Nous sommes tous Ahed Tamimi
Pendant le trimestre hivernal, j’ai eu l’honneur de dispenser un nouveau cours, intitulé « Questions contemporains en études arabes ». Mon directeur de département m’a demandé, pendant ce cours de niveau supérieur, de couvrir trois ou quatre thèmes de manière approfondie.
Le cours impliquait d’avoir suivi un autre cours, que j’avais déjà enseigné, « l’expérience arabo-américaine », et je connaissais donc les étudiants qui seraient admis au niveau supérieur. J’avais donc prévu de ne pas reprendre des thèmes que nous avions déjà couverts.
Une expérience riche d’enseignements
Dans « l’expérience arabo-américaine », j’ai remarqué que nous ne cessions de revenir à la Palestine, alors que le programme traitait très peu de la Palestine, vu que le cours portait sur les Arabes américains, et non sur le monde arabe.
Ce fut une expérience très instructive pour tous les Arabes américains, qu’ils se soient sentis personnellement concernés ou non. En effet, l’islamophobie et le racisme anti-arabe, expériences si souvent partagées par la plupart des Arabes américains, quelle que soit leur religion et leur opinion politique, sont fortement infléchis par le discours sioniste, qui taxe les Palestiniens de terroristes, et les Arabes en général de sauvages barbares et antisémites.
Ainsi, pendant que nous évoquions l’expérience arabo-américaine d’aliénation et d’hostilité, nous revenions sans cesse à la Palestine.
Il s’avérait visiblement impossible de discuter en profondeur d’une question arabo-américaine sans passer par la Palestine
C’est pourquoi, lorsque j’ai préparé le cours de niveau supérieur, j’ai de nouveau consacré le minimum de contenu à « la Palestine », puisque nous l’avions déjà étudiée, et parce qu’un grand nombre de mes étudiants avaient également suivi un cours dispensé par un autre membre de la faculté, « Palestine, sionisme et Israël ».
Il s’avérait visiblement impossible de discuter en profondeur d’une question arabo-américaine sans passer par la Palestine.
Un jour, nous venions d’évoquer le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions : l’appel palestinien au boycott complet d’Israël sur le modèle d’un appel similaire en Afrique du Sud), et j’ai indiqué à mes étudiants que, tout au long des années 1980, pendant la lutte contre l’apartheid, les militants sud-africains à Londres projetaient une image géante de Nelson Mandela sur les façades de l’ambassade d’Afrique du Sud – commodément située face à Trafalgar Square, place célèbre pour ses rassemblements politiques et ses mouvements de protestation.
Ils faisaient cela dans le but d’attirer l’attention sur le sort de Mandela et de dénoncer devant le monde entier l’injustice du régime d’apartheid sud-africain. Un étudiant a posé cette question : quel serait, parmi les dirigeants palestiniens emblématiques, ceux dont le portrait serait projeté sur n’importe quelle façade aujourd’hui ?
Il y a quelques années, cela aurait pu être Yasser Arafat, malgré tous ses défauts. Son héritage, cependant, est sérieusement terni. Et la classe parvint alors à ce consensus : aujourd’hui, l’équivalent palestinien de Mandela serait Ahed Tamimi. Voici l’envergure qu’a acquise cette jeune fille de 17 ans.
Tamimi et Mandela
Coïncidence : quelques semaines plus tard, le Palestine Adovacy Project, à Boston, a lancé une campagne basée sur la photo d’Ahed Tamimi, placardée sur d’immenses panneaux publicitaires. Une affiche porte le slogan « Libérez Nelson Mandela », mais le nom de Mandela a été barré et remplacé par celui d’Ahed Tamimi. Une autre en appelle à la « Liberté pour les enfant palestiniens », et cette fois encore, elle présente le portrait de la jeune Tamimi.
Il ne fait aucun doute qu’Ahed Tamimi en est venue à représenter la résistance palestinienne. De plus, cette courageuse adolescente a réussi à revigorer les Américains, comme peu d’autres Palestiniens avant elle.
