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L’Europe doit faire face à ses responsabilités pour rapatrier les combattants étrangers de Syrie

Des médecins, des journalistes, des humanitaires et des enfants innocents se trouvent également englués dans une situation délicate
Des agents de sécurité accompagnent des femmes dans un camp où des familles de combattants étrangers de l’EI sont détenues, dans le nord-est de la Syrie, le 17 octobre (AFP)

Le 11 novembre, la Turquie a annoncé le début du processus de rapatriement des combattants étrangers actuellement détenus dans des centres de rétention. 

Le même jour, le gouvernement allemand a confirmé le renvoi d’un Allemand alors que sept autres devaient aussi être expulsés. Un combattant américain a déjà été expulsé, mais il est actuellement bloqué dans le no man’s land entre la Turquie et la Grèce.  

Début novembre, le ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu a déclaré que la Turquie n’était « pas un hôtel » pour les combattants étrangers du groupe État islamique qui ont été capturés, une tentative de faire pression sur les États européens afin que ces derniers rapatrient leurs ressortissants. 

La lutte contre le terrorisme, telle que nous la connaissons, confère tout pouvoir aux États. Il y a très peu de procédures régulières, nécessaires même avec ceux qui pourraient avoir commis le pire des crimes

Tout ceci intervient quelques semaines alors que la Turquie a lancé une opération militaire pour repousser ce qu’elle considère comme un « couloir terroriste » le long de la frontière syrienne.

En réaction, la Maison-Blanche a déclaré dans un communiqué que la Turquie serait « dorénavant responsable de tous les combattants de l’EI » aux alentours. 

Alors que le débat sur les combattants étrangers bat son plein, la question de la responsabilité a été soulevée. Pas le temps d’esquiver cette responsabilité : la solution la plus pragmatique est le rapatriement par chaque État concerné. 

La pilule peut être difficile à avaler pour l’opinion publique, mais nous devons adopter une attitude pragmatique pour sortir du flou actuel. Le débat ne se limite pas aux combattants étrangers présumés : des docteurs, des journalistes, des travailleurs humanitaires et des enfants innocents se retrouvent également englués dans ce bourbier, bloqués dans des camps dysfonctionnels disposant de peu de ressources. 

Les États européens doivent cesser d’adopter une approche « chacun pour soi » et œuvrer à un processus unifié. Dans certains cas, des déchéances de nationalité ont déjà été prononcées et, sur la base de ce que nous avons constaté lors de la « guerre contre le terrorisme », il pourrait s’agir d’un précurseur à des assassinats ciblés.

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Les États ferment les yeux, sous-traitant la « justice » aux centres de détention des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord-est de la Syrie, ou autorisant les procès de groupe à l’encontre des suspects. Ce n’est tout simplement pas la solution. 

La justice administrative ad hoc ne satisfait pas aux principes fondamentaux d’impartialité et d’indépendance. La gestion de toute menace internationale perçue nécessite une coopération efficace entre les États, notamment le partage de renseignements sur la sécurité aux frontières. La réinsertion doit également impliquer un certain degré d’implication de la base parmi les communautés touchées, afin d’éviter le casse-tête du « nous contre eux ».

La Suède a proposé la création d’un tribunal régional pour juger les combattants étrangers, mais cela pose également de graves problèmes. Sur quel droit se reposerait-il ? Quelle interprétation du contre-terrorisme serait mise en œuvre ? Quels crimes seraient poursuivis ? Le temps presse, car les changements récents dans la dynamique des conflits ont aggravé les risques.  

La lutte contre le terrorisme, telle que nous la connaissons, confère tout pouvoir aux États. Il y a très peu de procédures régulières, nécessaires même avec ceux qui pourraient avoir commis le pire des crimes. Le cadre juridique international peut être plus à même de traiter ces questions, mais il n’a pas le même niveau de pouvoir.

Mesures contre-productives

Sajid Javid, ancien ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni et actuel chancelier de l’Échiquier, a signé une déclaration d’intention commune à Ankara plus tôt cette année, officialisant les processus de partage de renseignements entre le Royaume-Uni et la Turquie pour l’expulsion de combattants étrangers britanniques. Cela pourrait changer la donne pour la Grande-Bretagne, suggérant que le Royaume-Uni pourrait juger ses propres ressortissants. Cela pourrait ouvrir la porte à une coopération régionale plus poussée, à laquelle la Suède faisait allusion. 

En attendant, le rapatriement se fait lentement. En juin, la Norvège a rapatrié cinq orphelins de Syrie ; le même mois, huit enfants ont été ramenés en Australie. L’Italie a rapatrié un soi-disant combattant de l’EI cet été, tandis que l’Allemagne a rapatrié un certain nombre de citoyens d’Irak. La France a rapatrié plus d’une douzaine de personnes, tandis que les Pays-Bas ont récemment rapatrié de Syrie deux enfants.

Une Soudanaise qui aurait appartenu à l’EI est escortée vers un véhicule dans le nord-est de la Syrie après avoir été remise aux diplomates soudanais en septembre 2018 (AFP)

Certains craignent toutefois que, dans les coulisses, les gouvernements autorisent le transfert de combattants étrangers en Irak. La France a déjà autorisé qu’onze de ses citoyens y soient poursuivis. Ces accusés ont été condamnés à la peine capitale, dans le cadre d’une procédure accélérée. Dans le cadre d’un processus qui soulève pléthore de questions en ce qui concerne la compétence, le gouvernement irakien aurait exigé des millions de dollars pour mener ces procès.

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Il est important de noter que l’Irak détient un bilan effroyable en matière de droits de l’homme et que ces solutions à court terme seront contre-productives à long terme. Laisser des combattants étrangers dans des centres de détention syriens ou fermer les yeux n’est pas la solution. Le rapatriement est le seul moyen pragmatique de sortir du bourbier des combattants étrangers. 

Tandis que les pays européens discutent des difficultés du rapatriement dans les pages de tabloïds, d’autres États ouvrent la voie. Ensemble, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont rapatrié des centaines de personnes, principalement des femmes et des enfants.

Si ces États parviennent à le faire avec un budget modeste et moins d’expérience dans la lutte contre le terrorisme, qu’est-ce qui en empêche les nations occidentales ? 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

- Khalil Dewan est chercheur et analyste. Il contribue sur le sujet du Yémen sur Bellingcat. Il a travaillé dans une société internationale de consulting en risque pays, en particulier sur le conflit au Yémen et sur la crise entre le Qatar et les pays du Golfe, s’intéressant particulièrement à l’analyse de conflit et au risque politique, sécuritaire et de violences. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @KhalilDewan.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Khalil Dewan is a researcher and analyst who contributes on Yemen with Bellingcat. He previously worked with a global country risk consultancy focusing on the conflict in Yemen and the Qatar-Gulf crisis with a special interest in conflict analysis, political, security and violent risk. He tweets @KhalilDewan
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