L’Iran est-il derrière le missile yéménite qui a atteint Riyad ? Peu probable
Au cours du week-end, les Houthis du Yémen ont revendiqué la frappe au missile balistique qui a visé la capitale saoudienne Riyad. Malgré cette revendication, l’Arabie saoudite a accusé l’Iran ainsi que le mouvement libanais Hezbollah.
Ce n’est pas la première attaque au missile Scud menée par les Houthis contre Riyad. En mars 2017, un missile Scud des Houthis avait atteint la base aérienne du roi Salmane. À l’époque, le royaume saoudien n’avait pas accusé l’Iran ou évoqué le Hezbollah. Pourquoi le fait-il cette fois-ci ?
Un week-end tumultueux au royaume des Saoud
Les accusations saoudiennes contre l’Iran sont liées au événements qui ont ébranlé la politique saoudienne le week-end dernier, notamment une purge frappant plusieurs personnalités saoudiennes de premier plan et la mort d’un prince dans un accident d’hélicoptère près de la région d’Asir, à proximité de la frontière saoudienne. Riyad aurait tout simplement pu blâmer les Houthis, mais accuser l’Iran, qui fait office d’épouvantail dans la rhétorique du royaume, était susceptible de trouver un plus grand écho auprès des Saoudiens.
Cependant, l’Iran n’a pas besoin du Yémen pour signaler sa capacité à envoyer des missiles sur Riyad, ayant déjà démontré la puissance de son arsenal début juin. L’attaque au missile Scud de ce week-end relevait probablement de la décision des Houthis de riposter à une attaque saoudienne meurtrière contre un marché le 1er novembre dernier à Saada, bastion des Houthis.
La frappe des Houthis contre Ryad était le fait d’une puissance désespérée face à un ennemi plus fort, ainsi qu’un moyen de mobiliser leurs partisans.
Du V-2 au Scud
Le missile Scud puise ses origines dans la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’Allemagne nazie lança le V-2 le 8 septembre 1944, il s’agissait du premier objet fabriqué par l’homme projeté dans l’espace, marquant le début de l’ère des missiles balistiques. Après la guerre, tant les États-Unis que les Soviétiques capturèrent des scientifiques allemands pour s’emparer de la technologie du V2 aux fins de leurs programmes spatiaux.
Le missile balistique soviétique Scud est basé sur le modèle du V2. Né dans le théâtre européen de la Seconde Guerre mondiale, ce missile allait rejoindre l’arsenal des conflits du Moyen-Orient plusieurs décennies plus tard.
Le V représentait le mot allemand vergeltungswaffen, c’est-à-dire « arme de représailles ». Pour la population allemande, ces armes assuraient la vengeance au nom du volk (peuple) suite aux bombardements des villes allemandes par les Alliés. L’Irak dans les années 90, et récemment l’Iran et le Yémen utiliseront le Scud comme arme vengeresse.
Ces frappes n’ont pas pour but de détruire des cibles militaires. Elles servent à des fins de politique intérieure
L’Iran a utilisé cette technologie pour se « venger » de l’État islamique (EI). Le 7 juin 2017, l’EI a mené sa première attaque en Iran, tuant dix-huit personnes dans l’enceinte du parlement iranien à Téhéran. En représailles, le 18 juin, les Gardiens de la révolution islamique ont lancé six missiles balistiques Zolfaghar, du nom de l’épée bifurquée de l’imam Ali, sur des cibles de l’État islamique dans la province orientale de Deir Ez-Zor, en Syrie.
La justification officielle de ces frappes devant le public iranien était qu’elle servait de représailles suite à l’attaque terroriste contre le parlement. Mais si les missiles iraniens ont probablement visé l’EI, ils ont également envoyé des signaux diplomatiques à l’attention de l’Arabie saoudite.
L’Iran dispose de ses propres forces terrestres et de ses propres agents par procuration en Syrie, lesquels auraient pu attaquer les cibles de l’EI. Cependant, une telle attaque terrestre aurait été moins spectaculaire et n’aurait pas eu l’effet escompté sur l’Arabie saoudite.
L’Iran envoyait donc un message à Riyad suite à la déclaration antérieure du prince héritier Mohammed ben Salmane selon laquelle l’Arabie saoudite mènerait sa « bataille » contre la République islamique en territoire iranien – une déclaration qui avait précédé l’attaque de l’EI à Téhéran.
Le missile iranien, d’une portée de 700 kilomètres, pouvait également atteindre les principales villes saoudiennes. L’Iran avait par conséquent déjà communiqué ce message et n’avait nullement besoin des Houthis pour le faire en son nom.
Ryad montre les dents
Le missile Burkan 2-H est un missile de type Scud qui fait partie de l’arsenal yéménite. Il a une portée de plus de 800 km et est capable d’atteindre la capitale saoudienne. Malgré les accusations de Riyad, les Yéménites auraient pu mener cette frappe eux-mêmes sans l’aide de l’Iran, selon Neil Patrick, un expert de la politique étrangère saoudienne.
La logique qui sous-tend la frappe houthie s’apparente à l’utilisation de missiles Scud par Saddam Hussein pour attaquer à la fois l’Arabie saoudite et Israël en 1991. Le Scud, en 1991, était l’arme d’une puissance désespérée face à un ennemi supérieur sur le plan militaire qui bombardait l’Irak depuis les airs. L’attaque houthie peut être vue selon cette même optique.
Ces frappes n’ont pas pour but de détruire des cibles militaires. Elles servent à des fins de politique intérieure comme moyen de rassembler la nation, démontrant à la population irakienne ou à la population pro-Houthis au Yémen que ses dirigeants vengent les victimes de bombardements.
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Malgré les allégations d’une implication iranienne, la frappe sur Riyad a fourni aux autorités saoudiennes une justification commode pour cibler le leadership houthi, offrant des récompenses pour toute information permettant de conduire à l’arrestation de 40 de ses dirigeants.
Lorsqu’en juin 2017, le roi Salmane a élevé son fils, Mohammed ben Salmane, au titre de successeur présumé, ce remaniement de la famille royale saoudienne a coïncidé avec la crise qui a éclaté le 5 juin 2017 quand Riyad a décrété un blocus économique contre son voisin, le Qatar.
La rhétorique saoudienne agressive à l’encontre des Houthis, qui coïncide avec la purge de personnalités saoudiennes, laisse présager une nouvelle crise internationale, que ce soit l’aggravation par Riyad du conflit avec son voisin du sud ou l’ouverture d’un nouveau front au Liban.
- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent « Iraq’s Armed Forces: An Analytical History » (2008), « The Modern History of Iraq » (2017), et « A Concise History of the Middle East » (à paraître).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo fournie par le ministère iranien de la Défense le 27 juillet 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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