Les « chiens de guerre » d’Israël : une autre forme de violence coloniale
L’occupation des territoires palestiniens par Israël a produit depuis 50 ans une série d’images qui traduisent la brutalité oppressive de cet État d’apartheid.
Parmi elles, et non des moindres, le mur de séparation, qui coupe Jérusalem-Est occupée de la Cisjordanie, mais aussi les murs de la prison qui encerclent et emprisonnent les deux millions d’habitants de Gaza.
Chacun limite l’accès des Palestiniens à leurs terres, les privant des services essentiels, et étouffe leur développement économique. Ces deux murs, en plus des check-points militaires, des tribunaux militaires, des centres de détention, des drones, des chars et des avions de combat, sont devenus synonymes du projet colonial injuste et inhumain d’Israël.
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Mais il y a une autre image cognitive, une métaphore presque parfaite, des violations du droit international et des droits de l’homme par Israël : les chiens de colons.
Les chiens de colons, ou « chiens de guerre », comme les appellent les Palestiniens, sont d’une grande importance dans la mesure où les plus de 600 000 colons israéliens illégaux qui résident en Cisjordanie occupée demeurent l’un des principaux obstacles à la paix dans cet interminable conflit.
Dit simplement, si la pression internationale ne parvient pas à repousser les colons au-delà des frontières d’avant 1967, toute solution à deux États est inapplicable.
Faits accomplis
Pour ceux qui ne sont pas coutumiers des paysages vallonnés de la Cisjordanie, sachez que les colonies israéliennes se présentent sous de multiples formes et dimensions, allant de mini-villes, comme Maale Adumim, pourvues de centres commerciaux et de piscines olympiques, à des avant-postes qui comprennent à peine plus de quelques dizaines de mobile-homes.
C’est cependant à partir de ces avant-postes que les colonies illégales deviennent des villes solidement fortifiées. Mais alors que ces dernières sont protégées par l’armée israélienne, les occupants des avant-postes doivent se protéger par leurs propres moyens. C’est là qu’Israël transforme habilement « les faits accomplis » à son propre avantage territorial.
Construire des avant-postes dans le but de s’emparer des terres et de les conserver est une stratégie mise en œuvre par les pères fondateurs d’Israël dans les années 1930. Surnommée l’approche de la « tour et la palissade », celle-ci fut à nouveau appliquée trois décennies plus tard comme stratégie d’occupation et de colonisation de la Cisjordanie immédiatement après la conquête du territoire par Israël en 1967.
Si un Palestinien s’approche de l’enceinte, les chiens aboient, servant d’alarme aux habitants afin qu’ils se saisissent de leurs armes
« Tout le monde devrait passer à l’action, devrait courir, devrait prendre plus de collines », a un jour tonitrué l’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon. C’est exactement ce que des dizaines de milliers de colons ont fait pendant la majeure partie des cinquante dernières années, s’appropriant des terres qui n’appartiennent ni à eux, ni à Israël, puis construisant des habitations de fortune à travers toute la Cisjordanie.
C’est là que les chiens de colons entrent en action.
J’ai eu l’occasion de me rendre dans un avant-poste israélien et de bénéficier d’une visite guidée par ses habitants. Situé à environ 30 minutes en voiture du centre de Jérusalem, cet avant-poste était doté d’un portail d’entrée qui ressemblait à une tentative de transformation d’une vieille cabine de péage autoroutier en un check-point pseudo-militaire qui, ce jour-là, était surveillé par un gamin de 23 ans, un juif américain originaire de Floride, lourdement armé.
Derrière lui, une large allée en gravier serpentait jusqu’au sommet de la ligne de crête.
Lorsque vous vous tenez au sommet de la colline, vous vous trouvez entouré d’une vingtaine de mobile-homes et de caravanes qui logent la cinquantaine d’occupants de l’avant-poste. Au loin, et dans toutes les directions, vous pouvez voir les toits de tuiles rouges caractéristiques des grandes colonies israéliennes qui surplombent stratégiquement les collines du territoire palestinien.
Au milieu de la colline, une série de boîtes en bois, distante d’environ 50 mètres l’une de l’autre, sont attachées par des chaînes. Ces boîtes d’un mètre cube délimitent le périmètre entier de l’avant-poste, et abritent chacune deux chiens de garde qui y sont enchaînés de façon permanente. Si un Palestinien s’approche de l’enceinte, les chiens aboient, servant d’alarme aux habitants afin qu’ils se saisissent de leurs armes.
