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Le roi Mohammed VI rallie le général Sissi pour sauver le Sahara occidental

La visite du roi Mohammed VI les 23 et 24 février au Caire tend à normaliser les relations entre le Maroc et l’Égypte face à l’émergence du leadership de la Turquie dans la région  
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi rencontre le ministre marocain des Affaires étrangères de l’époque, Salaheddine Mezouar, au Caire, le 5 juillet 2014 (AFP)

Lors de la 31e session de l’Union africaine, tenue en juillet 2017 à Addis-Abeba en Éthiopie, les ministres des Affaires étrangères marocain et égyptien ont discuté l’organisation d’une visite du roi Mohammed VI au Caire.

Il aura fallu donc attendre un peu plus de deux ans depuis cette rencontre pour que les deux pays décident d’emprunter le chemin d’un dégel diplomatique.

Les relations entre l’Égypte et le Maroc remontent loin dans l’histoire. Durant le protectorat, Gamal Abdel Nasser a soutenu le roi Mohammed V pour la libération du royaume du colon français. En 1960, les deux dirigeants ont conjointement posé la première pierre du haut barrage d’Assouan. Sans compter le rôle central joué par le Maroc pour obtenir le siège de la Ligue arabe en Égypte, après la signature des accords de paix de Camp David, en insistant sur le capital historique et symbolique du Caire.

Le roi du Maroc Mohammed V accueille le président égyptien Gamal Abdel Nasser qui vient d’arriver par bateau à Casablanca pour assister à l’ouverture de la Conférence africaine le 3 janvier 1961 (AFP)
Le roi du Maroc Mohammed V accueille le président égyptien Gamal Abdel Nasser qui vient d’arriver par bateau à Casablanca pour assister à l’ouverture de la Conférence africaine le 3 janvier 1961 (AFP)

Au plan économique, les échanges commerciaux entre l’Égypte et le Maroc sont en plein essor. En 2019, ils ont atteint 681 millions de dollars. Le Maroc est le 40e investisseur étranger en Égypte, avec un investissement total de 80 millions de dollars.

Dans un registre plus politique, l’Égypte a maintenu une position claire en faveur du droit souverain du Maroc d’annexer le Sahara occidental. Mais depuis l’arrivée du général Sissi au pouvoir en 2014, les relations entre le Maroc et l’Égypte ne sont pas au beau fixe.

Au plan diplomatique, Rabat reproche au Caire un rapprochement politique avec Alger et un soutien manifeste au Front Polisario (mouvement indépendantiste sahraoui).

En janvier 2015, le régime marocain a décidé de réagir en diffusant deux reportages sur les chaînes Al-Aoula et 2M, affirmant que « l’Égypte a basculé dans le chaos et l’insécurité depuis le coup d’État militaire du général Sissi contre le président légitime, élu démocratiquement, Mohamed Morsi, des Frères musulmans ».  

Ce fut la première fois que le régime de Mohammed VI s’alignait officiellement sur la position du Parti de la justice et du développement (PJD, d’obédience islamiste), qui s’est d’ailleurs toujours refusé d’afficher sa solidarité avec les Frères musulmans.

Dans le même temps, le roi Mohammed VI n’a pas manqué aux usages diplomatiques. Dans un message de félicitation adressé au général Sissi, élu sans surprise président de l’Égypte avec 96,6 % des suffrages, le souverain a « salué la confiance témoignée par le peuple égyptien frère au nouveau président égyptien, qui bénéficie de qualités d’homme d’État chevronné et de leader avisé ».

L’Égypte face à la Turquie

De son côté, l’Égypte a choisi de ne pas aggraver les relations avec le Maroc. Bien au contraire, la diplomatie égyptienne a même cherché en vain de convaincre le roi de se rendre en visite officielle au Caire.

Mais c’était sans compter la ténacité du régime militaire égyptien soutenu par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et les puissances occidentales, à commencer par Israël. Et pour cause, l’Égypte du général Sissi s’est toujours positionnée en défenseur attitré de la stabilisation des régimes autoritaires dans le monde arabe.

Bien plus, Abdel Fattah al-Sissi se présente comme un rempart contre la montée du terrorisme et l’extrémisme religieux.

Les tensions diplomatiques entre le royaume marocain et l’Égypte remontent à la visite de Sissi à Alger, en juin 2014, en vue d’assurer un flux continu de gaz vers l’Égypte

En Libye, par exemple, il va soutenir, dès la première heure, le maréchal Khalifa Haftar qui dirige l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) contre le Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU. L’objectif à terme du Caire est de contrer les manœuvres du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, visant un accès aux vastes zones de la méditerranée orientale.

Sur fond de guerre énergétique entre les puissances étrangères, le général Sissi pourrait désormais jouir d’une profondeur stratégique grâce à son alliance avec le maréchal Haftar et les généraux algériens.

