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L’Irak peut-il servir de médiateur dans le différend entre l’Iran et les États-Unis ?

Bagdad doit unifier sa politique étrangère et régler ses problèmes de politique intérieure avant de pouvoir prétendre à ce rôle de manière réaliste
Le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi, à Berlin, le 30 avril 2019 (AFP)

Les tensions sont de nouveau exacerbées entre les États-Unis et l’Iran. Le retrait de l’administration Trump de l’accord sur le nucléaire iranien, suivi par les avertissements de Téhéran au sujet de la reprise de son programme nucléaire, ont ravivé une crise de plusieurs décennies. 

Au sein de l’administration Trump, les dirigeants influents – dont le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, et le secrétaire d’État, Mike Pompeo – semblent orienter les États-Unis vers un conflit avec l’Iran. 

Ce conflit, qui ne s’est jamais concrétisé en une confrontation directe, s’est essentiellement exprimé à travers les pays du Moyen-Orient. Et pour les deux parties, l’Irak est la plus précieuse des récompenses. 

Évoquant récemment une menace accrue, les États-Unis ont évacué tout le personnel non essentiel d’Irak. Une roquette présumée a ensuité été tirée par une milice pro-iranienne a atterri près de l’ambassade des États-Unis dans la zone verte (enclave sécurisée à Bagdad). Le président Donald Trump a par la suite averti que toute escalade signifierait la fin de l’Iran.

Maintenir son influence

La semaine dernière, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, s’est rendu à Bagdad et a rencontré les dirigeants irakiens. Le voyage a eu lieu quelques semaines après la visite de son homologue américain, Mike Pompeo, à Bagdad. Les deux parties veulent conserver leur influence tout en rendant l’autre moins important.

Le nouveau gouvernement irakien, élu moins d’un an après la déclaration de victoire du pays sur le groupe État islamique (EI), craint de voir l’Irak redevenir un terrain de jeu sans espoir. Les dirigeants de tous bords, pro et anti-iraniens, ne veulent pas voir leur pays se laisser entraîner dans ce conflit. Depuis plusieurs années, les dirigeants irakiens essaient d’être autre chose que des marionnettes pour l’Iran ou les États-Unis.

Au lieu de cela, ils veulent jouer un rôle de médiateur dans ce conflit. Plusieurs d’entre eux m’ont raconté qu’ils échangeaient des notes entre Téhéran et Washington, affirmant que leur accès aux deux parties les plaçait dans une position idéale pour assurer la médiation du conflit qui dure depuis des décennies.

Plusieurs dirigeants m’ont raconté qu’ils échangeaient des notes entre Téhéran et Washington, affirmant que leur accès aux deux parties les plaçait dans une position idéale pour assurer la médiation du conflit

Mais le gouvernement irakien peut-il passer de simple facteur à médiateur potentiel dans ce conflit ? Ou l’Irak est-il encore destiné à rester leur terrain de jeu ?

Des sources ont récemment indiqué que le Premier ministre Adel Abdel-Mehdi avait formé un comité de médiation dirigé par le ministre des Affaires étrangères Mohammed Ali al-Hakim.

L’équipe comprendrait notamment le chef des services de renseignement, Mustafa al-Kadhimi, et le directeur du Conseil de sécurité nationale, Faleh al-Fayadh.

Si l’Irak veut jouer un rôle de médiateur entre les États-Unis et l’Iran, il devra identifier des leviers de pression pour gagner sa place à la table des négociations. Les États-Unis et l’Iran considèrent tous les deux l’Irak comme une priorité absolue. La stabilité peut-elle fonctionner comme une monnaie d’échange potentielle ? Jusqu’à récemment, Téhéran et Washington se sont battus du même côté pour vaincre l’EI, mais les tensions récentes menacent cet équilibre en Irak.

Ni Téhéran ni Washington ne sont omnipotents ou omniscients en Irak. Les deux font des erreurs : la montée rapide de l’EI en 2014 était une grave erreur des deux côtés, qui ont chacun besoin de la stabilité de l’Irak. Les dirigeants irakiens peuvent rappeler aux deux parties les conséquences d’une menace sur la stabilité de l’Irak.

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L’Irak doit également travailler avec des acteurs régionaux et internationaux qui ne veulent pas voir le différend américano-iranien s’aggraver. Les dirigeants de nombreuses capitales européennes, de Londres à Paris, s’efforcent de trouver un moyen d’empêcher une escalade. À l’exception de certains individus à Washington et à Téhéran, il n’est dans l’intérêt de personne de voir la crise s’intensifier. Bon nombre de ces capitales peuvent donc aider l’Irak à s’impliquer aux côtés des deux côtés et à apaiser le conflit.

Pourtant, l’idée que l’Irak puisse assurer une médiation nécessite une confrontation avec la réalité. Le pays est en train de se remettre d’une guerre brutale contre l’EI, avec de nombreux défis à l’horizon pour sa reconstruction.

L’absence de politique étrangère unifiée et indépendante menace le potentiel de l’Irak à devenir un intermédiaire indépendant et honnête.

Un acteur neutre ? 

Certains dirigeants à Bagdad, tels que ceux affiliés à certains groupes des Unités de mobilisation populaire, entretiennent des relations étroites avec l’Iran et défendent des politiques pro-iraniennes. Au cours des derniers mois, ce camp a œuvré pour l’adoption d’une loi par le Parlement visant au retrait des troupes américaines du sol irakien. D’autres législateurs ont prévenu que l’Iran était la plus grande menace pour la stabilité de l’Irak. Il est clair que le gouvernement irakien n’est pas un acteur neutre dans ce conflit.

Les combattants des Unités de mobilisation populaire, à l’ouest de Mossoul, en 2017 (AFP)

L’Irak doit aussi commencer par mettre de l’ordre dans ses affaires. L’État irakien est faible et susceptible. Le gouvernement n’a toujours pas de ministre de l’Intérieur ni de ministre de la Défense. Il n’y a pas une seule femme dans le nouveau cabinet. Beaucoup d’Irakiens sont désillusionnés et cherchent à faire tomber l’élite établie. Ils continuent à boycotter le processus politique. La politique intérieure est un défi majeur pour la reconstruction de l’Irak après l’EI. 

Un avenir de médiateur ne sera possible que si le gouvernement irakien peut imposer des politiques indépendantes, émancipées de toute ingérence de l’Iran et des États-Unis, et régler sa situation interne catastrophique. Sinon, l’Irak restera un terrain de jeu.

Les autorités de Bagdad ont mis l’accent sur la politique étrangère et se sont rendues dans les capitales régionales et étrangères pour négocier. Incapable de naviguer dans sa politique intérieure, Bagdad s’est tourné vers la scène internationale. Mais encore une fois, si les dirigeants n’arrivent pas à maîtriser la politique intérieure, l’Irak ne pourra pas servir de médiateur de manière réaliste à deux puissances telles que Washington et Téhéran.

- Renad Mansour est chercheur associé pour le programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l'anglais (original).

Renad Mansour is Research Fellow in the Middle East and North Africa Programme at Chatham House.
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