Les problèmes de corruption de Netanyahou ? Ce sont les Palestiniens qui en paieront le prix
En tant que journaliste israélien chevronné qui écrit au sujet des Palestiniens quasiment depuis la fin de la guerre des Six Jours, je souhaite témoigner du fait que depuis quelques semaines, les Palestiniens affirment n’avoir jamais connu pire situation.
Et celle-ci s’est encore aggravée à la suite du tremblement de terre politique provoqué par la recommandation formulée par la police israélienne d’inculper Benyamin Netanyahou pour corruption. Plus le statut de Netanyahou sera précaire, plus il devra compter sur sa base traditionnelle, à savoir la droite et les colons. Et ce sera aux Palestiniens d’en payer le prix. Pour expliquer la relation entre Netanyahou et les Palestiniens, nous devons revenir à un épisode de son passé.
Lors d’une rencontre à Jérusalem entre Israéliens et Palestiniens, il y a quelques années, le poète israélien Avot Yeshurun (pseudonyme de Yehiel Perlmutter) s’est levé et s’est adressé au poète arabe Hanna Abu Hanna.
« Juste un petit peu »
Yeshurun a expliqué qu’il était venu en tant que pionnier sur la terre d’Israël, après la persécution en Europe, pour construire une nouvelle société juive, une société juste. Il a longuement parlé de sa découverte d’une société et d’une culture arabes qui, depuis des centaines d’années, formaient l’avant-garde de la civilisation mondiale. « Vous, les Arabes, vous êtes grands et forts », a-t-il déclaré.
« Vous avez eu les premières écoles de médecine au monde, vous avez introduit l’algèbre en Europe avec le système décimal et le zéro, vous avez revigoré la philosophie aristotélicienne, vous avez dirigé le monde dans les domaines de l’art, de la poésie, de la science, de la géographie et de l’astronomie et vous avez rapidement conquis l’immensité de l’Orient ainsi que certaines parties de l’Europe. »
« Que voulez-vous dire par “Bougez sur un peu de territoire” ? Comment ça, un peu ? Je suis né à Jaffa et toute ma famille y vivait depuis des centaines d’années, et je n’ai pas bougé un peu, j’ai beaucoup bougé, j’ai complètement bougé. Nous sommes des réfugiés. Nous avons tout perdu »
Yeshurun a tourné les yeux vers Hanna Abu Hanna et crié : « Voici ce que je vous demande : bougez sur un peu de territoire, juste un petit peu. Vous régnez de l’océan Atlantique [le Maroc] au golfe Persique, un territoire qui regroupe 300 millions d’habitants ; donnez-nous un peu de place, bougez sur un peu de territoire, juste un petit peu ! »
Je me souviens très bien de cette rencontre parce que l’interlocuteur suivant était un jeune Arabe inconnu qui s’est levé pour faire face à Avot Yeshurun et lui dire : « Que voulez-vous dire par “Bougez sur un peu de territoire” ? Comment ça, un peu ? Je suis né à Jaffa et toute ma famille y vivait depuis des centaines d’années, et je n’ai pas bougé un peu, j’ai beaucoup bougé, j’ai complètement bougé. Nous sommes des réfugiés. Nous avons tout perdu. La maison et le verger se sont envolés, la famille est dispersée dans tous les sens. C’est ça, un peu ? »
Faibles et forts à la fois
Parmi les Palestiniens que j’ai connus, il y a toujours eu une tension entre leur affiliation en tant qu’Arabes et leur affiliation en tant que Palestiniens. En tant qu’Arabes, ils appartiennent à une nation immense, puissante et riche, mais en tant que Palestiniens, ils sont faibles et impuissants. Nous avons récemment vécu le centenaire de la publication de la déclaration Balfour (novembre 1917) qui, dans la chronologie palestinienne, est considérée comme le début du conflit entre la Palestine et Eretz Yisrael.
On a souvent demandé à Yasser Arafat ce qui avait causé le problème palestinien et sa réponse était toujours la même : « Nous avons été trahis par les Arabes »
Et tout au long de ce siècle, les Palestiniens ont continuellement cherché l’aide du grand et puissant monde arabe dans leur lutte contre le Yishouv juif (la communauté juive vivant en Palestine avant la création de l’État israélien) puis contre Israël. Les pays arabes ont bel et bien essayé d’aider les Palestiniens. Ils ont essayé pendant la grande révolte arabe de 1936 – 1939 et, bien sûr, pendant les guerres de 1948, 1967 et octobre 1973. Mais toutes ces tentatives ont échoué.
