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Pourquoi les radicaux ont peur de Hachémi Rafsandjani

Rafsandjani est le religieux le plus haut-placé dans le panorama politique iranien – même supérieur au président Rohani – qui préconise un rapprochement avec les États-Unis

Il y a onze ans, lorsque les Iraniens se préparaient à se rendre aux urnes pour élire le remplaçant du président réformateur Mohammad Khatami, qui avait gouverné l’Iran pendant huit ans et avait amené le pays à acquérir une certaine réputation internationale en tant que nation éprise de paix et fer de lance du mouvement mondial de « dialogue des civilisations », les radicaux qui avaient piteusement perdu leur emprise sur la branche exécutive du gouvernement se sont mis à réfléchir à des façons de s’emparer à nouveau du pouvoir.

En dépit de nombreuses divisions et de l’absence d’unanimité, les ultra-conservateurs sont parvenus à un consensus pour appuyer Mahmoud Ahmadinejad lors de l’élection présidentielle de 2005. Ahmadinejad n’était pas un homme politique reconnu et remarquable. Les gens le connaissaient en tant que maire de Téhéran et ancien gouverneur de la province d’Ardabil. En dehors de cela, il n’avait pas occupé de poste majeur au gouvernement et les sondages ne le montraient pas solidement en tête.

Les premiers sondages pré-électoraux ont placé en tête son principal adversaire, l’ancien président Akbar Hachémi Rafsandjani, suivi par le réformateur Mostafa Mo’in et l’ex-chef de la police Mohammad Bagher Ghalibaf. Cependant, Ahmadinejad a remporté de façon spectaculaire l’élection dans un tour décisif contre son véhément critique, Rafsandjani.

Contrairement à Ahmadinejad, qui a accédé à la présidence grâce à la campagne intensive des conservateurs et radicaux, son principal rival Rafsandjani était un politicien accompli et peut-être l’un des personnages les plus réputés de la République islamique. Ses références révolutionnaires équivalaient presque celles du leader suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.

Il était l’un des plus proches compagnons du fondateur de la Révolution islamique, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, et son activisme pour renverser le chah et amener les islamistes au pouvoir en Iran a été grandement documenté. Entre 1963 et 1978, il a été emprisonné cinq fois par l’appareil de sécurité et de renseignement du régime du chah, la SAVAK.

Lorsque les radicaux ont mis tous leurs œufs dans le panier Ahmadinejad et lié à lui leur destin et leur réputation entière, il leur a beaucoup coûté que Rafsandjani soit fort et rebelle, défiant Ahmadinejad dès ses premiers jours au pouvoir, tandis qu’une atmosphère d’intimidation et de coercition avait saisi le pays et que quiconque osait critiquer Ahmadinejad ou s’interroger publiquement sur les membres de son cercle intérieur était durement réduit au silence ou soumis à des représailles.

Les conservateurs ont alors lancé une campagne de dénigrement au vitriol contre Rafsandjani dans un effort concerté pour se venger de sa contestation d’Ahmadinejad. Cette campagne a cours depuis les élections de 2005 et s’est intensifiée ces dernières années, en particulier après que le proche associé de Hachémi Rafsandjani, Hassan Rohani, a été élu président en 2013. Même si l’élection de Rohani a inauguré une nouvelle période de modération et d’ouverture politique et sociale dans le pays, les radicaux n’ont pas adouci leurs attaques contre leur ennemi juré.

Les extrémistes ont continué à attaquer violemment Rafsandjani en public, son crime apparent étant de ne pas s’entendre avec leur idole Ahmadinejad. Les porte-voix des conservateurs, notamment la télévision officielle, ont ouvertement accusé Rafsandjani et sa famille de corruption, de cultiver l’aristocratie et d’accumuler des richesses illégitimes. De cette façon, ils aspiraient à le dénigrer aux yeux des groupes moins aisés et économiquement vulnérables de la société que les responsables gouvernementaux associés à l’aristocratie terrienne et accusés d’avoir un mode de vie chic et opulent rendent potentiellement nerveux.