Elle mérite absolument l’admiration et l’attention qu’elle reçoit, tandis qu’elle languit derrière les barreaux d’une prison israélienne, « coupable » d’avoir défendu le caractère sacré de sa maison. Après près de trois mois de détention et plusieurs reports de comparution, le procès d’Ahed a commencé le 9 mars, à huis clos.
La raison pour laquelle Ahed est devenue représentative de la résistance palestinienne est qu’en plus ses qualités uniques, elle pourrait être n'importe quel Palestinien et le peuple dans son ensemble
L’important, c’est que le monde entier regarde de toute façon ce qui est en train de se passer, car cette jeune femme est devenue le symbole d’un peuple tout entier. Ahed nous rappelle en effet qu’elle ne livre pas là un combat personnel.
Son frère d’armes, son cousin Mohammed, qui a reçu une balle dans la tête, a été battu jusqu’à ce qu’il avoue s’être blessé en tombant de vélo. Ses deux parents, en fait, tout son village (Nabi Saleh) et les millions de Palestiniens de la Palestine historique, ainsi que la diaspora mondiale, souffrent des violations des droits de l’homme et du droit international palestinien commises par Israël.
Maintenant, il est temps de regarder au-delà de l'icône, au-delà du symbolisme, pour comprendre la vraie nature de la lutte du peuple palestinien. C’est cela que représente Ahed Tamimi, et c’est ainsi que nous pouvons l’honorer, elle qui est confrontée à la colère d’un pays dont les hommes politiques déclarent : « Ce n’est pas une petite fille, c’est une terroriste.
N’oublions pas que Nelson Mandela était aussi pris pour un terroriste : poursuivons notre activisme contre ce pays qui considère tous les Palestiniens – des petits garçons et petites filles aux hommes et femmes adultes – comme autant de menaces.
À une époque où ceux qui ont soif de justice dans le monde entier regardent vers la Palestine, outragés à juste titre par l’iniquité d’un tribunal militaire qui inculpe une jeune fille parce qu’elle défend ses droits, gardons bien à l’esprit la vision d’ensemble. En effet, Ahed Tamimi sera libre et vivra dignement seulement lorsque tous les Palestiniens vivront dans la dignité, conformément aux droits de l’homme et à l’autodétermination.
Un impact démoralisant
En début d’année, Israël a classé le village de Nabi Saleh « zone militaire fermée ». Que ce soit pour empêcher des gens d’autres villes et villages de se joindre aux manifestations hebdomadaires, ou comme mesure punitive contre les Tamimi, voire peut-être pour ces deux raisons à la fois – et bien que le procès d’Ahed Tamimi se déroule à huis clos –, des portraits plus grands que nature d’Ahed sont en ce moment diffusés partout dans le monde.
Dans un article odieux dénonçant l’impact « démoralisant » pour les Israéliens de la gifle infligée par Ahed Tamimi à l’un de leurs soldats, le journaliste israélien Ben Caspit a fait l’éloge de la « retenue » des soldats d’occupation qui envahissent la région, tout en suggérant : « Dans le cas des filles, nous devrions exiger un prix, à une autre occasion, dans l’obscurité, sans témoins ni caméras ».
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On imagine facilement quel serait le prix qu’elles auraient à payer. Aujourd’hui, le gouvernement israélien tente d’appliquer son système inique « sans témoins et loin des caméras ». Il est de notre responsabilité de briser le blackout imposé par Israël, les tribunaux militaires et leur simulacre de justice, qui craignent le regard du public, et de n’avoir de cesse de rappeler au monde que la cause d’Ahed, comme celle de Mandela, n’est pas l’affaire d’une seule personne.
La raison pour laquelle Ahed est devenue représentative de la résistance palestinienne est qu’en plus ses qualités uniques, elle pourrait être n'importe quel Palestinien et le peuple dans son ensemble. Et j’espère que sa génération sera la dernière à devoir affronter, à mains nues, la puissance écrasante d’un géant militaire.
- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ “Demographic Threat” ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : La Palestinienne Ahed Tamimi, 16 ans, comparaît devant le tribunal militaire à la prison militaire d’Ofer, à Betunia (village en Cisjordanie), le 1er janvier 2018 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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