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Pourquoi Israël cible-t-il délibérément les étudiants palestiniens ?

De récentes arrestations s’ajoutent à une série d’autres incidents au sein du monde universitaire israélien ayant pour but de réduire au silence et d’intimider les étudiants palestiniens, une pratique qui s’est intensifiée depuis le début de la guerre à Gaza
Des étudiants juifs israéliens sont armés de fusils d’assaut à la reprise des cours à l’Université Ben-Gourion, le 31 décembre 2023, après le report du début de l’année académique en raison de la guerre à Gaza (réseaux sociaux)

Le 31 décembre, environ 66 000 étudiants palestiniens ont regagné les universités israéliennes ou y ont entamé leur premier semestre, après que la rentrée académique a été reportée à trois reprises en raison de la guerre qui se poursuit à Gaza.

Ce qui constituait déjà pour les étudiants palestiniens une expérience difficile d’acclimatation à leur milieu universitaire est devenu une tâche dangereuse dans un climat de provocation constante à l’encontre de tous les citoyens arabes et palestiniens d’Israël. Depuis le 7 octobre, le gouvernement a fait savoir que « chaque citoyen palestinien a sa place dans le bus pour Gaza ».

Selon le dernier sondage réalisé par l’organisation Joint Coalition of Student Blocs (« coalition conjointe des blocs d’étudiants »), 76 % des étudiants arabes ne font pas confiance à l’administration de l’université ou de la faculté, et plus de 87 % d’entre eux ont le sentiment que leur sécurité a été mise à mal, avec un accord presque unanime sur le fait que l’atmosphère est hostile aux étudiants arabes.

Ce sondage intervient alors que des dizaines d’étudiants palestiniens des universités israéliennes ont été suspendus de leurs études depuis le début de la guerre et ont été envoyés devant des comités disciplinaires. Dans de nombreux cas, ils ont fait l’objet d’enquêtes policières et des actes d’accusation ont été déposés à leur encontre.

Sans doute l’arrestation la plus marquante est-elle celle du 19 novembre, lorsque la police israélienne a arrêté quatre étudiantes de l’établissement d’enseignement supérieur Nof HaGalil Technology College pour avoir publié sur les réseaux sociaux des images et du contenu en lien avec la guerre.

Les quatre étudiantes, originaires de Nazareth, ont été arrêtées à l’aube et leurs maisons ont été perquisitionnées par la police israélienne, qui a déclaré dans un communiqué : « Outre la préparation accrue sur le terrain, les forces de police ont été actives la nuit dernière, de manière décisive et sans relâche, pour dévoiler l’incitation et le soutien au terrorisme. »

Surveillance des étudiants

Ce ciblage s’ajoute à une série d’autres incidents visant à intimider les étudiants palestiniens et à les réduire au silence dans les universités israéliennes, une pratique qui s’est intensifiée depuis le début de la guerre à Gaza.

À la suite de l’arrestation des quatre étudiantes, la Joint Coalition of Student Blocs a déclaré : « Les étudiantes ont été arrêtées de manière barbare dans le but de les offenser et de poursuivre les tactiques d’intimidation d’Israël à l’encontre de sa communauté arabe. Il convient de signaler que toutes ces arrestations ont été effectuées sur la base de simples interactions avec des publications sur les réseaux sociaux, et non pas en raison de publications écrites par les étudiantes elles-mêmes, ce qui constitue un dangereux précédent à l’échelle mondiale ».

Les récentes déclarations du procureur israélien prouvent que l’Université de Haïfa a elle-même déposé vingt plaintes contre ses étudiants auprès de la police

L’organisation a indiqué qu’« [elle] prenait très au sérieux le fait que des institutions académiques coopèrent avec la police pour arrêter leurs étudiants, puisque la police a indiqué que certaines des informations qu’elle avait obtenues provenaient de l’une des plus hautes institutions académiques d’Israël, ce qu’[elle] considère comme une violation [des droits des étudiants] ».

« Il s’agit d’une attitude dangereuse et sans précédent de la part d’institutions académiques qui se vantent de leur professionnalisme et de leur production académique aux yeux du monde. Elles n’ont pas honte de jouer le rôle de policier et d’informateur à l’égard de leurs étudiants, de soutenir la politique de musellement et de persécution de nos étudiants. »

Selon le dernier rapport sur la détention publié par Adalah, une ONG juridique qui promeut les droits des Palestiniens en Israël, le centre suit 251 cas d’arrestations, d’enquêtes et d’interrogatoires d’étudiants, dont 121 cas liés à des publications sur les réseaux sociaux et 60 cas liés à la participation à des manifestations.

