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Occupation israélienne en 2019 : la même chose, en pire

En 2019, le statu quo est susceptible de prévaloir, ce qui se traduira par l’intensification de l’occupation et des escalades périodiques mais limitées afin de ne pas perturber « l’équilibre » imposé par Israël

Le 13 décembre, peu après l’attaque mortelle qui a visé deux soldats israéliens devant une colonie israélienne illégale en Cisjordanie occupée, Yaakov Katz, rédacteur en chef du Jerusalem Post, a tweeté : « Ils célèbrent la mort et nous célébrons la vie. C’est là le cœur de ce conflit ».

Le tweet de Katz résumait à lui seul la déshumanisation dont font l’objet les Palestiniens et le déni absolu de la réalité de l’occupation et du colonialisme qui touche de nombreux Israéliens de confession juive.

L’occupé et l’occupation

« Incitation à la haine », « lavage de cerveau », « ferveur religieuse », « extrémisme », « réseaux sociaux », « problèmes familiaux » – autant de variations sur des refrains familiers qui nous sont resservies ad nauseam. Tout est fait pour éviter de faire face à une équation commune à toutes les puissances coloniales à travers l’histoire : l’occupé refuse toujours l’occupation.

Il est peu probable que Katz, ou n’importe quel autre apologiste de l’apartheid israélien, ait jamais imaginé ce que c’est que d’être un Palestinien en Cisjordanie, ce que c’est que d’avoir une si grande partie de sa vie dépendante du caprice d’un soldat ou de la décision d’un général. Votre maison ? Démolie. Votre enfant ? Abattu. Votre collègue ? Emprisonné.

Il n’est pas nécessaire d’apprendre aux enfants palestiniens à haïr lorsque les colons les attaquent sur le chemin de l’école, lorsque les soldats israéliens tirent sur leurs camarades de classe ou lorsque les juges de l’armée emprisonnent leurs parents

Les hommes politiques et responsables de la « sécurité » israéliens nous disent que les jeunes Palestiniens sont nourris de haine – dans les écoles, dans les mosquées, sur internet. Mais il n’est pas nécessaire d’apprendre aux enfants palestiniens à haïr lorsque les colons les attaquent sur le chemin de l’école, lorsque les soldats israéliens tirent sur leurs camarades de classe ou lorsque les juges de l’armée emprisonnent leurs parents. Vivre sous occupation est une école en soi – et elle dure toute la vie.

On ne peut sous-estimer à quel point l’occupation coloniale d’Israël avilit et brutalise les Palestiniens. Leurs maisons et propriétés peuvent être saisies. Leurs corps peuvent être torturés. Leurs vies peuvent être anéanties. Et tout cela, en toute impunité.

Dans leurs activités quotidiennes, les « Forces de défense israéliennes » sont avant tout une armée coloniale.

Ne pas perturber « l’équilibre »

Selon d’anciens officiers israéliens, « le nombre de soldats que l’armée doit maintenir en Cisjordanie s’élève à plus de la moitié et parfois aux deux tiers de ses forces régulières engagées dans des tâches opérationnelles ». Et 80 % de ces forces « participent à la protection directe des colonies ».

La seule préoccupation des autorités israéliennes est de ne pas perturber « l’équilibre » : assez de répression pour réprimer la résistance, mais pas assez pour provoquer un soulèvement plus large

Parmi les quatorze Israéliens tués par des Palestiniens cette année, sept étaient des soldats en uniforme et sept des colons – et tous ont été tués dans les territoires palestiniens occupés. Selon les propres chiffres des autorités israéliennes, sur 330 « attaques terroristes » en octobre (catégorie comprenant le lancement de cocktails Molotov contre les forces d’occupation), aucune n’a été « exécutée à l’intérieur de la ligne verte », c’est-à-dire en Israël.

Néanmoins, plutôt que de tirer les conclusions qui s’imposent – à savoir qu’un régime militaire voué à la protection d’une population de colons et d’un système d’apartheid engendrera nécessairement une dynamique de révolte et de répression –, Israël sait seulement intensifier son occupation.

Colonies israéliennes en Cisjordanie (AFP)
Au cours de la deuxième semaine de décembre, par exemple, de nombreux Israéliens se sont plaints que l’armée perdait sa « force de dissuasion », des politiciens et colons exigeant de nouvelles mesures de punition collective à l’encontre des Palestiniens.

Celles-ci incluent des restrictions supplémentaires à la liberté de circulation des Palestiniens, des démolitions de maisons, des sanctions contre l’Autorité palestinienne et, qui plus est, un renforcement de la colonisation des terres palestiniennes via le développement des colonies de peuplement et la légalisation des « avant-postes ».

La seule préoccupation des autorités israéliennes lorsqu’elles considèrent de telles options – en particulier l’armée et les agences de renseignement comme le Shin Bet – est de ne pas perturber « l’équilibre » auquel tant de ressources sont consacrées : assez de répression pour réprimer la résistance, mais pas assez pour provoquer un soulèvement plus large.

Une révolte plus large ?

Bien que les analystes israéliens s’inquiètent de la « flambée » de violence en Cisjordanie, les probabilités d’une intifada sont faibles.

Pendant ce temps, le gouvernement israélien nous jurera qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix, que les Palestiniens enseignent la haine à leurs enfants et qu’oser ne serait-ce que murmurer le mot « apartheid » n’est qu’un mensonge antisémite

Ainsi que l’a écrit Mouin Rabbani en 2015, « les observations selon lesquelles la situation des Palestiniens n’a jamais été aussi mauvaise depuis 1948 devraient faire référence non seulement aux divers indicateurs qui pourraient amener quelqu’un à penser qu’un autre soulèvement est imminent, mais également à ceux qui, pris conjointement, se liguent contre une nouvelle rébellion ».

Des ambulanciers palestiniens transportent un manifestant sur une civière lors d’une manifestation près de la frontière entre Israël et Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza (AFP)

Selon Rabbani, l’absence « d’infrastructure organisationnelle capable de canaliser à nouveau la fureur populaire et de mobiliser, organiser et soutenir une nouvelle intifada palestinienne » subsiste.

L’année 2019 nous promet donc la même chose, en pire. Les Israéliens se rendront aux urnes en avril et le Premier ministre Benyamin Netanyahou ne voudra pas se laisser dépasser sur la droite par le Foyer juif. Par conséquent, le souhait des colons de voir davantage de mesures répressives à l’encontre des Palestiniens pourrait bien être exaucé.

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D’un autre côté, soucieux d’éviter une saison électorale marquée par une vague de victimes israéliennes en Cisjordanie, Netanyahou sera également enclin à écouter les avertissements de l’armée et des services de renseignement l’invitant à ne pas jeter de l’huile sur le feu et risquer une révolte plus large.

Le statu quo est donc susceptible de prévaloir – à moins, bien sûr, d’un développement inattendu –, ce qui se traduira par l’intensification de l’occupation et des escalades périodiques mais limitées. Et pendant ce temps, le gouvernement israélien nous jurera qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix, que les Palestiniens enseignent la haine à leurs enfants et qu’oser ne serait-ce que murmurer le mot « apartheid » n’est qu’un mensonge antisémite.

- Ben White est l’auteur de Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Il écrit pour Middle East Monitor et ses articles ont été également publiés par Al Jazeera, Al Araby, le Huffington Post, Electronic Intifada et la rubrique « Comment for free » du Guardian, entre autres.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des policiers israéliens arrêtent une fillette palestinienne à Khan al-Ahmar, en Cisjordanie, le 4 juillet 2018 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original).

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