Les temps sont durs pour les journalistes et les militants au Maroc
Les journalistes ne sont pas des gens à part. Ce sont des gens ordinaires qui posent des questions, font des recherches et témoignent de ce qui se passe devant eux. Les journalistes posent des questions, les militants les crient, d’autres s’interrogent en silence. Les questions restent toutefois les mêmes. Ce qui explique pourquoi la liberté d’expression, le droit à l’information et la liberté de la presse sont si étroitement liés.
Cependant, au Maroc ces dernières années, ceux-ci semblent tous être de plus en plus menacés.
Je vous écris ceci de Nimègue aux Pays-Bas, où je vis depuis que j’ai été expulsé du Maroc le 16 novembre. Officiellement, j’ai été expulsé parce que je travaillais sans carte de presse – c’est vrai, je n’en ai pas. Le Maroc était donc en droit de me mettre sur un bateau pour l’Espagne au beau milieu de la nuit.
Toutefois, la question n’est pas tant de savoir si mon expulsion est légale, mais pourquoi je n’ai jamais obtenu de carte de presse en premier lieu.
Au cours des deux dernières années, j’ai demandé à en avoir une – plaidé, même – à de nombreuses reprises et remis tous les documents nécessaires. Pourtant, aucune décision n’a jamais été prise. Je ne sais pas si cela relève de l’incompétence, de l’indifférence ou de la malveillance, mais je crains qu’il s’agissait de cette dernière option. Sans carte de presse, les autorités ont toujours quelque chose sur vous. Et en effet, bon nombre de collègues qui sont dans la même situation m’ont dit que mon expulsion les avait rendus encore plus prudents.
Je ne sais toujours pas exactement pourquoi on m’a mis sur ce bateau – hormis ce motif officiel. Peut-être était-ce à cause des recherches à Nador dans les jours précédents, sur les centaines, voire milliers de Marocains en partance pour la Turquie afin de rejoindre l’Europe. Peut-être était-ce à cause d’un appel téléphonique avec un militant plus tôt ce jour-là ou à cause d’un reportage radio sur les migrants à Tanger la semaine d’avant. Je ne sais pas.
Les journalistes pris pour cibles
Ce que je sais néanmoins, c’est que je m’en suis bien sorti par rapport à certains collègues marocains. Ils n’ont pas le luxe de pouvoir agiter des passeports de l’UE ou des États-Unis quand les choses se corsent.
L’exemple le plus récent est celui de Taoufik Bouachrine, directeur du quotidien Akhbar Al Yaoum. Il y a quelques jours, il a été condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis et d’une amende d’1,6 million de dirhams (environ 147 000 €). Son journal a écrit un article sur un pot de vin présumé versé à un journaliste américain, lequel a été accusé d’être payé pour écrire favorablement sur le Maroc.
En février de cette année, le ministre de la Communication Mustapha el-Khalfi a réagi avec colère lorsque Reporters sans frontières a placé le Maroc en 130e position de son classement mondial sur la liberté de la presse. C’est cinq rangs après le Soudan du Sud, où une guerre civile fait rage. Le rapport de RSF ne reflète pas la réalité sur le terrain, des progrès ont été faits, avait répondu el-Khalifi.
Peu de temps après, il a été prouvé qu’il avait tort.
Quelques jours après ses propos en effet, une équipe de tournage française a été expulsée pour avoir travaillé sans autorisation sur la question de l’avortement – même si les Français ont affirmé avoir demandé cette autorisation. Depuis lors, au moins trois journalistes marocains ont été condamnés à de la prison : Hicham Mansouri (qui doit être libéré le 17 janvier), Hamid al-Mahdaoui et le caricaturiste Khalid Gueddar. Un quatrième journaliste, Hamid al-Mahdaouy, a été condamné à une amende et la fermeture temporaire de son site a été ordonnée.
