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Le long et sanglant cheminement de Bachar al-Assad vers la Ghouta orientale

Le gouvernement syrien et ses alliés ont tout intérêt à vider la zone de ses habitants originels et à rendre ce changement démographique permanent

La brutalité de la campagne menée par les forces gouvernementales syriennes et la Russie dans la Ghouta orientale pose naturellement la question de leur objectif final. 

La réponse est liée à l’emplacement stratégique de la Ghouta orientale, aux objectifs à long terme du gouvernement et de la Russie pour le changement démographique en Syrie et au futur des groupes rebelles dans cette zone.

L’analyse des moyens mis en œuvre par le gouvernement syrien et la Russie et de leurs conséquences est aussi importante que l’objectif final. 

Blocage de l’aide humanitaire

L’escalade permanente des attaques dans la Ghouta orientale s’avère être l’un des épisodes les plus sanglants du conflit syrien. Au moins 800 civils ont été tués dans cette zone en deux semaines, tandis que plus de 400 000 habitants vivent sous des bombardements intensifs après avoir subi presque cinq années de siège.

Pendant ces années, en plus des attaques permanentes à l’aide d’armes conventionnelles, la zone a connu plusieurs attaques à l’arme chimique que le gouvernement syrien et la Russie attribuent systématiquement aux groupes rebelles, alors que toutes les preuves sur le terrain pointent du doigt le gouvernement et ses alliés. 

Le gouvernement bloque constamment l’aide humanitaire et l’empêche d’atteindre la Ghouta orientale, exposant ses habitants à de sévères pénuries de biens vitaux. Le tableau reste sombre malgré la récente déclaration russe annonçant une trêve quotidienne de cinq heures pour permettre à l’aide humanitaire d’atteindre la Ghouta orientale.

Les agences humanitaires ont indiqué qu’il faut plus de cinq heures aux convois d’aide pour atteindre la Ghouta orientale et, malgré la trêve de cinq heures annoncée, les bombardements se sont poursuivis, exposant également les convois d’aide aux attaques.  

Même les soi-disant « couloirs humanitaires » annoncés par la Russie pour permettre l’évacuation – ou plutôt le déplacement forcé – des civils de la zone sont restés vides sous les bombardements continus. Les photographies aériennes de la Ghouta orientale montrent des destructions matérielles à grande échelle ainsi que la catastrophe humanitaire actuelle. 

Cette volonté de rendre la Ghouta orientale inhabitable est également soulignée par les séries d’attaques chimiques sur la zone, autant de tentatives délibérées de faire comprendre aux habitants qu’ils n’ont pas d’autre option que la fuite

De nombreuses personnes établissent un parallèle entre la campagne actuelle dans la Ghouta orientale et celle menée par le gouvernement et la Russie à Alep-Est fin 2016. Les similarités sont indéniables, avec une stratégie consistant à assiéger et affamer avant de bombarder massivement.

Mais le nombre d’habitants dans la Ghouta orientale est deux fois plus important que celui d’Alep-Est avant la campagne de 2016, ce qui souligne l’ampleur du désastre actuel dans la Ghouta orientale.

Un tribut délibérément lourd

Le lourd tribut que paye la Ghouta orientale n’est pas accidentel. Le gouvernement syrien et ses alliés ont tout intérêt à vider la zone de ses habitants originels et à rendre ce changement démographique permanent. 

La Ghouta orientale se trouve en périphérie immédiate de Damas, qui demeure une place forte du gouvernement. Il est de l’intérêt du gouvernement du président syrien Bachar al-Assad d’étendre son contrôle militaire autour des zones qu’il contrôle actuellement afin d’élargir son influence dans des lieux stratégiques clés et ainsi de sécuriser ses places fortes. 

Le gouvernement a appliqué une stratégie similaire à Daraya, au sud de la Syrie. La zone est désormais ruinée en grande partie, et peu de ses habitants originels y vivent encore. Si la Ghouta orientale devient elle aussi inhabitable, le régime pourra la contrôler beaucoup plus facilement, malgré les capacités réduites du gouvernement. 

De la fumée s’élève après des frappes du régime syrien sur le village de Mesraba, dans la région assiégée de la Ghouta orientale le 7 mars 2018 (AFP)

Certains pourraient s’étonner de ce que le gouvernement n’ait pas la capacité de conserver les zones récemment reprises aux groupes rebelles alors qu’il est soutenu par la Russie et l’Iran. Mais la récente attaque menée par les États-Unis qui a tué jusqu’à 100 soldats russes au nord-est de la Syrie, ainsi que la prolifération des milices combattant aux côtés du gouvernement qui demandent de plus en plus de privilèges montrent que l’accès du gouvernement aux ressources humaines sur le champ de bataille n’est pas illimité. 

Cette volonté de rendre la Ghouta orientale inhabitable est également soulignée par les séries d’attaques chimiques sur la zone, qui sont autant de tentatives délibérées de faire comprendre aux habitants qu’ils n’ont pas d’autre option que la fuite. Toutefois, contrairement à Alep-Est, où bon nombre des habitants présents avant la campagne de 2016 avaient été déplacés depuis d’autres zones de la Syrie ou avaient quitté d’autres régions pour s’installer à Alep, la majorité des habitants de la Ghouta orientale y sont nés et n’ont nulle part où aller.

Leur ténacité pousse le régime et la Russie à intensifier leur violence pour les forcer à partir. 

Une capitulation synonyme d’extinction

Le gouvernement syrien et la Russie continuent d’affirmer que leur campagne vise à éradiquer des groupes « terroristes » tels que Hayat Tahrir al-Cham, Jaych al-Islam ou encore Faylaq al-Rahmane. Il y a deux semaines, l’émission Newsnight de la BBC a tenté d’expliquer la situation dans la Ghouta orientale comme étant une tentative du gouvernement visant à retourner les habitants contre ces groupes armés et à favoriser l’évacuation de leurs combattants ailleurs en Syrie. 

Cependant, la plupart des habitants de la Ghouta orientale se trouvent pris dans les combats sans avoir de réelle influence sur l’un ou l’autre des groupes rebelles. De plus, la campagne menée par le régime et la Russie prend pour cible des districts de la Ghouta orientale où Hayat Tahrir al-Cham est quasiment absent, puisqu’on estime qu’entre 150 et 200 de ses combattants y sont présents.

À LIRE : Syrie : pourquoi quitter la Ghouta n’est pas une option

Quant à Jaych al-Islam et Faylaq al-Rahmane, les deux groupes se sont affrontés par le passé mais se coordonnent actuellement sur le terrain pour faire face à leur ennemi commun.

Les deux groupes estiment qu’une capitulation dans cette bataille serait synonyme d’extinction et, par conséquent, se battront jusqu’à la fin pour prouver leur crédibilité. Ironiquement, la campagne menée par le régime et la Russie renforce la collaboration pragmatique des groupes au lieu de les affaiblir.   

L’objectif final du gouvernement syrien dans la Ghouta est difficile et extrêmement sanglant. Qu’il atteigne son objectif ou non, les dégâts occasionnés sur le parcours seront importants.

- Lina Khatib est à la tête du programme Moyen-Orient/Afrique du Nord à Chatham House. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @LinaKhatibUK. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Photo : Des soldats du gouvernement syrien marchent dans une rue d’al-Mohammadiyeh à l’est de Damas le 7 mars 2018, tandis que les forces gouvernementales syriennes s’enfoncent dans l’enclave de la Ghouta orientale tenue par les rebelles (AFP).

Traduit de l'anglais (original) par VECTranslation.

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