Les tensions diplomatiques entre le royaume marocain et l’Égypte remontent justement à la visite effectuée par le général Sissi à Alger, en juin 2014, en vue d’assurer un flux continu de gaz vers l’Égypte.

À l’époque, l’Arabie saoudite avait coupé son approvisionnement en gaz à son allié en réaction au soutien apporté par Le Caire à une résolution russe sur la Syrie à l’ONU en octobre 2016. En signe de solidarité, Alger avait livré 30 000 tonnes d’essence à l’Égypte de Sissi.

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Depuis lors, l’Égypte semble s’aligner sur les positions de l’Algérie et le Polisario. Trois incidents témoignent des tensions qui existent entre Rabat et Le Caire.

La première a été la décision de l’Égypte, en juillet 2016, de ne pas signer une motion présentée par 28 pays de l’Union africaine (UA), visant à suspendre l’adhésion à la République arabe sahraouie démocratique autoproclamée (RASD).

La deuxième remonte à octobre 2016 avec la participation d’une délégation représentant le Parlement de la RASD à une conférence parlementaire arabo-africaine à Charm el-Cheikh.

Le troisième incident date de novembre 2016, lorsque neuf pays arabes se sont retirés du sommet arabo-africain en Guinée équatoriale en réponse à la participation du Polisario. L’Égypte n’a pas suivi la manœuvre. Sissi lui-même a pris part au sommet, arrivant après le retrait des pays arabes.

Riposte diplomatique de Mohammed VI

La méfiance entre les deux pays a encore augmenté en novembre 2016, lorsque le roi Mohammed VI s’est rendu en Éthiopie (en litige avec l’Égypte au sujet de l’eau du Nil) dans le cadre de sa tournée en Afrique de l’Est.

Quelques années après, le roi décide de se rendre au Caire dans le cadre d’une stratégie plus vaste, qui tend à neutraliser le rôle de l’Égypte dans les manœuvres de l’armée algérienne visant à appuyer le Front Polisario.

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L’offensive de la diplomatie marocaine s’est traduite, depuis janvier, par l’ouverture de consulats de certains pays africains dans le sud du Maroc, le Sahara occidental selon le Polisario.

Après la dénonciation, l’Algérie a décidé, tout récemment, de hausser le ton en rappelant, pour consultations, l’ambassadeur d’Algérie en Côte d’Ivoire, après l’ouverture par Abidjan d’un consulat à Laâyoune.

Une réunion entre Sissi et le roi Mohammed VI pourrait ainsi aider à normaliser les relations entre les deux pays : le royaume pourrait continuer à bénéficier au sein de l’UA du soutien du Caire sur la proposition marocaine de l’« autonomie élargie ».

L’Égypte a prouvé par le passé qu’elle peut être un atout important pour le Maroc. En mars et en avril 2016, l’Égypte, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a pris le parti du royaume lors de son différend avec l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, après que ce dernier a qualifié le Maroc de « force d’occupation » du Sahara occidental.

Au plan symbolique, malgré l’échec du Maroc – pour la cinquième fois – en 2018 dans l’organisation de la Coupe du monde 2026, l’Égypte a manifesté un soutien indéfectible à la candidature du royaume face au trio Mexique-États-Unis-Canada.

Mohammed VI pourrait appuyer les manœuvres du Caire dans la région, dont notamment celles visant à contrecarrer l’entrisme de la Turquie en Libye

De son côté, Mohammed VI pourrait appuyer le régime militaire de Sissi en consolidant la coopération économique entre le Maroc et l’Égypte, notamment sur le continent africain.

Hasard du calendrier ou non, le gouvernement marocain a appelé à la révision de l’accord de libre-échange avec la Turquie. Sur fond de compétition pour le leadership régional, le souverain pourrait appuyer les manœuvres du Caire dans la région, dont notamment celles visant à contrecarrer l’entrisme de la Turquie en Libye, à un moment crucial où le Maroc s’est trouvé exclu de la conférence sur la Libye à Berlin.

En ralliant la politique étrangère du général Sissi, la diplomatie marocaine pourrait tenter de bénéficier d’une médiation égyptienne susceptible de renforcer la position du Maroc sur la question saharienne.

À terme, le royaume pourrait essayer de désamorcer la crise avec l’Arabie saoudite dans l’espoir de renouer avec la Ligue arabe, boycottée à tort par le roi Mohammed VI depuis son accès au pouvoir.  

Contraint par les Américains d’adhérer à l’« accord du siècle », le régime marocain pourrait trouver dans l’Égypte de Sissi un allié historique de taille. Ce dernier pourrait défendre la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et redorer à terme le blason de la diplomatie marocaine dans le monde arabe.

Mieux, pour maintenir leurs régimes en place, le Maroc et l’Égypte pourront bien se vanter d’œuvrer inlassablement afin d’endiguer l’extrémisme religieux et le terrorisme. Pourvu que cela dure !

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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