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L’État islamique et les médias : une relation symbiotique

L’exposition médiatique a aidé l’État islamique à atteindre ses objectifs : attirer des recrues, répandre la peur chez ses ennemis et gagner un sentiment de légitimité

On dit souvent qu’une relation symbiotique existe entre le terrorisme et les médias. Là où le terrorisme a besoin des médias commerciaux pour communiquer son message à sa cible ou à un public plus large, les médias commerciaux en viennent à dépendre des hausses de l’audience souvent obtenues en relayant des actes de violence terroriste spectaculaires.

Le journaliste de télévision américain Ted Koppel a fait remarquer un jour qu’un cycle d’actualités sans terrorisme « ne priverait pas la télévision de toutes les choses intéressantes dans le monde, mais d’une des choses les plus intéressantes, néanmoins ».

Pour les médias occidentaux, le groupe État islamique est un cadeau qui ne s’épuise pas. Ses actes de violence extraordinaires, sa pyrotechnie spectaculaire et sa brutalité chorégraphiée garantissent de bons audimats, des vues et des clics.

À bien des égards, les médias ont joué un rôle majeur dans la création du monstre qu’est l’État islamique. Ils ont maintenant la responsabilité d’enfoncer le dernier clou dans son cercueil. Mais alors que l’État islamique est le dos au mur et fait face à une coalition de 100 000 combattants à Mossoul, en Irak, la question est la suivante : le feront-ils ?

Tout d’abord, expliquons en détail comment l’État islamique (né al-Qaïda en Irak) s’est servi des médias pour atteindre ses objectifs et comment les médias se sont servis de l’État islamique pour réaliser leur objectif primordial : le profit.

En 2006, au plus fort de l’insurrection contre les forces de la coalition en Irak, Ayman al-Zawahiri, alors chef adjoint d’al-Qaïda, proclamait qu’« al-Qaïda [livrait] une bataille et [que] plus de la moitié de cette bataille se déroul[ait] sur le champ de bataille des médias ».

Sans les médias, le terrorisme serait, comme beaucoup l’ont décrit, ce fameux arbre qui tombe dans la forêt. Aujourd’hui, l’État islamique autoproclamé dépend aussi de la couverture médiatique pour répandre son message, attirer de nouvelles recrues, répandre la peur chez ses ennemis et conférer au califat un sentiment de légitimité étatique.

À cette fin, l’État islamique dépense des millions de dollars pour produire des actes de brutalité et de violence hautement chorégraphiés dans le but d’atteindre ses objectifs globaux, conscient du fait que les médias trouvent les actes de violence préemballés trop irrésistibles pour être ignorés.

Il est important de se rappeler que la violence et la contre-violence entre les forces gouvernementales irakiennes et les milices sunnites formaient une caractéristique continue de l’Irak depuis le retrait américain en 2011 jusque 2014, mais que ce n’est que lorsque l’État islamique a soigneusement mis en scène l’exécution du journaliste américain James Foley que les médias occidentaux se sont intéressés au conflit sectaire qui se poursuit en Irak.

Les décapitations d’autres journalistes et travailleurs humanitaires qui ont suivi ont apporté soudainement à l’État islamique un public mondial. À partir de fin 2014, les réseaux d’information ont effectué une couverture 24 heures sur 24 de tout ce que faisait l’État islamique, ce qui a permis au groupe de répondre à ses besoins continus : le public, le recrutement, les tactiques de terreur et la légitimité. Lorsque les dirigeants politiques occidentaux ont décrit l’État islamique comme un « culte nihiliste et mortel », ils ont non seulement magnifié le groupe terroriste insurrectionnel, mais l’ont également aidé à répandre encore plus la peur chez ses rivaux actuels et futurs.

À partir de la décapitation de James Foley en 2014 et durant toute l’année suivante, le nombre de recrues étrangères qui se sont rendues en Irak et en Syrie pour rejoindre l’État islamique a augmenté de façon exponentielle : le directeur de la National Security Agency (NSA), James Clapper, a indiqué que leur effectif était passé de 15 000 combattants à plus de 30 000 au cours de ces douze mois.

Mais pour ce qui est de sa capacité, du territoire qu’il contrôle et de ses effectifs, la situation actuelle ne ressemble en rien à celle de fin 2014 pour le groupe terroriste. Ces derniers mois, l’État islamique a abandonné Ramadi, Tikrit et Falloujah et est probablement sur le point de perdre son dernier territoire en Irak (Mossoul). Dans tous les sens du terme, l’État islamique a été sèchement vaincu au cours de la dernière année, mais on ne le saurait jamais si l’on se fiait aux médias traditionnels occidentaux pour s’informer.

