Aller au contenu principal

Les Libanais peuvent douter des agences de sécurité mais doivent prendre les menaces au sérieux

Le fait qu’une attaque ait été déjouée dans une rue populaire libanaise suscite des interrogations sur les capacités de l’État – mais aussi sur la réponse du public

L’effervescence habituelle de la vie nocturne de Beyrouth a été brièvement détruite samedi 21 janvier lorsque la nouvelle s’est répandue qu’un kamikaze avait été arrêté rue Hamra, dans l’un des quartiers les plus cosmopolites de la capitale libanaise.

Aussi dérangeant que cela puisse paraître, les Libanais sont habitués à des actes de violence tels que des explosions occasionnelles, qui, jusqu’à récemment, ne se déroulaient que dans des zones ayant une large population chiite. 

L’immersion totale du Hezbollah en Syrie, qui se bat aux côtés du régime de Bachar al-Assad, a entraîné une série d’attaques terroristes menées par le groupe État islamique (EI), qui a essayé – et réussi – à plusieurs reprises de cibler des zones chiites dans les banlieues sud de Beyrouth.

Le compte-rendu de l’opération donné par les agences de sécurité aux médias ressemblait à une production hollywoodienne de second plan a beaucoup de niveaux

Toutefois, la partie la plus intéressante de ce samedi soir n’était pas la façon dramatique dont l’attentat a été déjoué, mais la façon dont le public a réagi à l’incident.

À peine l’euphorie de l’arrestation de Omar al-Assi – cet infirmer de 25 ans devenu kamikaze – était-elle passée, que de nombreux Libanais se moquaient sur les réseaux sociaux de la façon théâtrale dont les agences de sécurité (les renseignements militaires et la branche d’information de la police) s’étaient emparées du coupable.

Une grande partie du débat et du sarcasme s’est concentrée sur la facilité relative avec laquelle le kamikaze plutôt crédule a été approché. Ce scepticisme a été renforcé par le compte-rendu de l’opération donné par les agences de sécurité aux médias, qui, en de nombreux aspects, ressemblait à une production hollywoodienne de seconde zone.

Le fiasco de l’abduction

Bien que les Libanais aient toujours regardé leur État avec doute et mépris, cette attitude a été consolidée par un événement en particulier. Lors d’un simple acte de brigandage, Saad Richa, 74 ans, a été enlevé en plein jour à Qob Elias, au centre du Liban, par un gang de criminels connus spécialisés dans l’enlèvement d’hommes d’affaires.

L’État libanais, en adoptant une tactique clairement malavisée dans son combat contre l’EI, a aliéné la majorité des Libanais sunnites, qui se voient accusés de soutenir l’extrémisme

Le calvaire de trois jours de Saad Richa a pris fin quand le président de la Chambre des députés du Liban, Nabih Berri, a délégué trois membres de son parti, Bassam Tleis, pour jouer le rôle de médiateurs entre les voyous – dont certains appartenaient au clan chiite Tleis – et l’État, qui s’était montré impuissant à agir et s’était tenu loin des projecteurs.

Il ne s’agissait pas de la première fois – et potentiellement pas la dernière – que ce gang frappait, ce qui n’a fait qu’aggraver la situation. Mais dans cette affaire-là, l’enlèvement d’un chrétien par un gang chiite a menacé de déchaîner une recrudescence de violences tribales et sectaires. 

À LIRE : Des armes et des hommes : l’Arabie saoudite suspend son aide financière au Liban

Aux yeux de nombreux Libanais, l’attaque déjouée d’un kamikaze à Hamra est apparue comme une tentative désespérée de l’État libanais de se sauver la face après la défaite épique des autorités à Qob Elias, où elles n’ont pas réussi à maîtriser quelques voyous ordinaires.

Toutefois, l’hésitation des citoyens à soutenir et à avoir confiance dans les capacités de leur État et de ses efforts contre le terrorisme est extrêmement nuisible, voire tragiquement mortelle.

Les cœurs et les esprits

Tout effort sérieux pour comprendre et combattre une organisation terroriste telle que l’État islamique repose sur la capacité de gagner les cœurs et les esprits du public. Un grande partie du succès relatif des forces américaines, sous David Petraus, lors de leurs combats contre al-Qaïda en Irak, a reposé sur leur capacité à apaiser les principales tribus sunnites qui ont donné à al-Qaïda sa légitimité et son réseau logistique, et, à certains moments, à acheter leur loyauté.

Si le Liban est très éloigné de certains des pires scenarios de terreur en cours dans la région – que ce soit en Syrie, en Irak ou en même en Turquie –, sa capacité à rester fort contre toute potentielle menace terroriste repose sur son aptitude à faire des citoyens libanais lambda une arme dans cette guerre sans fin.

Naturellement, faire du public une arme ne signifie pas impliquer les civils sur le plan militaire. Il s’agit plutôt pour l’État libanais de gagner la confiance du public en commençant par arrêter des gangs comme celui qui a eu l’audace de kidnapper un homme âgé comme Saad Richa. 

Plus important encore, l’État libanais, en adoptant une tactique clairement malavisée dans son combat contre l’EI, a aliéné la majorité des Libanais sunnites, qui se voient accusés de soutenir l’extrémisme – une affirmation qui est ensuite colportée par le Hezbollah et ses alliés. Malheureusement, la plupart du temps, cette accusation fallacieuse est également reprise par de nombreux médias sensationnalistes libanais qui ne pensent qu’à leur audimat.

En définitive, les Libanais doivent comprendre les implications de leur esprit cavalier sur la manière d’approcher les questions liées à la sécurité, et plus particulièrement le terrorisme.

Bien que le conte publié par les forces de sécurité libanaises au sujet de l’aspirant kamikaze de Hamra ne soit pas très convaincant, cela ne fait pas disparaître la menace représentée par l’EI ou tout autre groupe armé, qu’il soit étranger ou local.

À Lire : C’est la fin du Hezbollah tel que nous le connaissons

Omar al-Assi a peut-être été utilisé comme un leurre. Ou bien s’agissait-il d’un jour de chance pour les autorités. Quoi qu’il en soit, il est judicieux de se souvenir que la balle qui vous tue – où la bombe dans ce cas – est celle que nous n’entendez pas.  

- Makram Rabah est doctorant en histoire à l’Université de Georgetown. Il est l’auteur de A Campus at War: Student Politics at the American University of Beirut, 1967–1975, et coopère régulièrement comme éditorialiste pour le site d’information Now Lebanon.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les forces de sécurité libanaises sécurisent la rue près d’un café rue Hamra à Beyrouth, où un kamikaze a été arrêté quelques minutes avant de se faire exploser le 22 janvier 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].