Massacre en Nouvelle-Zélande : la haine engendrée par l’Australie
« Nous nous tenons ici et condamnons absolument l’attaque perpétrée aujourd’hui par un terroriste extrémiste, de droite et violent », a déclaré le Premier ministre australien Scott Morrison lors d’une conférence de presse, tandis que son pays se heurtait au fait que l’un de ses ressortissants avait assassiné 50 fidèles musulmans en Nouvelle-Zélande voisine.
Les opinions antimusulmanes adoptées par les politiciens et les experts ne peuvent être distinguées de celles diffusées par des groupes violents d’extrême droite
Il faut féliciter Morrison pour avoir appelé et identifié exactement qui et ce qu’est le meurtrier de masse de la mosquée de Christchurch – « un terroriste violent de droite » –, il n’empêche que le dirigeant politique de l’Australie et son parti conservateur sont responsables de la généralisation de la rhétorique antimusulmane qui n’existait autrefois que dans les mèmes trouvés dans la blogosphère d’extrême droite.
Gardez à l’esprit que Morrison, alors porte-parole de l’opposition en matière d’immigration, avait exhorté en 2011 le gouvernement fantôme à tirer parti des inquiétudes grandissantes des électeurs au sujet de « l’immigration musulmane », des « musulmans en Australie » et de « l’incapacité » des musulmans à s’intégrer à la culture locale.
« Une solution finale »
Aujourd’hui, l’écosystème australien de groupes d’extrême droite, en ligne et dans la rue, s’est parfaitement intégré au discours politique populaire de droite. La sénatrice Pauline Hanson (du parti Pauline Hanson’s One Nation) a récemment comparé l’islam à une « maladie » contre laquelle il faudrait être « vacciné ».
Un autre sénateur, Fraser Anning, a suggéré que l’Australie adopte une « solution finale » pour mettre fin à l’immigration musulmane, tandis que l’ancien Premier ministre Tony Abbott a émis des doutes sur le fait que l’islam soit une « religion de paix ».
Aujourd’hui, les opinions antimusulmanes adoptées par les politiciens et les experts ne peuvent être distinguées de celles diffusées par des groupes et des individus violents d’extrême droite.
Un tel discours a normalisé l’islamophobie de telle sorte que le manifeste dérangé et semi-cohérent de 74 pages de Brenton Tarrant s’apparente à un discours politique banal.
C’est pourquoi les partis politiques dépensent chaque année des centaines de millions de dollars pour tenter de déterminer les problèmes qui importent le plus aux yeux des électeurs et ce qu’ils en pensent.
Il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme en sciences politiques pour comprendre que les politiciens reflètent et amplifient les points de vue de leurs électeurs afin d’obtenir leur soutien et leurs votes. En d’autres termes, ils ne disent pas des choses qui ne leur rapporteront pas sur le plan politique.
Très islamophobe
Par ailleurs, bien que 75 % des Australiens reconnaissent ne rien savoir ou en savoir peu sur l’islam et les musulmans, ce qui n’est pas surprenant étant donné que les musulmans ne représentent que 2 % de la population totale, un Australien sur dix est « très islamophobe » et a peur ou craint les musulmans.
Un tas de données le confirme.
Par exemple, si seulement 41 % des Américains sont favorables à l’interdiction temporaire des immigrants provenant de quelques États-nations à majorité musulmane, une majorité relative d’Australiens (49 %) sont favorables à une interdiction permanente pour les musulmans d’entrer dans le pays.
Notez également que si seulement 250 des quelque 500 000 musulmanes du pays portent le niqab, plus de 55 % des Australiens sont favorables à son interdiction dans des lieux publics.
Si un seul chiffre provenant des sondages pouvait prouver que la peur et le dégoût des musulmans ont atteint l’hystérie, il s’agirait alors de celui qui montre que les Australiens estiment que la population musulmane du pays est neuf fois plus élevée qu’elle ne l’est en réalité.
