Turquie : un projet de loi visant à « protéger le mariage des enfants » suscite la controverse
Un projet de loi qui annulerait les condamnations pour agressions sexuelles sur enfants lorsque l'assaillant a épousé sa victime a provoqué la fureur vendredi dernier, ses critiques accusant le gouvernement d'encourager le viol des mineurs.
Alors que l'opposition, des célébrités et même une association dont la vice-présidente est la fille du président Recep Tayyip Erdoğan ont exprimé leur inquiétude, le gouvernement a insisté sur le fait que la loi vise à faire face à la coutume répandue des mariages d'enfants et a affirmé que ces critiques étaient une distorsion grossière de son objectif.
Ces mesures ont été approuvées lors d'une première lecture du parlement jeudi et seront de nouveau soumises au vote lors d’un deuxième débat qui aura lieu prochainement.
Cherchant apparemment à calmer la polémique, le Premier ministre Binali Yıldırım a plus tard demandé au Parti de la Justice et du Développement (AKP), qui a présenté le projet de loi, de tenir des pourparlers à ce sujet avec l'opposition.
Si elle est adoptée, la loi autoriserait la libération d'hommes coupables d'avoir agressé des mineurs si l'acte a été commis sans « force, menace ou autre restriction au consentement » et si l'agresseur « épouse la victime ».
L'âge légal du consentement en Turquie est de 18 ans, mais le mariage des enfants est répandu, en particulier dans le sud-est du pays.
Des dizaines de manifestants ont protesté contre le projet de loi dans le centre d'Istanbul, déchirant des copies de la législation proposée et brandissant des slogans tels que « le viol est un crime contre l'humanité ».
« Jusqu'à ses 18 ans, un enfant reste un enfant. C'est pourquoi il faut condamner cela », a déclaré Fadik Temizyurek, un manifestant.
« Pardonner le viol »
Des célébrités ont participé au débat, notamment l'actrice Nurgül Yeşilçay qui a tweeté : « La question n’est pas d’être une femme ou un homme dans ce pays, mais de rester un être humain ».
Sur Twitter, le hashtag #TecavuzMesrulastirilamaz (le viol ne peut pas être légitimé) est devenu l’un des plus commentés par ceux qui ont utilisé les réseaux sociaux pour exprimer leur colère.
« L'AKP promeut un texte qui pardonne ceux qui se marient avec l'enfant qu'ils ont violé », a déclaré Ozgur Ozel, un député du parti d'opposition CHP.
Une pétition sur change.org demandant aux autorités de bloquer la législation a reçu plus de 600 000 signatures.
L'Association pro-gouvernementale des femmes et de la démocratie (KADEM), dont la vice-présidente n’est autre que la fille cadette d’Erdoğan, Sumeyye Erdoğan Bayraktar, a déclaré qu'un des plus grands problèmes du projet de loi serait de prouver sur une base juridique ce qui constitue la force ou le consentement.
« Comment la ‘’volonté propre’’ d'une fille si jeune peut-elle être identifiée ? », a demandé l’organisation.
Cependant, le Premier ministre Yıldırım a accusé l'opposition de s'être livrée à une « exploitation politique » en créant la polémique sur la proposition de l'AKP pour obtenir la libération d’hommes emprisonnés pour avoir épousé des mineures.
« Pendant notre campagne électorale, nous avons rencontré 3 000 victimes chaque jour. C'est une habitude de l'ancienne Turquie que d’utiliser cela pour s'engager dans la politique bon marché », a déclaré Yıldırım.
« Il n’est pas dans notre [AKP] intérêt d'ignorer une blessure saignante pour notre pays. Ce qui est dans notre intérêt, c'est de résoudre un tel problème s'il existe », a-t-il ajouté.
Les 3 000 victimes auxquelles Yıldırım fait référence sont des hommes actuellement emprisonnés pour avoir épousé des mineures.
Ces hommes sont généralement arrêtés suite à l’alerte donnée aux autorités par du personnel hospitalier ayant traité des mineures pour des situations médicales liées à des grossesses.
Le mariage des enfants est une réalité
Yildirim a déclaré que la mesure ne serait appliquée qu'une fois sur des condamnations antérieures, commises avant le 11 novembre 2016.
« Il y a des gens qui se marient avant d'avoir atteint l'âge légal. C’est juste qu’ils ne connaissent pas la loi », a-t-il déclaré aux journalistes à Ankara, ajoutant que la mesure visait à « se débarrasser de cette injustice ».
Il a affirmé que les allégations selon lesquelles la loi légaliserait le viol de facto étaient « complètement fausses » et a accusé le CHP d'exploiter la question à des fins politiques.
Le ministre de la Justice Bekir Bozdag a déclaré que les mariages impliquant des mineurs étaient « malheureusement une réalité » en Turquie, mais que les hommes impliqués « n'étaient pas des violeurs ou des agresseurs sexuels ».
Il a indiqué que la mesure affecterait quelque 3 000 familles.
Cette controverse fait suite à l’annulation par la Cour constitutionnelle turque en juillet d’une disposition du code pénal punissant en tant qu’« abus sexuel » tous les actes sexuels impliquant des enfants de moins de 15 ans.
Les défenseurs de cette loi ont fait valoir qu'elle faisait une distinction entre les cas d'actes sexuels impliquant de jeunes adolescents par opposition à des enfants beaucoup plus jeunes.
Les militants accusent le gouvernement de ne pas en faire assez pour éradiquer la pratique et de chercher plutôt à augmenter le taux de natalité.
Gauri van Gulik, directrice adjointe d'Amnesty International pour la région Europe, a déclaré que le projet de loi risquait d'envoyer « le mauvais message et pourrait conduire à d'autres abus ».
« Il est impossible […] de garantir qu'il y ait eu consentement plein et éclairé de la jeune fille, pas seulement de sa famille », a-t-elle rappelé.
Traduit de l’anglais (original).
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