Les conservateurs sont bien conscients qu’il leur est impossible de miner le crédit révolutionnaire de Rafsandjani ou de l’accuser de trahison ou de déloyauté vis-à-vis de l’establishment, de la même manière qu’ils ont marginalisé et réduit au silence la plupart des personnalités de la République islamique ces dernières années, y compris l’ancien président Khatami, dont le nom et les photos sont aujourd’hui officiellement interdits dans les médias publics et officiels.

Khatami fut le président qui a cimenté la réputation internationale de l’Iran et a favorisé l’image globale du pays au lendemain de la guerre meurtrière avec l’Irak qui a duré huit ans. Il a adroitement démontré au monde qu’on peut compter sur l’Iran en tant qu’acteur normal et productif dans la communauté des nations. En outre, les investissements étrangers dans le secteur de l’énergie iranien ont atteint leur apogée sous sa présidence.

Les médias ultra-conservateurs en Iran se réfèrent à Rafsandjani sans utiliser son titre clérical « ayatollah » afin de le dénigrer. Dans le discours médiatique officiel de l’Iran, il est considéré comme offensant de nommer un ayatollah ou grand ayatollah sans mentionner son titre.

Ces radicaux qui prétendent de manière absurde obéir inconditionnellement au guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei l’ignorent en réalité et lui manquent de respect en bafouant son soutien récurrent à Hachémi Rafsandjani depuis 1979.

Le 19 juin 2009, alors que l’Iran était en ébullition à la suite de la réélection contestée d’Ahmadinejad à l’élection présidentielle, l’ayatollah Khamenei a utilisé le sermon du vendredi pour légitimer publiquement et soutenir Rafsandjani suite aux attaques cinglantes et moqueuses qu’Ahmadinejad avait lancées contre lui au cours de la campagne. Ses commentaires étaient lucides, précis et sans ambiguïté :

Tout le monde connaît M. Hachémi. Ma relation avec lui ne se limite pas à l’ère post-révolution et ses nominations après la révolution. Je le connais très bien depuis 1957 – c’est-à-dire, 52 ans. M. Hachémi a été l’un des individus les plus importants du mouvement au moment de la lutte ; il était l’un des combattants sérieux et tenaces de la période prérévolutionnaire. Après la victoire de la révolution, il a été l’une des personnalités les plus efficaces de la République islamique aux côtés de l’Imam [Khomeini] ; suite à la disparition de l’Imam, il a travaillé avec le Guide jusqu’à présent. Il a connu des expériences proches du martyre à plusieurs reprises. Avant la révolution, il dépensait ses richesses pour la cause révolutionnaire et donnait aux combattants. Il faut que les jeunes sachent ces choses. Après la révolution, il a occupé plusieurs fonctions. Il a été président pendant huit ans ; avant cela, il était président du Parlement ; il a occupé d’autres fonctions. Tout au long de cette période, nous ne connaissons aucune occasion où il aurait profité de la révolution pour accumuler de quelconques richesses pour lui-même. Ce sont des faits. Ceux-ci doivent être connus. Pendant les moments les plus critiques, il a été au service de la révolution et de l’establishment.

Toutefois, l’approbation publique de Hachémi Rafsandjani par le Guide suprême est tombée dans les oreilles sourdes des ultra-conservateurs qui ont gaspillé les capitaux de la nation pour qu’Ahmadinejad reste puissant.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les radicaux ont manifestement peur de Rafsandjani et ne restreignent pas leurs attaques diffamatoires à son égard.

Tout d’abord, Rafsandjani est évidemment le religieux le plus haut placé dans le panorama politique iranien – même supérieur au président Rohani – qui préconise un rapprochement avec les États-Unis et l’Occident et appelle à une plus grande liberté sociopolitique sur le plan national.

Même si certaines personnes détestent le train de vie luxueux de sa famille, il est immensément populaire dans tout le pays. Le fait que la richesse de sa famille ait fait l’objet de nombreuses critiques est purement politique ; les radicaux et leur appareil médiatique ignorent régulièrement la nature corrompue et les richesses excessives de ceux qu’ils souhaitent soutenir et idolâtrer, tout en exagérant ces mêmes accusations contre leur ennemi juré et ceux qui ne rentrent pas dans leurs plans de pouvoir à long terme.

