Le Liban est une bombe à retardement que le monde ne peut se permettre d’ignorer
Les universitaires et les experts médiatiques qui connaissent la complexité du conflit israélo-palestinien et qui ne se résignent pas au discours dominant sur ses causes profondes et ses solutions possibles ont toujours su que les « accords d’Abraham » n’allaient pas promouvoir la paix.
Les accords signés par des dirigeants détachés de la réalité – et soucieux avant tout de protéger les intérêts d’une partie au détriment de l’autre – n’apporteront pas de solution équitable et durable à un combat vieux de plusieurs décennies.
Tout accord qui ignore les aspirations des populations, le droit international et le principe fondamental « pas de paix sans justice » est voué à recevoir un retour de bâton. C’est précisément ce qui s’est produit ces dernières semaines.
Il y avait clairement une bombe à retardement que la quasi-totalité des principaux acteurs internationaux ont refusé d’écouter.
La bombe a depuis explosé, pour des conséquences sans précédent – à savoir, la révolte des citoyens palestiniens d’Israël. L’ampleur des répercussions de cette révolte est encore inconnue.
Le cessez-le-feu qui vient d’être conclu à Gaza n’est pas le prélude à une paix juste et durable, mais rien de plus qu’une pause.
Dans ce contexte, les membres du G7 – qui aspirent à réaffirmer et à diriger l’ordre mondial fondé sur des règles, prétendument menacé par des autocraties émergentes et dangereuses – ont manqué une nouvelle occasion de prouver leur crédibilité.
Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 début mai, alors que la bombe israélo-palestinienne était déjà enclenchée, ils ont fait preuve d’un oubli impardonnable en publiant un communiqué couvrant tous les différents points chauds de la planète, mais pas Israël et la Palestine.
Vers l’abîme
Une fois ce précédent embarrassant établi, notre préoccupation première devrait être de deviner l’emplacement de la prochaine bombe à retardement. Ce n’est pas difficile. Il suffit de vérifier quel autre endroit a été omis par les ministres du G7 : le Liban.
Alors que l’attention internationale s’est focalisée ces dernières semaines sur les expulsions de Palestiniens à Jérusalem-Est occupée, les assauts d’Israël contre la mosquée al-Aqsa, les tirs de roquettes depuis Gaza et la campagne de bombardement israélienne qui a suivi, le Liban a continué de glisser vers l’abîme.
Face à la paralysie politique dans la formation d’un nouveau gouvernement, à l’effondrement financier et à la progression spectaculaire de la pauvreté, les principales chancelleries américaine, européennes et arabes auraient dû faire bien plus que tirer la sonnette d’alarme.
Au lieu de cela, un silence assourdissant et impardonnable s’est installé et ces pays semblent ignorer le fait que le Liban accueille également des centaines de milliers de réfugiés syriens et palestiniens. Si l’État s’effondre, ces réfugiés ne pourront pas retourner là où ils vivaient en Syrie et en Palestine : ils se dirigeront plutôt vers l’Europe.
Dans le même temps, le discours politique libanais a été marqué par les propos injurieux du ministre des Affaires étrangères Charbel Wehbé à l’égard de l’Arabie saoudite (il a ensuite été contraint de démissionner).
Si le Liban a une quelconque chance de se remettre de sa situation actuelle, il lui sera difficile d’ignorer la bouée de sauvetage financière que l’Arabie saoudite lui offre
Bien que la politique saoudienne vis-à-vis du Liban soit empreinte de condescendance depuis des décennies, Riyad a également fourni une aide qui dépasse largement celle accordée par les institutions financières internationales.
Si le Liban a une quelconque chance de se remettre de sa situation actuelle, il lui sera difficile d’ignorer la bouée de sauvetage financière que l’Arabie saoudite lui offre.
Le Liban ne se sauvera pas en pointant du doigt ses voisins ou ses partenaires traditionnels, mais plutôt en les mobilisant pour qu’ils agissent collectivement sous forme de mécanisme consultatif permanent, afin de superviser et de soutenir la thérapie de choc politique dont le pays a besoin.
Parallèlement, le procureur général du Liban a ouvert une enquête contre le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, l’un des architectes présumés de l’effondrement financier du Liban.
Hariri, un handicap
Depuis l’explosion massive survenue l’an dernier à Beyrouth, la France a pris les commandes d’un effort visant à aider le Liban à tourner la page de son histoire récente tumultueuse.
Le président Emmanuel Macron a effectué deux visites dans le pays et tenu un discours ferme tout en prônant un changement fondamental. Et il ne s’est pas passé grand-chose.
Pendant trop longtemps, Paris a étrangement cru qu’un tel changement pouvait être apporté par l’un des principaux responsables de la catastrophe libanaise : le Premier ministre Saad Hariri.
En dépit de la présence à l’Élysée de partisans irréductibles, la France se rend peu à peu compte que Hariri est un handicap.
Pourtant, Paris ne semble pas prêt à soutenir d’autres options pour le poste de Premier ministre au sein de la communauté sunnite libanaise composite et, surtout, à sortir des sentiers battus.
Le président français et son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui se sont rendus à plusieurs reprises au Liban ces derniers mois, ont principalement consulté les personnalités politiques traditionnelles, qui ne sont pas idéalement placées pour promouvoir les réformes dont le pays a tant besoin.
Les critères d’identification de la personnalité appropriée pour sortir le Liban de l’impasse actuelle ne devraient pas être le nombre de blocs politiques et de députés traditionnels prêts à la soutenir, car dans ce cas, le candidat ne serait pas un véritable réformateur. La clé sera son histoire politique et les réformes qu’il défend.
Le Liban a besoin de quelqu’un qui ne fasse pas partie des blocs politiques traditionnels du pays, qui soit indépendant, qui n’ait pas d’intérêts commerciaux à l’intérieur du pays et, surtout, qui ne soit pas impliqué dans les politiques corrompues du passé qui ont conduit le Liban au bord de l’abîme.
Ce candidat devrait être capable d’inspirer un public libanais épuisé, tout en étant regardé avec prudence par des parlementaires retranchés et aveugles.
La communauté internationale va-t-elle agir pour une fois de manière préventive avant qu’une nouvelle crise n’éclate et soutenir des méthodes alternatives pour désamorcer une autre bombe à retardement au Moyen-Orient ?
Cela semble peu probable. La bombe à retardement libanaise est prête à exploser.
- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et à l’ONU. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.
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Traduit de l’anglais (original) et actualisé par VECTranslation.
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