échouer

Les choses semblaient pliées. Gantz, principal rival de Netanyahou, est parvenu la semaine dernière à rassembler une majorité de députés afin de former un gouvernement. Mais le Premier ministre sortant et ses sbires ne comptent pas lâcher le pouvoir si simplement
Le Premier ministre Benyamin Netanyahou lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre israélien de la Santé concernant les nouvelles réglementations et les préparatifs relatifs au coronavirus, au ministère de la Santé à Jérusalem, le 4 mars (AFP)

Il est vrai que la situation paraissait invraisemblable. Alors que Benny Gantz, leader de la liste Bleu Blanc, se fait photographier avec Avigdor Lieberman, leader de l’extrême droite laïque russophone, puis annonce une rencontre entre des représentants de sa liste et celle d’Ayman Odeh, chef de file de la Liste unifiée, une coalition judéo-arabe et non sioniste, pour officialiser sa réussite dans le rassemblement d’une majorité de députés contre Netanyahou, ce dernier multiplie les prises de parole concernant le risque sanitaire lié à l’épidémie de coronavirus.

Le 16 mars, Reuven Rivlin, président d’Israël, demande officiellement à Benny Gantz de former un gouvernement. Celui-ci peut s’appuyer sur le soutien d’une majorité fragile de 61 députés (sur les 120 que compte la Knesset). Netanyahou, de son côté, rassemble 58 députés, comprenant les partis ultra-orthodoxes et l’extrême droite.

Netanyahou en protecteur de la nation contre le coronavirus

Parallèlement aux négociations menées par Gantz, les cadres du Likoud multiplient les coups tordus pour déstabiliser le camp adverse. D’abord, les soutiens de Gantz sont attaqués par les fidèles de Netanyahou, au motif qu’ils pactiseraient avec les Palestiniens d’Israël. Trois députés censés soutenir Gantz font ainsi défection, refusant de participer à une majorité soutenue par la Liste unifiée. 

Le bloc de Gantz contre-attaque en proposant le vote de plusieurs lois interdisant à une personne mise en examen d’être au gouvernement. Netanyahou décide alors la fermeture de la Knesset, au motif du coronavirus, avec le soutien de ses fidèles, le président du Parlement, Yuli-Yoel Edelstein, et le ministre de la Justice, Amir Ohana.

Netanyahou ne joue pas seulement son avenir politique. Le 17 mars devait s’ouvrir son procès pour corruption, repoussé à fin mai à cause de l’épidémie. Ce qu’il craint par-dessus tout, avec la perte du pouvoir, c’est de se retrouver face à ses juges sans l’immunité qu’il réclame depuis des mois.

Un bureau de vote en Israël lors de l’élection législative du 2 mars en pleine crise de coronavirus (AFP)
Un bureau de vote en Israël lors de l’élection législative du 2 mars en pleine crise de coronavirus (AFP)

Dans l’impossibilité de barrer la route à son rival, Netanyahou opte pour une autre stratégie. Alors que le pays compte, à la mi-mars, moins de 300 cas et aucun décès, les cadres du Likoud multiplient les déclarations appelant à la formation d’un gouvernement « d’unité nationale anti-coronavirus ». 

Leur appel se base sur de réelles estimations médicales indiquant que plusieurs milliers d’Israéliens pourraient contracter le COVID-19.

Sauf que, comme à son habitude, Netanyahou s’exprime sans que l’on sache si ce qu’il proclame est un fait ou une déclaration d’intention. Ainsi, Gantz se déclare ouvert à la discussion mais affirme n’avoir reçu aucune invitation officielle du Premier ministre.

Annexion et haine anti-arabe, meilleur ciment pour une coalition ?

Netanyahu cherche à gagner du temps, et les pressions continuent d’être exercées sur les députés devant former la coalition menée par Gantz. Là encore, la Liste unifiée et Ayman Odeh sont au cœur des attaques. 

Le Likoud considère que ces derniers ne devraient pas faire partie de l’équation politique, tandis que Gantz refuse tout projet d’unité nationale ne comprenant pas les partis représentants les Palestiniens d’Israël, qui comptent pour un quart de la population. 