Comment nous en sommes arrivés là
Comment l’Australie en est-elle arrivée là, ou plutôt comment un pays qui se vante légitimement et fièrement d’avoir établi une société multiculturelle florissante, avec Melbourne et Sydney classées parmi les villes les plus cosmopolites du monde, a engendré un individu dérangé par une haine pathologique des musulmans ?
De manière surprenante, la réponse à cette question est en réalité assez simple : les médias et les entrepreneurs politiques australiens ont profité des inquiétudes suscitées par les attaques terroristes « islamistes », ainsi que les craintes de longue date de l’Australie blanche qui redoute de devenir une banlieue asiatique, en adoptant le langage de l’extrême droite.
La peur de l’étranger est aussi australienne que le cricket et les pâtés à la viande, comme le souligne sa « politique de l’Australie blanche » qui bannissait les personnes d’origine non européenne entre 1901 et 1966, année de sa dissolution complète.
Mais c’est la peur d’être envahie par les hordes asiatiques qui empêchait l’esprit raciste blanc de dormir la nuit. Au XIXe siècle, on craignait que les immigrants chinois ne prennent tous les emplois et l’or. Ensuite, ce fut la peur compréhensible d’un Japon impérialiste déchaîné, laquelle a précédé l’inquiétude de se faire submerger par les réfugiés et les demandeurs d’asile à la fin des années 1990.
2001 fut toutefois l’année décisive en ce qui concerne la façon dont les Australiens en sont venus à redouter les musulmans – je ne parle pas des attaques du 11 septembre contre New York et Washington D.C., mais plutôt des élections fédérales tenues cette année-là.
Un dernier recours
Dans la période qui a précédé les élections, la coalition alors conservatrice se préparait à une lourde défaite électorale. Elle avait donc désespérément besoin d’un dernier recours pour arracher la victoire des griffes de l’humiliation.
Au mois d’août de cette année, ses prières ont été exaucées lorsqu’un bateau de réfugiés, le Tampa, conçu pour accueillir 40 passagers au maximum, est entré dans les eaux australiennes avec à son bord 433 demandeurs d’asile afghans, dont 46 enfants, qui fuyaient la brutalité du régime taliban en Afghanistan.
À partir de là, le gouvernement Howard a commencé à mettre en place les instruments d’une crise d’immigration montée de toutes pièces, en plaçant la peur des demandeurs d’asile musulmans au centre de sa candidature à sa réélection ; le Premier ministre a alors annoncé son slogan de campagne : « Nous seuls déciderons des personnes qui viennent dans ce pays et des circonstances dans lesquelles elles viennent. »
Moins de deux semaines après que les réfugiés à bord du Tampa ont commencé à accaparer l’actualité, quatre avions américains de transport de passagers détournés se sont écrasés sur le World Trade Center, sur le Pentagone et dans un champ en Pennsylvanie, avant que le groupe al-Qaïda abrité par les talibans ne revendique ce qui demeure la plus grande attaque terroriste de l’histoire.
Tout à coup, Howard s’est retrouvé sur la voie de la réélection en grimpant littéralement sur le dos des 433 demandeurs d’asile afghans ; sans se soucier de leur bien-être et au mépris du droit international, le gouvernement a misé sur la peur soudaine des électeurs vis-à-vis de l’islam et des musulmans, allant jusqu’à affirmer faussement que des mères et des pères avaient jeté leurs enfants par-dessus bord pour assurer leur survie et leur arrivée sur la terre ferme.
Une telle rhétorique a sans l’ombre d’un doute renforcé les tropes islamophobes dépeignant les musulmans comme « non civilisés et barbares », aidant le gouvernement Howard à remporter une victoire électorale serrée le 10 novembre 2001.
Le leurre du racisme et la peur
La campagne réussie de Howard, passée à brandir le leurre du racisme et de la peur, modifiera à jamais la politique australienne et placera l’immigration au centre du débat politique des deux décennies suivantes.
