Ne soyons pas trop optimistes quant à une disparition imminente de l’État islamique
Il y a deux ans, le monde entier s’est réveillé en apprenant que le soi-disant État islamique avait pris la deuxième plus grande ville d’Irak, Mossoul, et infligé une défaite choquante à l’armée irakienne. La stratégie principale de l’État islamique était basée sur des démonstrations de force et des prises de territoires sur lesquels le groupe a imposé son autorité. Suite à cela, l’État islamique a pu proclamer un califat islamique à cheval entre la Syrie et l’Irak à la fin du mois de juin 2014.
À la suite de ce séisme géopolitique dans la région du Moyen-Orient, une coalition internationale dirigée par les États-Unis a été annoncée pour éliminer l’État islamique. Pourtant, après deux ans de domination de l’organisation, des incertitudes subsistent sur la stratégie dirigée par les États-Unis pour affronter et éliminer l’État islamique.
Les graines du sectarisme sont encore sous terre
La coalition dirigée par les États-Unis s’est globalement reposée sur la force militaire comme instrument principal pour combattre l’État islamique. Sans aucun doute, l’expansion territoriale de l’État islamique a été interrompue, l’organisation ayant perdu beaucoup de territoire, dont des villes stratégiques. En outre, les capacités offensives de l’organisation, auparavant considérées comme redoutables, ont été mises à mal par une série de défaites et de revers. À la place, le groupe est passé dans une position défensive.
Pourtant, malgré le succès relatif des forces opposées à l’État islamique sur le plan militaire, les méthodes utilisées lors de ces opérations font de l’échec un résultat probable. Alors que le sectarisme et la persécution des sunnites en Irak étaient l’une des principales raisons qui ont entraîné la montée de l’État islamique, la coalition internationale a fermé les yeux sur les risques de l’inclusion d’éléments sectaires dans l’alliance ad hoc contre l’État islamique. Cette omission contribuera uniquement à enflammer davantage la région en semant les graines de nouvelles luttes intestines sectaires et d’une instabilité accrue.
Ceci a déjà été observé dans les offensives victorieuses menées par l’armée irakienne pour reprendre Falloujah à l’État islamique. Non seulement l’armée irakienne a vu son professionnalisme être sérieusement remis en question, mais elle a également été soutenue par la participation controversée des Unités de mobilisation populaire (UMP), supervisées par l’Iran. Depuis le début de la dernière offensive militaire il y a trois semaines, et même lorsque les affrontements avaient encore lieu à la périphérie de la ville, des massacres sectaires ont eu lieu. Les milices chiites ont par exemple procédé à un nettoyage ethnique sectaire contre des civils sunnites après les avoir accusés de soutenir l’État islamique.
Le gouvernement irakien, soutenu par la coalition internationale et les milices chiites, a repris la plupart des centres majeurs contrôlés par l’État islamique tels que Tikrit, Baïji et Ramadi, à la suite de quoi seule la ville de Mossoul demeure sous le contrôle de l’État islamique.
Beaucoup s’attendent à une fin imminente de l’État islamique suite à cette série de défaites sur le terrain. Après la bataille pour Falloujah, toutes les forces vont probablement se rassembler en vue d’une bataille potentiellement décisive pour Mossoul, considérée comme la capitale de l’État islamique en Irak. Toutefois, une victoire lors de cette bataille signifiera-t-elle que l’État islamique serait définitivement déraciné de la région ?
Cette issue est peu probable, puisqu’une lutte contre un phénomène à l’aide de méthodes qui ont elles-mêmes provoqué le phénomène en premier lieu est vouée à l’échec. Si les choses continuent telles qu’elles l’ont été jusqu’à présent, sans règlement juste pour toutes les sectes, des groupes sectaires extrémistes surgiront des cendres d’une défaite militaire de l’État islamique. Rétrospectivement, il est évident que la crise sunnite n’a cessé de s’intensifier lors du retrait des forces américaines opéré jusqu’en 2013, au moment où l’État islamique a émergé, se présentant comme le protecteur des sunnites.
L’État islamique a exploité la persécution des sunnites et l’empiètement des groupes chiites supervisés par des conseillers iraniens. Même si l’État islamique ne disposait pas du soutien de la majorité des sunnites, le groupe a au moins obtenu leur neutralité dans la mesure où beaucoup d’entre eux ont vu l’extrémisme de l’État islamique comme une force de lutte contre les nuisances du gouvernement et de ses alliés. Tant que les politiques sur fond sectaire se poursuivent, l’extrémisme refera probablement surface sous différents noms, différentes organisations et différentes sectes.
Les militants kurdes ne sont pas la clé
En Syrie, le soutien initial des États-Unis pour l’exigence de l’opposition syrienne d’un avenir sans le président Bachar al-Assad a été déclassé lorsque la lutte contre l’État islamique est devenue leur priorité stratégique. Puisque la mission de la coalition internationale ne s’est pas étendue jusqu’au déploiement de troupes sur le terrain et puisque l’opposition est restée déterminée à lutter contre le régime d’Assad, il n’y avait pas de force au sol conventionnelle pour mener la lutte contre l’État islamique, contrairement à la situation en Irak.