On a souvent demandé à Yasser Arafat ce qui avait causé le problème palestinien et sa réponse était toujours la même : « Nous avons été trahis par les Arabes. » Arafat pensait que les Arabes avaient trahi les Palestiniens lorsqu’ils avaient signé les accords d’armistice de 1949 avec Israël, puis une nouvelle fois lorsqu’ils n’ont pas permis aux Palestiniens de poursuivre leur lutte populaire contre Israël.
Il a lui-même connu la prison en Égypte alors qu’il était étudiant au Caire. Plus tard, il a été emprisonné au Liban ainsi qu’en Syrie (1966) ; il a également été persécuté en Jordanie au cours de Septembre noir, en 1970. La raison était toujours la même : Arafat et ses nationalistes loyalistes palestiniens exigeaient que les États arabes les aident à combattre – et depuis longtemps désormais, les dirigeants arabes refusaient.
La « trahison arabe » des Palestiniens se poursuit à ce jour – plus que jamais. Prenez par exemple l’Égypte, le plus grand et le plus puissant des États arabes, qui a combattu au nom des Palestiniens plus que tout autre pays arabe. Le régime au Caire sous le général al-Sissi est très mal en point. La population de l’Égypte frôle aujourd’hui les 100 millions d’habitants. Les problèmes économiques sont sans précédent. Une fois, au Caire, le président Sadate nous a dit, à un groupe d’Israéliens, qu’il comprenait les problèmes de sécurité d’Israël. « Vous avez toujours peur que les Arabes vous attaquent, mais notre peur est différente ; chaque jour, nous craignons de ne plus rien avoir à manger le soir. »
Outre le terrible défi économique consistant à nourrir une centaine de millions d’Égyptiens, le régime du Caire est menacé par des groupes islamistes extrémistes. L’État islamique est actif dans la péninsule du Sinaï ; récemment, le groupe a lancé une attaque contre une mosquée à l’ouest d’el-Arich et tué plus de 300 fidèles. Le général Sissi rencontre de gros problèmes face à l’islam extrémiste.
Dans ces circonstances, je peux imaginer le président palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) arriver pour une rencontre au Caire avec Sissi et lui dire : « Vous devez m’aider. Les Israéliens ont construit 50 nouvelles unités d’habitation dans leur colonie de Ma’ale Adumim, procédé à des expulsions et démoli les maisons de dizaines de familles palestiniennes, et un soldat a arrêté une jeune fille à Nabi Saleh, près de Ramallah… »
La coopération militaire et en matière de renseignement entre Israël et l’Égypte est meilleure qu’elle ne l’a jamais été. Israël aide l’Égypte dans sa guerre contre les extrémistes islamiques dans le Sinaï
Dans ce genre de scénario imaginaire quelque peu étrange, le général Sissi pensera qu’Abou Mazen a perdu la tête. L’Égypte est confrontée à des questions de vie ou de mort pour des dizaines de millions de personnes et Abou Mazen vient parler au dirigeant égyptien d’un parc de mobil-homes dans des colonies. C’est ça, les problèmes des Palestiniens ?
Dans ce contexte, la coopération militaire et en matière de renseignement entre Israël et l’Égypte est meilleure qu’elle ne l’a jamais été. Israël aide l’Égypte dans sa guerre contre les extrémistes islamiques dans le Sinaï. L’Égypte est devenue un véritable allié d’Israël.
Les choses sont similaires entre Israël et la Jordanie, où le roi Abdallah éprouve des difficultés à faire face économiquement aux centaines de milliers de réfugiés syriens et à repousser les militants islamistes aux frontières de la Jordanie avec la Syrie et l’Irak. La coopération en matière de renseignement entre Israël et Amman est un fait établi et bien connu.
Des alliés arabes
Et les choses ne s’arrêtent pas là. Il existe également une coopération politique de haut niveau entre Israël et l’axe saoudo-émirati. Israël, les Saoudiens et les États du Golfe ont un ennemi commun : l’Iran. Les Saoudiens combattent les Iraniens au Yémen – d’où les Iraniens lancent des missiles en direction du territoire saoudien – ainsi que sur le sol syrien et libanais. Ainsi, une sorte d’alliance stratégique a pris forme entre Israël et les États arabes sunnites contre l’Iran chiite. Le tout sous l’égide du président américain Donald Trump.