En plus de cela, le célèbre journaliste Ali Lmrabet a entamé une grève de la faim lorsqu’il s’est vu refuser l’entrée du royaume après une interdiction de dix ans. Le professeur et journaliste Maati Monjib a fait de même – et s’est effondré – lorsqu’il n’a pas été autorisé à quitter le pays.
Et ce n’est que les journalistes. Toujours cette année, les autorités se sont engagées dans une guerre froide avec la plus grande organisation des droits de l’homme marocaine, AMDH, en interdisant les manifestations.
Rabat a expulsé les chercheurs d’Amnesty International et, récemment, a payé pour une annonce pleine page dans le Wall Street Journal indiquant que l’organisation Human Rights Watch n’était plus la bienvenue. Même les militants et les journalistes, parmi lesquels Mansouri, Monjib et Hisham Almiraat, qui militent sur internet risquent jusqu’à cinq ans de prison ou des amendes. Leur crime : la vague accusation de « mettre en danger la sécurité intérieure du Maroc ».
Mustapha el-Khalfi veut museler la critique avec le nouveau code de la presse sur lequel il travaille. Cependant, les éditeurs des quotidiens marocains ont annoncé qu’ils se battront contre ce projet. Certaines peines de prison ont été retirées du code de la presse, mais selon les éditeurs, elles sont remplacées par d’autres sanctions telles que de lourdes amendes, le retrait des cartes de presse et une interdiction de travailler en tant que journaliste pour une durée allant jusqu’à dix ans.
L’exception marocaine
Le Maroc se positionne dans le rôle d’exception stable et modérée dans une région en proie aux troubles, d’une démocratie en devenir. Il est vrai que les signes sont là. Il n’y a pas eu d’attaques terroristes récemment et les élections de septembre se sont déroulées sans trop de problèmes. Chaque année, des milliers de manifestations sont organisées dans tout le pays et la grande majorité de celles-ci se terminent de manière pacifique. Les gens peuvent dire ce qu’ils pensent, si le sujet ne prête pas trop à controverse.
Le nœud du problème tient dans cette dernière partie de la phrase : il existe des limites non écrites à ce que les gens peuvent demander. Un pays ne peut prétendre avoir la liberté de parole ou même s’y efforcer quand, dans le même temps, les autorités décident que certains sujets dépassent les limites et que les journalistes et les militants peuvent être opprimés. Au lieu d’avancer vers une société transparente, le Maroc semble s’en éloigner lentement.
La question qui se pose alors est la suivante : qu’est-ce qui a déclenché cette répression ? Pourquoi maintenant ? Le Maroc se porte plutôt bien. Non seulement à cause des élections, mais aussi parce que – en dépit de difficultés financières – son économie se développe, il a de prestigieux projets solaires, il investit massivement en Afrique occidentale et joue un rôle de premier plan dans la lutte internationale contre l’extrémisme.
La réponse à la question se trouve probablement précisément là : en dehors du Maroc. Tout d’abord, les journalistes et militants en Égypte, en Libye et en Syrie sont dans une bien plus mauvaise posture, une excuse derrière laquelle s’abrite facilement le Maroc. Plus important encore, le monde est engagé dans une lutte contre le terrorisme. Le Maroc est un allié important dans ce combat, lui qui dispose d’un service secret efficace ayant des espions dans les communautés marocaines aux Pays-Bas, en France, en Belgique et en Allemagne. L’Occident a besoin du Maroc.
Il semble que les autorités marocaines ont saisi l’occasion de regagner lentement une partie de l’influence qu’elles avaient perdue après les soulèvements arabes de 2011. Il est maintenant temps de supprimer ceux qui posent des questions difficiles ; le monde ferme les yeux de toute façon.
- Rik Goverde est un journaliste freelance qui était basé à Rabat d’octobre 2013 à novembre 2015, date à laquelle il a été expulsé du pays par les autorités marocaines.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les manifestations publiques sont fréquentes au Maroc. Des milliers de personnes s’étant rassemblées place Nasr se dirigent vers le boulevard Mohammed V lors d’une manifestation contre les bas salaires à Casablanca, le 29 novembre 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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