Nonobstant, Hachémi Rafsandjani est admiré et aimé à l’échelle nationale. Dans la récente élection de l’Assemblée des experts, un corps clérical qui choisira le prochain chef suprême de l’Iran, Rafsandjani est arrivé premier dans la circonscription de Téhéran avec un vote populaire sans précédent de 2,3 millions de voix. Sa coalition d’autres religieux modérés a submergé la circonscription de Téhéran et quinze membres de sa liste ont été élus à l’Assemblée des experts dans une circonscription de seize sièges. Cela signifie que seul un de ses collaborateurs n’a pas réussi à se faire élire à l’Assemblée.

Rafsandjani a gagné du crédit parmi des millions d’Iraniens pendant les années tumultueuses des deux mandats d’Ahmadinejad en critiquant ses politiques aventureuses et populistes.

Aujourd’hui, les radicaux craignent que Hachémi Rafsandjani encourage un changement de politique étrangère drastique en mobilisant ses partisans autour de l’idée d’une réconciliation à part entière avec les États-Unis. L’animosité envers les États-Unis est essentielle à la survie politique, économique et idéologique de ces radicaux. En l’absence de liens commerciaux solides avec l’Occident, ils peuvent maintenir leur monopole économique sur le pays sans être sérieusement remis en question par la libre circulation des capitaux et des investissements dans le pays. En outre, toute sorte d’ouverture envers les États-Unis serait catastrophique pour leurs revendications d’intégrité et de fiabilité.

Pendant environ 40 ans, ils ont vanté l’importance de l’inimitié avec les États-Unis pour de vagues motifs, ce qui signifie qu’ils seront sérieusement déconfits si le public privilégie les avantages d’une relation normalisée avec les États-Unis – une relation bilatérale fondée sur le respect et les avantages mutuels, et pas nécessairement fondée sur le fait d’être colonisé ou dominé par Washington, comme certains pourraient le craindre.

Ensuite, l’agacement des radicaux vis-à-vis de Rafsandjani a également à voir avec sa rébellion courageuse contre Ahmadinejad au cours des années où ce dernier a littéralement proscrit toute critique de son mode opératoire, compliquant le dossier du nucléaire sans être sérieusement remis en cause par des médias déjà affaiblis et un Parlement qui lui était complètement soumis – hormis quelques députés qui se sont fait entendre, notamment Ali Motahari qui a osé blâmer la façon dont il dirigeait le pays.

Rafsandjani a prononcé des discours révélateurs durant ces années, révélant la corruption généralisée dans l’administration d’Ahmadinejad, son népotisme généralisé et les prérogatives qu’il a étendues à ses amis et son entourage. Il a également remis en question la prolongation sans fondement par Ahmadinejad des hostilités avec les États-Unis et l’Union européenne, ainsi que sa politique étrangère provocatrice.

Les radicaux, qui ont littéralement vénéré Ahmadinejad comme une divinité qui a créé des opportunités économiques exceptionnelles leur permettant d’accumuler de grandes quantités de richesse et de pouvoir sous sa présidence, ont été rendus furieux par les révélations de l’ayatollah Hachémi Rafsandjani à l’encontre de leur héros et ne peuvent toujours pas dissimuler leur colère à son égard.

Rafsandjani est un pilier de la République islamique et il n’existe quasiment aucun moyen de lui couper les ailes ou de se débarrasser de lui – du moins aussi longtemps qu’il vit. Voilà pourquoi les radicaux se bornent à concevoir chaque jour des moyens pour le déshonorer, comme beaucoup de proches alliés de la révolution qu’ils ont assujettis et éliminés : l’accusant un jour de corruption et, le lendemain, associant les membres de sa famille à des groupes exilés complotant pour renverser la République islamique.

- Kourosh Ziabari est un journaliste primé travaillant pour différents journaux. Il écrit pour Iran Review et est le correspondent de Fair Observer, un média basé en Californie. Il a également écrit pour le Huffington Post, Your Middle East, International Policy Digest, Gateway House et Tehran Times.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Akbar Hachémi Rafsandjani, à Téhéran, le 21 décembre 2015 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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