En réalité, tous deux n’ont aucune volonté de former un gouvernement d’unité, s’arc-boutant sur des principes qui ne visent qu’à menacer la cohésion de la coalition adverse. Pendant sa campagne, Gantz n’a cessé d’affirmer qu’il ne gouvernerait qu’avec une « majorité juive », n’hésitant pas à rappeler ses faits d’armes contre la bande de Gaza.

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Ainsi, entre le 17 et le 18 mars, le ministre de l’Économie, Eli Cohen, ainsi que les députés du Likoud May Golan et Miki Zohar annoncent le dépôt d’un projet de loi visant à annexer immédiatement la vallée du Jourdain. La stratégie est claire : obliger Gantz à se positionner nettement, pour voir ses soutiens se diviser. 

Lieberman, qui vit dans une colonie en Cisjordanie (Nokdim) et dont une petite partie de l’électorat (moins de 4 000 voix en septembre 2019) vit dans les colonies, ne pourrait s’y opposer. Tandis qu’Odeh et la Liste unifiée s’opposent explicitement à tout projet unilatéral d’annexion.

Tout nouveau projet de loi ne pouvant être voté que par la Knesset élue le 2 mars, il faut naturellement que celle-ci se réunisse. Avant que le Parlement puisse voter des lois, une élection doit désigner son président. La coalition de Gantz prévoit logiquement de dégager  Edelstein de son poste de président du Parlement, mais celui-ci maintient la fermeture de la Knesset.

Le 20 mars, Netanyahou décrète l’état d’urgence pour raison sanitaire, alors qu’il n’est plus censé diriger le pays, ne disposant plus de la majorité des députés. Cela complète sa décision, prise le 17 mars, d’accroître le pouvoir de surveillance de la police et du Shin Bet, invoquant l’importance de surveiller les individus soupçonnés d’être atteints du COVID-19.

La « première dictature coronavirus »

Cette décision provoque la colère des opposants à Netanyahou, qui crient au « coup d’État coronavirus », voire, comme l’intellectuel Yuval Noah Harari, à la « première dictature coronavirus ».

L’enjeu sera, dans les prochaines semaines, de voir la capacité de Gantz à faire face aux deux virus qui rongent la société israélienne, et notamment son propre camp : le COVID-19 et le racisme anti-arabe

De Tel Aviv à Jérusalem, un cortège d’une centaine de véhicules manifeste contre ce qu’il estime être un déni de démocratie. Sur Facebook, une initiative de manifestation virtuelle rassemble jusqu’à 600 000 Israéliens. Des ex-responsables du Shin Bet, du Mossad et de la Cour suprême y prennent part, et appellent Gantz à ne surtout pas rejoindre de gouvernement avec Netanyahou.

Lundi 23 mars, la Cour suprême ordonne à Edelstein d’organiser un vote sur le choix du président de la Knesset. Ce à quoi Netanyahou répond que ses soutiens boycotteraient la séance plénière, accusant Gantz de « conduite dictatoriale et destructrice ». Le Likoud met en cause, dans un communiqué, la majorité obtenue par le leader de Bleu Blanc grâce au soutien de la Liste unifiée, « partisane du terrorisme ».

Pour l’heure, si Netanyahou est toujours Premier ministre, il ne semble plus avoir beaucoup d’autres d’issues que la sortie. Dans la nuit de lundi à mardi, plusieurs comités de la Knesset ont pu se réunir et préparer la transition. Edelstein décide mercredi matin, après 24 heures de tergiversation, de quitter la présidence du Parlement plutôt que de faire face à un vote.

Netanyahou peut encore essayer de gagner du temps, mais pas d’inverser le rapport de force. L’enjeu sera, dans les prochaines semaines, de voir la capacité de Gantz à faire face aux deux virus qui rongent la société israélienne, et notamment son propre camp : le COVID-19 et le racisme anti-arabe.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Thomas Vescovi est enseignant et chercheur indépendant en histoire contemporaine. Il est l’auteur de La Mémoire de la Nakba en Israël (L’Harmattan, 2015) et L’Échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël (La Découverte, 2021)
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