Les journaux australiens de droite appartenant à Rupert Murdoch ont généré 2 891 publications saccageant l’islam et les musulmans en une période de seulement 12 mois, ce qui équivaut à 8 titres négatifs par jour
Les inquiétudes suscitées auprès du public par les attentats terroristes perpétrés par al-Qaïda à Bali (Indonésie) le 12 octobre 2002, qui ont coûté la vie à 88 Australiens dans une boîte de nuit populaire de Kuta, y ont sans aucun doute contribué.
Lorsque la Jemaah Islamiyah, une filiale d’al-Qaïda, a perpétré un attentat à la bombe à l’ambassade d’Australie à Jakarta en 2004, qui a été suivi d’une seconde attaque à Bali en 2005, un attentat dont moi-même et plusieurs de mes amis proches avons eu la malchance d’être témoins, « musulman » et « terroriste » sont devenus à la fois synonymes et interchangeables dans les médias australiens.
Jusqu’alors, l’animosité déclarée envers les musulmans était restée en grande partie invisible et occupait principalement les forums de discussion et les blogs en ligne. S’est ensuivie toutefois la prolifération des réseaux sociaux avec l’essor de Facebook et Twitter dans les années 2007 – 2008, coïncidant avec la multiplication des smartphones.
La conspiration de la « marée musulmane »
Ces nouvelles technologies ont soudainement donné aux groupes antimusulmans, d’extrême droite et ultra-nationalistes la capacité de toucher, de relier et d’influencer un public beaucoup plus vaste que ce que permettent un million de newsletters et d’articles de blogs.
Cela leur a permis de placer leurs mèmes antimusulmans et anti-islam dans les fils d’actualité d’individus qui, en temps normal, n’auraient probablement jamais été exposés à des complots qui accusent 1,6 milliard de musulmans de conspirer secrètement pour renverser des gouvernements démocratiques et les remplacer par une gouvernance de type État islamique ou d’échafauder un plan pour envahir l’Occident de bébés nés de musulmans, conspiration autrement connue sous le nom de « marée musulmane ».
Ces conspirations entièrement erronées ne sont pas seulement largement diffusées dans le paysage des réseaux sociaux australiens par des comptes appartenant à des groupes d’extrême droite tels que Reclaim Australia, l’Australian Defense League, Rise Up Australia, l’United Patriots Front, l’Australian Liberty Alliance ou Nationalist Alternative, entre autres, mais aussi dans les médias grand public par les responsables politiques tout comme par les experts ; de même, elles ont été mentionnées par le terroriste de Christchurch sur son blog et son manifeste.
Il convient toutefois de souligner que si la présence de l’extrême droite se ressent et s’observe lors des manifestations de rue en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis, en Australie, ces groupes restent largement limités à une présence en ligne, du moins pour le moment.
La plus grande menace intérieure
Il convient également de noter ici qu’avant le 11 septembre, ASIO, la principale agence de renseignement australienne, avait considéré les extrémistes de droite comme la plus grande menace terroriste intérieure. C’est une menace qui a toujours été là, qui continue de croître et qui reste largement ignorée.
La menace croît parce que les médias grand public continuent d’harmoniser l’animosité antimusulmane d’extrême droite dans le discours public. Une étude récente a révélé que les journaux australiens de droite, en particulier ceux appartenant à Rupert Murdoch, ont généré 2 891 publications saccageant l’islam et les musulmans en une période de seulement 12 mois, ce qui équivaut à 8 titres négatifs par jour, chaque jour pendant une année entière.
Lorsque les musulmans sont dépeints en ligne comme des « envahisseurs » et que cette description s’accorde avec les unes des journaux qui les déshumanisent et les dégradent en associant religion et terrorisme, on obtient alors quelqu’un comme Brenton Tarrant et la mort de 50 fidèles musulmans dans une mosquée du voisin néo-zélandais.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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