Les médias ont contribué à renforcer l’État islamique à ses débuts ; ils doivent maintenant contribuer à le démolir alors que sa fin approche

Le désintérêt des médias dans tout récit qui dépeint – à juste titre – un État islamique au bord d’une défaite totale permet aux dirigeants politiques d’induire en erreur le public occidental et, par extension, les futures recrues potentielles de l’État islamique, en leur faisant croire que le groupe terroriste continue de s’étendre et de prospérer.

Au cours du deuxième débat présidentiel américain, le candidat Donald Trump a déclaré que « l’État islamique nous [poussait] à jouer la défense ». Attendez, quoi ? Si tout cela était vrai, comment expliquer que les dirigeants de l’État islamique fuient Mossoul pour sauver leur vie ? Comment expliquer que les rapports émanant de Mossoul confirment que le chef de l’État islamique, al-Baghdadi, ne fait pas seulement face à des tentatives d’assassinat, mais aussi à ce qui ne peut être défini que comme un coup d’État. Je suis peut-être vieux jeu, mais les coups d’État et les complots d’assassinat ne sont guère la marque d’un quasi-État qui a son propre destin entre ses mains.

Selon tous les indicateurs imaginables, l’État islamique fait face à son ultime trépas. La vie et la survie sont une cause tellement désespérée pour le califat que beaucoup de ses combattants sont confrontés à deux options : se faire exploser ou tenter de fuir Mossoul déguisés en femmes.

Si l’État islamique était un ennemi vraiment redoutable, les forces de la coalition seraient confrontées à un ennemi qui serait considéré en tout état de cause comme une force conventionnelle ; pourtant, le dernier combat du califat en Irak ressemble beaucoup au baroud d’honneur de l’armée japonaise pour défendre Iwo Jima – avec le même type de pièges, de missions kamikazes et d’engins explosifs improvisés.

Depuis un an environ, on nous dit que la mission visant à reprendre Mossoul prendra des mois ; pourtant, les forces de la coalition irakienne ont libéré plus de 80 villages dans la région en cinq jours seulement. S’il est avéré que la résistance deviendra plus féroce et plus désespérée à mesure que les combats se rapprocheront des cercles intérieurs de la ville, c’est un combat qui devrait désormais durer plusieurs semaines plutôt que plusieurs mois, ce qui souligne une nouvelle fois à quel point les médias ont gonflé les capacités de l’insurrection.

Hassan Hassan, auteur de l’ouvrage ISIS: Inside the Army of Terror, s’attend à ce que l’État islamique se retire dans le désert après la perte de Mossoul, censée survenir bientôt, afin de se préparer à un retour, « comme il l’a fait entre 2007 et 2013 ». Michael Knights, chercheur au Washington Institute for Near East Policy, prédit quant à lui que l’État islamique redeviendra un « réseau de type mafieux » à Mossoul et aux alentours, où le groupe assassinera et intimidera « ceux qui contrôlent les ressources financières, comme ceux qui gèrent les marchés de l’or ou les opérateurs de téléphonie mobile, ou encore ceux qui gèrent le secteur de l’immobilier dans la ville ».

Telle est la réalité que les médias occidentaux doivent présenter à leur public. Au lieu de dépeindre l’État islamique comme une menace existentielle pour la civilisation occidentale ou de faire une fixation sur la barbarie du groupe, les médias ont maintenant la responsabilité de décrire précisément ce qu’est vraiment le groupe et qui sont ses membres : un groupe désespéré de marginaux criminels dont le sort est scellé et qui cherche refuge sur des terres presque inhabitables dans les déserts du nord de l’Irak.

En choisissant de décrire la réalité de la disparition de l’État islamique au lieu de relayer un sensationnalisme inspiré par l’État islamique, les médias ont l’occasion de réfuter le message du groupe et de lui refuser ainsi de nouvelles recrues, la capacité de répandre la peur chez ses ennemis et un quelconque sentiment de légitimité.

Les médias ont contribué à renforcer l’État islamique à ses débuts ; ils doivent maintenant contribuer à le démolir alors que sa fin approche.

CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : militants de l’État islamique à Raqqa, en Syrie (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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