Liban : l’article 522 qui permet aux violeurs de s’en sortir
Le gouvernement turc, à l’image de sa réputation de contrevenant éhonté aux droits de l’homme et à la décence, a récemment fait la une avec ce que les médias internationaux ont qualifié de « projet de loi sur le viol des enfants » qui aurait gracié les hommes condamnés pour viol, s’ils épousaient leurs victimes.
Quelles que soient les capacités de dissuasion du système de justice libanais – en grande partie antinomique – qui auraient pu faire autorité sur les potentiels violeurs et autres violateurs de l’honneur féminin, elles sont anéanties par l’article 522
Suite aux manifestations en Turquie, cette mesure a été retirée mais pas écartée. Une députée turque citée par la BBC défend ce projet de loi pour les motifs suivants : « Il s’agit de normaliser la situation de jeunes femmes qui ont été mariées mineures en raison de normes culturelles, d’autres normes, et qui souffrent désormais avec leurs enfants parce que leurs maris sont en prison… Par exemple, quand la femme a 15 ans et son mari 17 ans [lorsqu’ils se marient]. »
Mais si ces cas ne peuvent pas être considérés comme non pertinents, ils ne justifient certainement pas l’institutionnalisation de l’impunité – en particulier lorsqu’une carte sortie de prison existe apparemment déjà dans de nombreux cas de viol.
En juillet, The Independent a rapporté que « des milliers de violeurs et d’agresseurs en Turquie évitent la prison en épousant leurs victimes, ont averti des responsables de la Cour suprême turque ».
Anéantir l’effet dissuasif
Un peu au sud de la République de Turquie, le Liban mène sa propre bataille contre une loi similaire. L’article 522 du code pénal libanais dispose que :
73 % des Libanais considèrent cet article comme le reflet d’une préoccupation sociale supérieure pour la préservation de « l’honneur de la famille » au détriment de la « souffrance des femmes »
« Dans le cas où un mariage légal est conclu entre la personne qui a commis (des crimes tels que le viol, l’enlèvement et le détournement de mineur) et la victime, les poursuites cessent et, dans le cas où une décision est rendue, l’exécution de cette décision contre la personne qui y était assujettie est suspendue ».
L’article prévoit ensuite la reprise des poursuites dans certains cas de divorce.
Mais la conclusion est la suivante : quelles que soient les capacités de dissuasion du système de justice libanais – en grande partie antinomique – qui auraient pu faire autorité sur les potentiels violeurs et autres violateurs de l’honneur féminin, elles sont anéanties par l’article 522.
Selon l’ONG ABAAD, basée à Beyrouth, qui dirige la campagne actuelle pour l’abolition de cet article, 60 % de la population libanaise soutient son abrogation, tandis que 73 % « considèrent que l’article 522 accroît la pression sur les femmes pour qu’elles épousent leurs violeurs ».
Les données d’ABAAD indiquent également que 73 % considèrent cet article comme le reflet d’une préoccupation sociale supérieure pour la préservation de « l’honneur de la famille » au détriment de la « souffrance des femmes »
Une énorme violation
C’est un arrangement curieux, c’est le moins que l’on puisse dire – bien que « criminel » soit peut-être un terme plus approprié. Dans l’intérêt évident de faciliter la préservation de « l’honneur », l’article 522 est lui-même une énorme violation de ce même concept. Comme si le viol ne constituait pas un crime suffisant.
L’avenir de l’article fait actuellement l’objet d’un débat, avec les atermoiements typiques, par une commission parlementaire libanaise. Soulayma Mardam Bey de l’ABAAD m’a dit que, bien que l’organisation ne puisse pas prévoir le résultat final, les membres de la commission « réagissent positivement à notre initiative ».
Ce n’est certainement pas un petit exploit dans un pays où l’activité parlementaire a été si peu fréquente ces dernières années que certains parlementaires ont pu vivre à l’étranger et où d’autres ont jugé nécessaire de blâmer les femmes qui ont été violées dans certaines circonstances.
Elie Marouni, un récent porteur de cette notion, est membre du parti libanais Kataëb, dont les prétentions à la renommée comprennent la fourniture d’assassins pour le massacre de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, soutenu par Israël en 1982, ce qui impliquait également de nombreux cas de viols. Peut-être ces femmes étaient-elles également à blâmer ?
Sur un autre point, il est important de souligner une certaine tendance à l’hypocrisie de l’Occident lorsque sont discutés l’article 522 et d’autres sujets liés au viol : dénoncer la barbarie et les mauvais traitements présumés des femmes arabes/musulmanes alors que ce même Occident se livre régulièrement à ses violations rampantes de la dignité féminine.
Viennent à l’esprit les femmes et les filles irakiennes violées par des soldats américains, tout comme les femmes de la bande de Gaza massacrées par l’armée israélienne soutenue par les États-Unis. Et dans le climat actuel de guerre perpétuelle, c’est évidemment juste la partie émergée de l’iceberg.
French connection
En attendant, ceux qui pourraient dénoncer l’article 522 comme un simple produit du sexisme oriental feraient bien de contempler l’email que Mardam Bey m’a adressé concernant les origines de l’article :
« Les lois libanaises sont principalement inspirées par le droit français et l’article 522 n’est pas une exception. L’article 522 date de janvier 1943, dans les derniers mois du mandat français, juste avant l’indépendance [libanaise] ».
Si seulement la classe dirigeante libanaise – si souvent unie uniquement pour des motifs sectaires dans le but de viser le grand public – pouvait s’unir pour se défaire d’une mesure qui viole totalement les droits des femmes
En parlant de la France, les récentes révélations sur la scène du viol dans le film Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci semblent souligner le fait que la culture du viol a longtemps été vivante et bien dans des endroits non arabes/musulmans – comme le montre l’accession imminente à la présidence américaine d’un homme accusé de harcèlement sexuel et avec un bilan impressionnant de sexisme complet.
Reprocher à la victime son viol n’est pas non plus un phénomène étranger à l’Occident, comme les êtres doués de conscience l’ont peut-être remarqué.
De toute évidence, la misogynie mondiale n’est pas une excuse pour que le Liban conserve l’article 522 – dont l’abolition serait un changement de rythme bienvenu dans un milieu libanais d’impunité qui englobe, entre autres catégories, les crimes des dirigeants politiques et les crimes des gens bénéficiant de liens avec les dirigeants politiques.
L’État d’Israël, lui aussi, a bénéficié d’une impunité considérable au Liban, n’ayant jamais été réprimandé au niveau international pour ses 22 années d’occupation et la dévastation régulière du pays.
Si seulement la classe dirigeante libanaise – si souvent unie uniquement pour des motifs sectaires dans le but de viser le grand public – pouvait s’unir pour se défaire d’une mesure qui viole totalement les droits des femmes.
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work(Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les militants de l’ONG libanaise Abaad (Dimensions), un centre de ressources pour l’égalité des sexes, habillées en mariées et portant des bandages, organisent une manifestation dans le centre-ville de Beyrouth, le 6 décembre 2016, contre l’article 522 du Code pénal libanais (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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