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Le Maroc pourrait faire les frais de la dernière attaque israélienne contre Gaza

L’inertie de Rabat face aux frappes meurtrières israéliennes contre Gaza et l’opposition interne et algérienne à la normalisation fragilisent la position du Palais royal marocain
Une frappe aérienne israélienne sur Khan Younès, dans le Sud de la bande de Gaza, le 5 août 2022 (AFP/Youssef Massoud)

Il aura fallu attendre le troisième jour des attaques de l’armée israélienne contre Gaza pour que les autorités marocaines sortent enfin de leur torpeur diplomatique habituelle. Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères le 7 août, le royaume s’est contenté d’exprimer « une vive inquiétude [face à] la grave détérioration de la situation dans la bande de Gaza ».

Un discours qui se situe à peu près au même niveau que les positions des pays européens et en deçà des déclarations officielles de nombreux pays arabes qui ont condamné les attaques israéliennes, à l’instar de l’Arabie saoudite, du Koweït ou encore de l’Algérie.    

Une diplomatie royale essoufflée   

Il était hors de question pour le pouvoir marocain de s’aventurer à condamner l’offensive militaire israélienne contre Gaza de peur de froisser l’ancien-nouveau « partenaire », avec lequel le royaume a mis sur pied une coopération majeure, notamment dans le domaine de la sécurité, dans le cadre de l’accord de normalisation signé en 2020 sous l’égide du président américain Donald Trump.

Il semble loin le temps où le royaume martelait que la normalisation allait lui permettre de jouer un « rôle plus actif dans le processus de paix visant à mettre sur pied la solution à deux États ».

Il semble loin le temps où le royaume martelait que la normalisation allait lui permettre de jouer un « rôle plus actif dans le processus de paix visant à mettre sur pied la solution à deux États »

Car, dans la réalité, le Maroc ne figure pas parmi les pays de la région leaders sur la question israélo-palestinienne, à l’instar de l’Égypte notamment, qui est parvenue, avec le soutien du Qatar, à établir un cessez-le-feu fragile entre Palestiniens et Israéliens.

Le roi Mohammed VI semble ainsi pris en otage de son propre stratagème. À force de vouloir ménager la chèvre et le chou, il a vu s’abîmer son autorité de président du Comité Al-Qods, chargé de contribuer à la sauvegarde des lieux saints musulmans à Jérusalem.

Contrairement à sa réaction en 2021 lors des raids israéliens sur l’esplanade des Mosquées et l’offensive meurtrière de onze jours contre Gaza, le monarque n’a pas osé cette fois-ci condamner les dernières tentatives d’incursion des colons israéliens à al-Aqsa.

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Une opportunité qu’a saisie le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, dans l’espoir de pouvoir redorer son blason dans le monde musulman, après son implication directe dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.

Pardonné vraisemblablement par l’administration Biden, le gardien des lieux saints de La Mecque et Médine a revêtu son habit religieux pour condamner l’attaque israélienne contre la bande de Gaza, puis, au passage, l’incursion de colons juifs dans l’esplanade des Mosquées.

De quoi fragiliser le leadership symbolique de Mohammed VI, Commandeur des croyants, sur la question palestinienne et des lieux saints musulmans de Jérusalem, malgré la campagne médiatique lancée le 17 juillet visant à attribuer au monarque le mérite du projet d’ouverture du pont Allenby (ou Roi-Hussein) devant permettre aux ressortissants palestiniens de passer facilement vers la Jordanie – alors qu’il s’agissait en réalité d’une médiation américano-marocaine.  

Une possible radicalisation de la contestation

Les bombardements israéliens sur Gaza constituent par ailleurs un test politique quant à la capacité du régime marocain à réguler la contestation populaire qui monte à chaque fois que l’armée israélienne attaque la Palestine ou autorise ses colons à accéder à al-Aqsa.

Le royaume a toujours fait face à des protestations populaires pro-palestiniennes, mais la situation semble avoir changé après la normalisation.

Des Marocains manifestent pour appeler à la fin de l’offensive israélienne contre Gaza et l’arrêt de la normalisation avec Israël, dans la capitale Rabat, le 16 mai 2021 (AFPFadel Séné)
Des Marocains manifestent pour appeler à la fin de l’offensive israélienne contre Gaza et l’arrêt de la normalisation avec Israël, dans la capitale Rabat, le 16 mai 2021 (AFP/Fadel Séné)

Coup de maître savamment orchestré par le Palais et ses affidés ou simple coup du hasard, ce sont les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), alors au gouvernement, qui ont signé en 2020 les accords de normalisation avec Israël.

Or aujourd’hui, le roi ne peut plus compter sur ce soutien politique, car le PJD affiche désormais ouvertement son opposition à la normalisation.

