Le retour des sanctions : quelles conséquences pour l’Iran ?
La rupture de l’accord 2015 en mai 2018 et la retombée des sanctions américaines, depuis le 5 novembre 2018, ont fait couler beaucoup d’encre. Les experts et les responsables politiques européens ont été unanimes à condamner les mesures restrictives de l’administration américaine contre l’Iran, au nom de la défense des intérêts du peuple iranien.
Les Iraniens, eux, en revanche, semblent être plus critiques envers les dirigeants de la République islamique qu’envers ceux des États-Unis, même si l’opinion publique est partagée.
Les uns dénoncent les sanctions américaines et avancent l’argument que ce ne sont pas les ayatollahs qui vont en souffrir, mais les plus faibles. Ce sont les classes moyennes et les défavorisées qui doivent assumer les conséquences néfastes de l’embargo.
Les autres, au contraire, estiment qu’il vaut mieux souffrir pendant un certain temps pour voir tomber la République islamique qui, depuis son avènement, n’a fait que détruire leur pays. « Avant les sanctions, nous souffrions sans espoir. Aujourd’hui, nous souffrons avec l’espoir », disent des personnes interviewées. D’autres estiment encore : « Ce régime ne va pas tomber, c’est nous qui périrons sous les sanctions ».
Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, la moitié des Iraniens vivent en dessous du seuil de pauvreté et, durant ces quatre dernières décennies, ils ont perdu chaque année 32 % de leur pouvoir d’achat
Ces positions contradictoires décrivent l’état actuel de la société iranienne, une société à la fois divisée et étouffée sous la répression de l’État, avec une économie moribonde et d’innombrables problèmes quotidiens qui accablent les citoyens.
Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, la moitié des Iraniens vivent en dessous du seuil de pauvreté et, durant ces quatre dernières décennies, ils ont perdu chaque année 32 % de leur pouvoir d’achat.
En effet, la mégalomanie et la corruption des dirigeants de la République islamique coûtent cher. Les lourds investissements des ayatollahs dans les conflits extranationaux en vue de transformer ce pays en puissance régionale exaspèrent les Iraniens.
Peu importe si l’Iran vit sous embargo, et cela depuis 1980. Peu importe si la valeur de la monnaie nationale est en chute libre ou si la toxicomanie, la prostitution, la criminalité et le suicide font des ravages. Ce qui compte, c’est l’islam : « Le monde entier doit se soumettre à l’islam », disait Khomeini.
Quarante ans que les crises se succèdent
Dans cette République islamique, la politique étrangère et la politique intérieure s’alignent l’une sur l’autre et toutes deux sont les leviers opérationnels d’une idéologie du pouvoir qui aspire à conquérir le monde.
Les observateurs européens déplorent aujourd’hui la retombée des sanctions américaines et craignent une crise humanitaire en Iran. À les entendre, on croirait que tout allait bien dans ce pays avant, alors que cela fait maintenant quarante ans que les intérêts nationaux des Iraniens sont complètement oubliés au profit des caprices des ayatollahs.
De la répression quotidienne des femmes dès le lendemain de l’avènement de la République islamique jusqu’à l’assassinat des écrivains, des intellectuels, des journalistes et des opposants politiques, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, en passant par les lois discriminatoires envers les femmes, les minorités religieuses et ethniques, sans parler des guerres par procuration ici et ailleurs, ces nouveaux défenseurs du peuple iranien oublient que cela fait maintenant quarante ans que les crises se succèdent en Iran les unes après les autres, sans que personne ne s’en soucie.
Déjà en 2017, lorsque les ayatollahs avaient reçu les 120 milliards de dollars libérés par l’accord de 2015, selon les sources officielles du pays, seize millions d’Iraniens (environ 20 % de la population) ne parvenaient pas à subvenir à leurs besoins quotidiens
Certes, le retour des sanctions a largement détérioré le quotidien des Iraniens. Certes, nous serons bientôt témoins de crises encore plus graves.
Mais déjà en 2017, lorsque les ayatollahs avaient reçu les 120 milliards de dollars libérés par l’accord de 2015, selon les sources officielles du pays – largement en deçà de la réalité –, seize millions d’Iraniens (environ 20 % de la population) ne parvenaient pas à subvenir à leurs besoins quotidiens et dix millions d’entre eux vivaient déjà dans les bidonvilles.
Si, pendant quarante ans, aucun pays démocratique ne s’est jamais intéressé au non-respect des droits fondamentaux des individus en Iran, si tant de crimes contre le peuple iranien n’a jamais attiré l’attention de nobles esprits, il faut peut-être s’interroger sur les facteurs qui animent aujourd’hui une telle solidarité contre les sanctions américaines.
D’où vient cette sensibilité soudaine des Européens face à la situation catastrophique des Iraniens ? Dans la mesure où les sanctions américaines obligent la quasi-totalité des entreprises européennes à quitter le marché iranien, la perte des intérêts financiers des pays européens s’avère colossale.
Cependant, il est heureux que la fermeture du marché iranien lève le voile sur le non-respect des droits de l’homme en Iran. Félicitons donc la soudaine sensibilité des humanistes sur le sort des Iraniens.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le 5 novembre 2018, une Iranienne passe devant les murs colorés de la capitale, Téhéran. Le président iranien, Hassan Rohani, a déclaré que la république islamique « contournera fièrement les sanctions » imposées par les États-Unis (AFP).
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