L'industrie du processus de paix fait perdurer le conflit israélo-palestinien
Lors d'une conférence organisée en avril à Washington DC par le Middle East Policy Council, Ian Lustick, professeur de science politique à l'Université de Pennsylvanie, a vivement critiqué ce qu'il a qualifié de « manège continu des négociations orchestrées par les Américains ».
Après avoir analysé les intérêts et rôles respectifs du gouvernement israélien, du gouvernement américain et de l'Autorité palestinienne, Lustick s’est intéressé à un « quatrième acteur » – qu'il a appelé « l'industrie du processus de paix ».
« Il est beaucoup plus facile de recueillir des fonds, préserver les institutions et promouvoir des carrières en décrivant une fenêtre d’opportunité pour la réalisation de deux États en train de se fermer plutôt qu’en admettant qu’en fait, la fenêtre est fermée »
- Professeur Ian Lustick
Cette industrie, selon le professeur Lustick, se compose des « légions de spécialistes, érudits, commentateurs, bailleurs de fonds et organisateurs de conférences » dont les « spéculations, avertissements, cartes et conseils remplissent les journaux, les blogs et les ondes ».
En particulier, Ian Lustick a souligné le rôle des « promoteurs de la solution à deux États », qui, « étant donné le choix qui se pose à eux entre une faible chance de succès en voie de disparition et avoir à développer et adapter un cadre entièrement nouveau pour la poursuite de la justice, de la paix, de l'égalité et de la démocratie dans ce domaine, préfèrent poursuivre la lutte ».
« Il est beaucoup plus facile, a-t-il ajouté, de recueillir des fonds, préserver les institutions et promouvoir des carrières en décrivant une fenêtre d’opportunité pour la réalisation de deux États en train de se fermer plutôt qu’en admettant qu’en fait, la fenêtre est fermée. »
Le résultat est que « tant les protagonistes que les observateurs [sont découragés] de réfléchir au-delà des catégories désuètes de la solution à deux États et d’imaginer d'autres possibilités ».
Étude de cas
Cette industrie du processus de paix est bien visible. Ses membres maintiennent une présence publique très médiatisée, alors que leur rôle et influence sont présentés comme indépendants et technocratiques.
Jetons un coup d'œil à quelques exemples. Dans cinq articles publiés en l’espace de trois semaines en mai par The Washington Post, The Christian Science Monitor, Politico, CNN et Reuters, seize analystes régionaux sont cités à vingt-deux reprises.
Sur les vingt-deux experts cités dans des articles portant sur le conflit en mai, trois seulement étaient palestiniens
Dennis Ross et David Makovsky – deux collègues du Washington Institute for Near East Policy (WINEP) – sont tous deux cités dans trois des cinq articles. Le diplomate de carrière Aaron David Miller et l'ancien envoyé américain en Israël Dan Shapiro sont cités dans deux des cinq articles.
Ensemble, Ross, Makovsky, Miller et Shapiro constituent près de la moitié du total des vingt-deux contributions d'experts.
Parmi les autres analystes cités figurent Elliott Abrams, officiel de l’ère Ronald Reagan et George W. Bush, Martin Indyk, diplomate et vétéran de la politique américaine, et d'anciennes personnalités militaires et diplomatiques israéliennes comme Gilead Sher et Amnon Reshef. Sur les vingt-deux experts cités, trois seulement sont palestiniens : Jibril Rajoub, Hanan Ashrawi (la seule femme citée) et Hani al-Masri.
Si l’on considère dans leur ensemble ces cinq articles, écrits dans le cadre de la tournée du président Donald Trump au Moyen-Orient, nous notons ce qui suit :
Tout d'abord, les voix palestiniennes sont marginalisées ou parfois complètement absentes ; deuxièmement, les lecteurs ne sont pas informés des points de vue personnels des analystes ; et troisièmement, beaucoup commentent un « processus de paix » dans lequel ils ont eux-mêmes (sans succès) participé.
Makovsky (qui a la double citoyenneté israélo-américaine), par exemple, a servi comme conseiller principal de l'envoyé spécial pour les négociations israélo-palestiniennes sous le secrétaire d'État John Kerry. Cet envoyé spécial était Martin Indyk, qui avait pris un congé à la Brookings Institution pour occuper le poste, avant d’y retourner en 2014. Ross est lui aussi un ancien négociateur américain (qui pense que « nous devons être des défenseurs d'Israël »).
« La supercherie la plus spectaculaire »
Ce roulement de personnel entre think tanks et gouvernement est essentiel pour soutenir les approches fatiguées et les cadres défaillants qui ont aidé à perpétuer l’occupation, la colonisation et la dépossession des Palestiniens – sans coût significatif pour Israël en ce qui concerne les conséquences ou les sanctions liées à une telle situation.
« Lorsque nous parlions du droit international et de l'illégalité des colonies, les négociateurs israéliens nous riaient au nez. La puissance est tout, disaient-ils, et vous n'en avez pas »
- Diana Buttu, ancienne négociatrice palestinienne
La structure du processus de paix impose des « obligations mutuelles » aux « deux parties » – Israël et l'Autorité palestinienne (AP) – en dépit du fait que le premier est un puissant État occupant et le deuxième une entité autonome intérimaire en charge d’une population sous occupation.
Les experts de l'industrie du processus de paix jouent un rôle clé lorsqu’ils promeuvent ou se font l’écho des exigences qu’Israël, les États-Unis ou d'autres soumettent à l’AP, qu'il s'agisse de « réforme » des services de sécurité ou des institutions financières, ou de la fin de « l'incitation à la violence » dans les médias et le système éducatif.
Pour sa part, Israël est invité à adopter des gestes purement symboliques tels que des « mesures de construction de la confiance » dans le domaine économique, l’émission d’un plus grand nombre de permis de travail sur son territoire ou la fin de certaines restrictions sur l'utilisation des terres par les Palestiniens dans la « Zone C » de Cisjordanie.
Il y a dix ans, dans la London Review of Books, Henry Siegman, président de l’U.S./Middle East Project (USMEP), décrivait « le processus de paix au Moyen-Orient » comme étant peut-être « la supercherie la plus spectaculaire de l'histoire diplomatique moderne ». En mai 2017, dans le New York Times, l'ancienne négociatrice palestinienne Diana Buttu fustigeait elle aussi un processus de paix qui n’a fait « aucun progrès » après « plus de deux décennies ». Elle ajoutait :
« J'ai été, pendant plusieurs années, impliquée du côté des Palestiniens dans les négociations et je peux attester de leur futilité... Lorsque nous parlions du droit international et de l'illégalité des colonies, les négociateurs israéliens nous riaient au nez. La puissance est tout, disaient-ils, et vous n'en avez pas. »
Lors d'un récent séminaire à l'Université Queen Mary de Londres, l'auteure et universitaire palestinienne Ghada Karmi a déclaré aux participants : « Nous devons cesser de parler de la Palestine et nous devons faire quelque chose à propos d'Israël ».
Cependant, une telle évolution est peu probable tant que continue le manège du « processus de paix », aidé efficacement par son industrie d'experts qui fournissent à Israël une couverture pour son occupation définitivement temporaire.
- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Il est rédacteur pour le Middle East Monitor et ses articles ont été publiés par divers médias, dont Al Jazeera, al-Araby, le Huffington Post, The Electronic Intifada et dans la section « Comment is free » de The Guardian.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle-East Eye.
Photo : une Palestinienne passe devant des graffitis peints sur le mur de séparation controversé d'Israël dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie, le 15 mai 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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