Selon le rapport, de plus en plus d’étudiants d’établissements universitaires, notamment de l’Université de Haïfa et de l’Institut de technologie Technion, sont pris pour cible. À titre d’exemple, les déclarations du procureur israélien lors d’une audience organisée pour les étudiants universitaires prouvent que l’Université de Haïfa a elle-même déposé vingt plaintes contre ses étudiants auprès de la police.

Mais pourquoi Israël persiste-t-il, même en temps de guerre, à cibler les étudiants palestiniens au sein des universités israéliennes ?

« Révolution silencieuse »

La persécution politique des citoyens palestiniens d’Israël, en général, et pas seulement des étudiants universitaires, n’a rien de nouveau. En revanche, la réussite des Palestiniens dans les institutions universitaires israéliennes ne peut être décrite que comme un miracle ou une révolution silencieuse.

Au cours de ses premières années d’existence, Israël a décidé de veiller systématiquement à ce que les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne ne puissent pas accéder à ses universités, ou à ce que ceux qui y parviennent ne soient autorisés qu’à suivre une certaine filière d’enseignement.

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Le gouvernement israélien a veillé à ce que ceux qui ont survécu à la Nakba de 1948 et sont devenus citoyens de son État ne puissent pas former une élite éduquée qui revendiquerait, à Dieu ne plaise, des droits nationaux sur leur terre.

La priorité était donc de ne pas leur permettre de choisir des filières dans les facultés de sciences sociales et humaines, mais plutôt dans des professions et des industries pour lesquelles un emploi correspondant serait garanti.

Si les étudiants palestiniens sont encouragés à poursuivre des études de médecine ou d’infirmière, contribuant ainsi à la population active israélienne, la poursuite d’études dans le domaine des médias, de la sociologie ou des théories postcoloniales leur causerait par contre des problèmes.

L’historien israélien Adam Raz a documenté cette politique présentée en 1958 sous le titre « Advice for Dealing with the Arab Minority » (« conseils pour gérer la minorité arabe ») dans le journal Haaretz. Selon cette politique, la formation d’une élite universitaire encouragerait les Arabes à briguer des « postes de dirigeants radicaux ».

Aujourd’hui, les Palestiniens d’Israël représentent près de 20 % de la population. Et malgré les nombreux obstacles, tels que la barrière linguistique, les différences culturelles et les dilemmes identitaires dans la sphère publique, le pourcentage d’étudiants palestiniens dans les institutions universitaires israéliennes se chiffre à environ 19 % du nombre total d’étudiants en Israël.

Ce sont ces étudiants palestiniens qui dirigeront leur société et défendront En 2021, pour la première fois, le nombre d’étudiants palestiniens a dépassé les 60 000, soit une augmentation d’environ 133 % du nombre d’étudiants depuis le début de la décennie précédente. Ces chiffres et ces pourcentages relèvent véritablement du miracle pour une société où plus de la moitié des enfants sont issus de foyers pauvres, selon les standards israéliens.

Au fil des décennies, une révolution silencieuse s’est produite et la lutte pour le droit à l’éducation s’est soldée par une victoire. C’était tout le contraire de ce qu’Israël voulait et prévoyait pour la communauté palestinienne à l’intérieur de ses frontières

En effet, au fil des décennies, une révolution silencieuse s’est produite et la lutte pour le droit à l’éducation s’est soldée par une victoire. C’était tout le contraire de ce qu’Israël voulait et prévoyait pour la communauté palestinienne à l’intérieur de ses frontières.

Ce sont ces étudiants palestiniens qui dirigeront leur société et défendront leur identité. Quels que soient les efforts déployés par Israël pour créer une nouvelle identité « arabe », ces efforts et ces politiques sont voués à l’échec.

Face à cet échec, Israël a désespérément déployé des tactiques d’intimidation et de répression. Ces politiques échoueront également, car les individus ne peuvent être dissociés d’eux-mêmes et de leurs réalités.

Par ailleurs, si Israël, loin de tout régime policier, veut encore se revendiquer comme un État démocratique garantissant la liberté d’expression, il doit se regarder dans le miroir et se rendre compte de l’image déformée qu’il donne au monde, une image qui mettra des années à se rétablir, pour autant que cela soit possible.

Zahra Saeed est une journaliste et chercheuse palestinienne basée en Galilée.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Zahra Saeed is a Palestinian journalist and researcher based in the Galilee
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