À chaque attaque militaire israélienne, toutes les forces politiques du pays s’engagent à rassembler leurs troupes pour défendre le peuple palestinien [..]. C’est dire, pour Rabat, le coût politique élevé sur le long terme des offensives militaires israéliennes

Dans un communiqué du 6 août, le secrétaire général du parti a « condamn[é] les récentes agressions israéliennes sur Gaza, réit[éré] son soutien à la résistance palestinienne et rejet[é] la normalisation avec Israël ».

Une réaffirmation du credo idéologique du PJD, momentanément ravalé, à conte-cœur peut-être, lors de la signature de la normalisation. Désormais dans l’opposition, le parti semble affranchi et s’aligne désormais sur la position anti-normalisation défendue depuis toujours par le Mouvement unicité et réforme (MUR), association connue pour être l’appareil idéologique du PJD.

À l’occasion d’une marche de solidarité avec le peuple palestinien, le 8 août à Rabat, le chef du MUR, Abderrahim Chikhi, a en effet condamné les « agressions barbares perpétrées par Israël contre le peuple palestinien, ainsi que la position officielle effacée qui ne répond pas aux aspirations du peuple marocain ».

Même son de cloche chez les islamistes d’Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance), parti d’opposition radicale dont le vice-président du cercle politique, Mohamed Hamdaoui, a qualifié, le 10 août, les attaques militaires israéliennes contre Gaza d’actes criminels.

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Il a en outre accusé les dirigeants arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël de « cautionner les crimes sionistes » en accueillant chez eux les chefs de l’armée israélienne – allusion probable à la dernière visite du chef de l’état-major de l’armée israélienne au Maroc.

Au vu des dynamiques de protestation en cours, il est fort probable de voir émerger des rapprochements entre les islamistes du PJD/MUR et ceux d’Al Adl Wal Ihssan susceptibles de contribuer à terme à une radicalisation de la contestation populaire, notamment autour de thèmes mobilisateurs comme la question palestinienne.

De fait, à chaque attaque militaire israélienne, toutes les forces politiques du pays s’engagent à rassembler leurs troupes pour défendre le peuple palestinien, y compris les partis de gauche comme le Parti socialiste unifié (PSU). C’est dire, pour Rabat, le coût politique élevé sur le long terme des offensives militaires israéliennes comme celle qui vient de se produire à Gaza.

Tensions avec l’Algérie

Il faut dire en outre qu’Israël soumet les autorités marocaines à des pressions considérables afin d’accélérer une normalisation tous azimuts : en novembre 2021, en pleine tensions entre Rabat et Alger à cause notamment du rapprochement géostratégique et militaire entre le royaume, Israël et les États-Unis, le Maroc et Israël ont donc conclu un accord-cadre de coopération sécuritaire majeur, lors d’une visite du ministre israélien de la Défense Benny Gantz.

La même année, les tensions se sont intensifiées entre le Maroc et l’Algérie après la condamnation par Alger de la campagne menée par Rabat en faveur de l’octroi à Israël du statut d’observateur à l’Union africaine (UA).

En juin 2022, les observateurs militaires israéliens ont même participé, pour la première fois, à l’exercice militaire African Lion 2022. Le 18 juillet, c’est le chef de l’armée israélienne en personne, Aviv Kochavi, qui s’est rendu au Maroc.

Ce, sans compter les actes d’espionnage menés par les services secrets marocains sur des milliers de téléphones portables de responsables et personnalités algériens grâce au logiciel espion israélien Pegasus.

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De quoi attiser les flammes de la discorde entre le Maroc et l’Algérie, pays qui s’oppose farouchement à la normalisation et considère le rapprochement entre son voisin et Israël comme une tentative de « déstabilisation ».

Lors de son dernier discours royal fin juillet, probablement rappelé à l’ordre par les puissances occidentales, le roi Mohammed VI a tenté de contenir la colère des maîtres d’Alger, en prônant un « apaisement amical avec le voisin algérien ».

Mais quelques jours plus tard, à la surprise générale, son cousin le prince Moulay Hicham, en exil choisi aux États-Unis, est monté au créneau, signant un article en arabe où il défend la thèse d’une « normalisation de contingence avec Israël », qui s’offre objectivement aux pays arabes et qui, dans le cas du Maroc, s’avérerait « utile » pour faire face au « progrès militaire de l’Algérie ».

Une logique de guerre qui risque d’envenimer davantage les relations entre les deux pays, à un moment où l’Algérie s’apprête à organiser, en novembre prochain, le sommet de la Ligue arabe, durant lequel la question de la normalisation avec Israël, et notamment ses coûts et bénéfices, sera certainement à l’ordre du jour.

Alger, qui pourrait entre-temps compter sur une éventuelle médiation du président français Emmanuel Macron, attendu fin août dans le pays, afin de lui faire part de la réalité des « menaces » que représente la coopération militaire entre le Maroc et Israël pour la région.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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