Inhumain et barbare
Cette scène est typique de l’ensemble des avant-postes israéliens implantés en Cisjordanie occupée, et elle est tout aussi inhumaine et barbare que vous pouvez l’imaginer. Ces chiens sont attachés à ces niches de façon permanente, les jours les plus chauds d’été, où les températures diurnes dépassent les 38 ° Celsius, comme les nuits les plus froides d’hiver, où le mercure tombe souvent à 0 °.
Aucun répit. Aucune fin à leur mission abominable. Ils sont placés là dans un seul et unique but : attaquer les Palestiniens.
Pour les colons qui ont un revenu raisonnable, il existe des programmes de dressage pour chiens de colons. Un de ces programmes définit ainsi le « problème » auquel sont confrontés les colons illégaux :
« De plus en plus, les juifs israéliens qui vivent en Judée et en Samarie, nom que notre Bible donne à ces régions, sont attaqués par des terroristes musulmans arabes. La plupart des gens de par le monde appellent ces zones la Cisjordanie. Bien sûr, des attaques terroristes ont lieu dans d’autres parties d’Israël, mais surtout là-bas. En outre, de plus en plus, les couteaux sont l’arme de choix pour assassiner des juifs. »
Il définit ensuite la « solution » comme suit : « Un chien de protection formé professionnellement aurait pu sauver cette mère et transformer le terroriste en victime. J’ai un chien de protection en Israël et je peux dire en toute confiance que si ce terroriste entrait chez nous, il aurait un très sérieux problème. »
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Un autre programme de dressage pour chiens de colons se vante qu’une fois dressés, les chiens peuvent sentir la différence entre un colon israélien et un « infiltré arabe », affirmant : « L’adrénaline des Arabes, ils peuvent la détecter. Les Arabes ont très peur des chiens… Nous ne voulons pas que les chiens tuent les Arabes, juste qu’ils les immobilisent. »
Pour les colons dont les moyens sont plus modestes, le « dressage » du chien est beaucoup plus sommaire. Dans certains cas, on donne à un Palestinien dans le besoin un peu d’argent pour qu’il flanque au chien une raclée sauvage, garantissant ainsi que celui-ci reste à jamais craintif à l’égard des Palestiniens, ce qui garantit une réponse plus vicieuse chaque fois qu’un Palestinien pourrait à l’avenir approcher la colonie.
Alors que le nombre d’Israéliens occupant illégalement la Cisjordanie ne cesse d’augmenter, faisant croître également le nombre de chiens entraînés à l’attaque, il est peu étonnant que les rapports faisant état de Palestiniens attaqués par des chiens de colons augmentent également, tant en fréquence qu’en férocité.
Tout comme le mur de séparation en Cisjordanie et les murs de la prison virtuelle de Gaza, les chiens de colons sont également emblématiques de la politique systématique de ségrégation, de dépossession et de violence coloniale d’Israël
Ces chiens ont attaqué des enfants palestiniens, parfois âgés d’à peine 5 ans, qui portent désormais les marques indélébiles de blessures horribles.
Ces attaques coïncident avec une tendance globale à l’augmentation de la violence des colons à l’encontre des Palestiniens en Cisjordanie – le nombre d’attaques bondissant parfois de plus de 30 % en une année, selon un rapport publié par le Parlement européen.
Pire encore, ces chiens ne sont pas uniquement utilisés pour défendre des avant-postes israéliens, mais aussi à des fins offensives : pour attaquer intentionnellement des civils palestiniens. Amnesty International a observé que ces attaques, avec ou sans l’utilisation de chiens, se déroulent parfois en « présence de soldats et de policiers israéliens qui n’interviennent pas ».
Ainsi, tout comme le mur de séparation en Cisjordanie et les murs de la prison virtuelle de Gaza, les chiens de colons sont également emblématiques de la politique systématique de ségrégation, de dépossession et de violence coloniale d’Israël.
- CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America (2013), God Hates You. Hate Him Back(2009) et Koran Curious (2011). Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object. » Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : deux colons juifs dressent un berger allemand dans la colonie de Tapuach près de la ville de Naplouse en Cisjordanie (Reuters).
Traduit de l’anglais (original).
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