Dans ce Moyen-Orient, les Palestiniens n’ont aucune perspective d’avenir. Absolument aucune. Aucun pays arabe ne les aidera ; ces pays pourraient même très bien leur nuire. Benyamin Netanyahou et son gouvernement le savent. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent aux Palestiniens. Ainsi, le gouvernement israélien de droite continue de construire et de développer les colonies en Cisjordanie.
Les 60 % de la Cisjordanie qui, selon les accords d’Oslo, sont contrôlés par Israël ont été presque entièrement annexés par Israël. Presque chaque semaine, nous entendons parler de nouvelles lois ou de nouvelles réglementations discriminatoires à l’égard des Arabes en Cisjordanie et en Israël. Au cours de la semaine dernière, par exemple, une loi spéciale a été adoptée pour accorder à l’université de la colonie d’Ariel le même statut que les institutions académiques en Israël.
À propos de Gaza, il n’y a presque plus rien à dire. Les deux millions de Palestiniens de Gaza sont assiégés depuis une décennie, tandis que les Égyptiens et le régime de Ramallah font très peu pour les aider. Par conséquent, Gaza est au bord d’une catastrophe humanitaire massive. L’électricité n’est accessible que quatre à huit heures par jour. L’eau n’est pas potable. Le chômage approche la barre des 50 %. L’économie se limite aux largesses des organisations internationales d’aide humanitaire, avec à leur tête l’ONU, qui a récemment fait les gros titres lorsque Trump a annoncé son intention de réduire considérablement son budget.
Les choses ne vont pas si bien
La situation des Palestiniens, comme on l’a vu, n’avait pas été aussi mauvaise depuis très longtemps. Nous avons affaire à une société brisée, embourbée dans la pauvreté et sujette à la domination partiale de l’Autorité palestinienne dont les membres des forces de sécurité sont devenus, dans une large mesure, des collaborateurs d’Israël.
Beaucoup d’Israéliens pensent que si les Palestiniens sont mal en point, nous, en Israël, nous portons bien. C’est ainsi que les choses se passent dans les conflits à somme nulle. Mais dans notre cas, ce n’est pas ce qui se passe.
Il y a des cercles libéraux en Israël qui pensent que nous sommes également mal en point. Depuis quelque temps désormais, diverses organisations de défense des droits de l’homme forment l’opposition la plus inflexible au gouvernement Netanyahou.
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La preuve en est la campagne d’attaques féroces lancée par le régime contre ces ONG. Breaking the Silence et ses soldats réservistes qui critiquent ouvertement la conduite de l’armée en Cisjordanie, mais aussi B’Tselem, Machsom Watch, l’Association pour les droits civils en Israël, le New Israel Fund : toutes ces organisations existent depuis au moins vingt ans, mais ce n’est que récemment que le gouvernement Netanyahou en a fait l’ennemi numéro un.
Netanyahou jouit d’un large prestige international. Il est invité dans les capitales mondiales de Delhi à Varsovie, de Moscou à Washington. Ses ennuis sont avant tout intérieurs. Les critiques proviennent principalement des cercles libéraux, à l’intérieur d’Israël, qui ne peuvent supporter la réalité de ce qui arrive aux Palestiniens. Il soutient toujours que toutes les critiques dirigées contre son comportement corrompu émanent de cercles libéraux de gauche qui cherchent à renverser son gouvernement.
Même la recommandation formulée par la police de l’inculper pour corruption est considérée par Netanyahou comme une nouvelle tentative de coup d’État politique des traîtres de gauche. D’où la grande crainte que la situation actuelle ne le pousse encore plus dans les bras de la droite nationaliste et vers de nouvelles mesures contre les Palestiniens et ses ennemis de gauche. Alors que l’emprise de Netanyahou sur le pouvoir faiblit, les Palestiniens et la gauche libérale en Israël risquent d’en payer le prix.
- Danny Rubinstein est un journaliste et auteur israélien. Il a précédemment travaillé pour Haaretz, où il était analyste des affaires arabes et membre du comité de rédaction.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré que son gouvernement était « stable » et a critiqué l’enquête policière menée contre lui après que des inspecteurs ont recommandé sa mise en examen pour corruption, ce qui a suscité des appels en faveur de sa démission (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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