L’échec des États-Unis dans leur recherche d’un allié solide sur le terrain a donné lieu à une alliance américano-kurde. Les militants kurdes syriens, sous le leadership du Parti de l’union démocratique (PYD), développent une vision identique à celle des États-Unis, à savoir que la victoire contre l’État islamique doit avoir la priorité sur l’éviction du régime Assad. En outre, les Kurdes syriens ont trouvé à travers cette alliance une opportunité d’obtenir plus facilement leur État tant attendu.
Les progrès évidents représentés par cette alliance ont été observés dans la bande septentrionale à la frontière syrienne avec la Turquie. La victoire contre l’État islamique dans ces territoires a permis de couper la passerelle par laquelle les combattants étrangers affluaient pour rejoindre le groupe. Il convient néanmoins de se demander dans quelle mesure les militants kurdes peuvent constituer une menace réelle pour l’État islamique en Syrie et continuer à remporter des victoires. La réponse est que les perspectives sont minces.
Les Kurdes qui combattent dans les villes septentrionales cherchent à modifier l’équilibre démographique en déplaçant des Kurdes dans ces zones. Chasser l’État islamique représente une étape nécessaire pour protéger la population kurde et établir un État kurde. Pour être précis, ils combattent dans leurs terres avec l’accueil chaleureux et le soutien des habitants, mais ce n’est pas le cas dans les villes à population arabe telles que Raqqa, où les gens appréhendent un nettoyage ethnique.
Les soupçons au sujet des forces kurdes sont fondés, puisque pour réaliser leur rêve d’État, les Kurdes ont lancé un nettoyage ethnique contre les Arabes. Afin de créer une unité géographique continue pour l’État entrevu, les Unités de protection du peuple kurde (YPG) ont expulsé des Arabes et des Turkmènes et commis des massacres dans la banlieue nord d’Hassaké, comme à Kameshli et à Tall Hamis. Ces actions ont provoqué un clivage sociétal et contrecarré les possibilités de former une alliance stable sur le terrain pour mettre fin au règne de l’État islamique.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance naissante qui comprend une majorité de Kurdes et une participation modeste d’Arabes, est un exemple de la façon dont les craintes d’ordre ethnique continuent d’éclipser les relations. Un reportage du journal The Guardian a révélé le sentiment de méfiance entre les combattants des FDS et la marginalisation des Arabes dans la bataille en cours pour prendre Manbij à l’État islamique.
La reprise de Raqqa, le bastion de l’État islamique en Syrie, nécessitera une force plus efficace que les militants kurdes. Comme à Mossoul, en Irak, la ville est encore entre les mains de l’État islamique en dépit de la grande puissance des forces opposées au groupe qui l’entourent. Il est préférable de revoir l’approche en Syrie au lieu de miser sur les unités ethniques qui ne feraient très probablement que brouiller les cartes.
L’État islamique n’est pas la cible principale de la Russie
L’intervention russe en Syrie est venue à la rescousse du gouvernement d’Assad qui était au bord de l’effondrement au cours de l’été dernier. La Russie n’a pas visé uniquement l’État islamique lors de ses assauts aériens, mais a inclus tout groupe ou individu qui « ressemble à un terroriste [et] marche comme un terroriste », comme l’a affirmé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. En clair, cette intervention a été conçue pour briser les forces de l’opposition dans la partie ouest de la Syrie plus que celles de l’État islamique, ce qui s’est effectivement concrétisé.
Pour dire les choses simplement, le leadership d’Assad cherche à conserver l’État islamique sur la scène syrienne parce qu’il sait que l’Occident privilégie la victoire contre l’État islamique au retrait d’Assad. Tant que l’État islamique reste une menace, Assad sait que l’Occident n’en aura pas après lui. Il n’est pas surprenant de voir que les forces d’Assad se sont coordonnées clandestinement avec l’État islamique, comme le montrent des documents dévoilés par Sky News révélant ce qui a eu lieu au cours de la bataille de Palmyre. La Russie comprend que l’existence de l’État islamique offre une bouée de sauvetage au régime syrien. Il serait frivole de supposer que l’intervention russe pourrait mettre un terme à l’existence de l’État islamique en Syrie.
Les stratégies défectueuses employées pour combattre l’État islamique affaibliront sans aucun doute ses capacités militaires pour un court laps de temps ; toutefois, en se servant de forces sectaires et ethniques dans ce combat, l’alliance contre l’État islamique rend le retour de l’État islamique et de sa progéniture inévitable.
- Menwer Masalmeh est un journaliste palestinien basé au Royaume-Uni qui écrit sur les questions relatives au Moyen-Orient. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @MinwerMasalmeh.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les forces pro-gouvernementales irakiennes tiennent un drapeau du groupe État islamique dans le quartier d’al-Dhubat II, à Falloujah, alors qu’elles essaient de vider la ville des combattants de l’État islamique encore retranchés dans l’ancien bastion militant, le 19 juin 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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