Le ministre du tourisme chez Hanouna : qu’ont fait les Tunisiens pour mériter pareille publicité ?
En ce début d’année, le ministère tunisien du Tourisme surfe sur la vague de résultats encourageants : la destination Tunisie a atteint une fréquentation record avec 8,1 millions de touristes accueillis durant la saison 2018.
Et l’apparition du ministre tunisien du Tourisme dans l’émission « Touche pas à mon poste » (TPMP) de Cyril Hanouna, le 24 janvier dernier, a été très remarquée en Tunisie. Les médias de l’ancien régime n’en ont d’ailleurs pas raté une miette, commentant « L’exception René Trabelsi » ou encore « Le coup de maître de René Trabelsi ».
Sur les réseaux sociaux en revanche, les avis sont un peu plus mitigés. Si certains ont salué l’originalité de la « com’ » du ministre sur le fond, d’autres en ont moins apprécié la forme. Au-delà du choix d’une émission de téléréalité pour promouvoir la Tunisie, cette apparition médiatique a dérangé de nombreux Tunisiens à plus d’un titre.
Il y a d’abord la manière avec laquelle un ministre tunisien a été présenté aux téléspectateurs, sur un fond de raï (une musique algérienne), et accompagné de clichés assez douteux.
Il y a d’abord la manière avec laquelle un ministre tunisien a été présenté aux téléspectateurs, sur un fond de raï (une musique algérienne), et accompagné de clichés assez douteux
Le présentateur de l’émission, Cyril Hanouna, a introduit ainsi le ministre du Tourisme : « Suite au succès de la séquence couscous et médias chez baba, nous recevons ce soir un sponsor officiel… C’est le ministre du Tourisme de Tunisie qui est avec nous, René Trabelsi ».
Une mise en bouche qui laisse un arrière-goût assez désagréable. Outre le manquement au protocole, utiliser le terme « couscous » de cette manière renvoie à certains stéréotypes méprisants à l’égard de la culture tunisienne en particulier, et maghrébine en général.
« Couscous connection », « Couscous airlines », etc., nombreuses sont les expressions de ce genre dans le jargon français. Elles ne sont certainement pas flatteuses, et elles ne mettent sûrement pas en valeur cette spécialité culinaire qui fait partie du patrimoine national tunisien.
« À Djerba, ça sent la kefta… »
Ensuite, un des chroniqueurs de l’émission a gratifié la Tunisie d’un clip promotionnel à faire pâlir de jalousie les destinations touristiques les plus prisées. Le chroniqueur déguisé d’une perruque incite les téléspectateurs à se rendre à Hammamet (une station balnéaire) derrière un écran qui projette l’image de chameaux dans le désert, en jouant à la guitare avec des doigts pleins de nourriture.
Hormis son ignorance, le chroniqueur s’est aussi distingué par ses talents de poète : « On a tous quelque chose en nous de Tunisie, cette envie que le mouton soit bien cuit… ». Ou encore, « À Djerba, ça sent la kefta… ».
Enfin, c’est la réaction du ministre du Tourisme face à ce clip « promotionnel » qui a été la plus surprenante. « Magnifique ! », a-t-il rétorqué à Cyril Hanouna à la fin du clip.
Est-ce là l’image de la Tunisie que René Trabelsi a l’intention de promouvoir aux yeux du monde ? À lui seul, ce clip de mauvais goût cristallise les clichés « beauf » et ringards qui collent au tourisme tunisien : une réputation de « destination pas chère », avec la fameuse carte postale du chameau sur la plage, et un tourisme bas de gamme qui ont écorné l’image d’un pays doté d’une culture millénaire. C’est à s’interroger sérieusement sur les compétences de René Trabelsi en matière de marketing.
Est-ce là l’image de la Tunisie que René Trabelsi a l’intention de promouvoir aux yeux du monde ?
C’est une erreur de casting manifeste, à la fois sur le choix de l’émission et sur la manière de promouvoir la Tunisie. Voilà qu’on nous ressert cette image que le pays ne cesse de tenter d’effacer depuis la révolution, sapant ainsi les efforts déployés ces dernières années en faveur de la promotion du tourisme culturel et de l’écotourisme, amplement plus bénéfiques en termes de valeur ajoutée.
Cette obsession du chiffre et du tourisme de masse a porté préjudice à la Tunisie par le passé. Pour s’en rendre compte, il suffit d’analyser les performances du secteur touristique.
Malgré une saison record en 2018, les recettes touristiques n’ont pas évolué en l’espace d’une décennie : 3,9 milliards de dinars (environ 1,2 milliard d’euros) en décembre 2018 et en décembre 2010.
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Quant aux revenus par touriste, ils frôlent le ridicule : les 8,1 millions de touristes qui ont séjourné en Tunisie ont dépensé en moyenne 482 dinars (environ 140 euros). C’est à se demander si cela couvre leurs frais de séjour dans les hôtels tunisiens.
On pourrait également se demander de quelle manière cela pourrait profiter aux commerçants présents autour de sites touristiques. À l’évidence, on est encore dans le schéma du « dumping » (vente à perte).
Le ministère du Tourisme semble s’obstiner à orienter indéfiniment sa stratégie vers le tourisme de masse, bien que celle-ci soit arrivée à bout de souffle, au détriment de la qualité du produit touristique et de la valeur ajoutée pour l’économie tunisienne. Pour 2019, René Trabelsi vise en effet un nouveau record : 9 millions de touristes.
- Mhamed Mestiri est consultant en business development et analyste économique à Nawaat et Middle East Eye.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Cyril Hanouna et René Trabelsi dans « Touche pas à mon poste », le 24 janvier, entourés de plusieurs miss tunisiennes (capture d’écran).
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