Pourquoi une force de stabilisation arabe en Syrie ne fonctionnera pas
Une politique américaine claire et définissable vis-à-vis de la Syrie a enfin émergé du brouillard de tweets et de déclarations publiques contradictoires du président américain.
Dans le sillage de l’attaque limitée, ciblée et apparemment sans effets contre les installations d’armes chimiques syriennes, l’administration Trump cherche à organiser une force de stabilisation arabe dans le nord-est du pays, plus précisément dans des zones précédemment occupées par l’État islamique (EI), afin de remplacer la présence militaire américaine.
À la grande déception de nombreux partisans d’une intervention américaine plus poussée en Syrie, y compris le nouveau conseiller à la sécurité nationale John Bolton, les attaques ont mis en exergue les limites auto-imposées de la politique américaine en Syrie. La proposition d’une force de stabilisation confirme plus la stratégie de désengagement à long terme de Washington qu’un approfondissement de son implication dans le conflit.
Bataille d’influence
Les tentatives de l’administration Trump visant à créer une force de stabilisation et de rétablissement de la paix dirigée par des pays arabes et composée de l’Égypte, du Qatar, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis participent de cette stratégie plus large. Le plan a pour postulat un retrait militaire américain et vise à combler le vide ainsi créé avec des forces arabes alliées œuvrant de concert avec les autorités et les combattants locaux pour empêcher la résurgence de l’EI.
Le tzar du mercenariat mondial, Erik Prince, a cherché à faire adopter une version de ce plan impliquant des entrepreneurs militaires privés. Le problème principal que les responsables américains semblent essayer de résoudre aujourd’hui est de savoir comment maintenir leur influence dans le nord-est de la Syrie sans une présence militaire réelle.
La prolongation de l’engagement militaire des États-Unis serait nécessaire pour protéger la force de stabilisation des groupes alignés avec les puissances intervenantes, lesquelles s’opposent toutes aux projets de force de stabilisation
L’Égypte a d’ores et déjà rejeté l’inclusion de son armée dans une telle force de stabilisation. Les forces saoudiennes sont impliquées pour leur part dans une guerre destructrice au Yémen contre une population sans défense. Quant au Qatar et aux EAU, ils apparaissent comme les alliés militaires les plus improbables en raison de leur discorde actuelle.
Les armées de chacun de ces pays n’ont par ailleurs aucune expérience en matière de stabilisation et de contre-insurrection et, en l’absence d’un mandat émanant d’un organisme ayant autorité tel que les Nations unies, elles seraient certainement traitées comme des occupants.
La plupart des États de la région ont commencé à réduire leur implication en Syrie, et tout déploiement de troupes dans le pays constituerait un retournement vis-à-vis de la politique actuelle. Le régime syrien est également peu susceptible de tolérer la présence de troupes arabes à l’intérieur de la Syrie comme il l’a fait avec l’armée américaine, et une confrontation entre la force de stabilisation et les combattants alliés au gouvernement syrien serait extrêmement probable.
Déploiement potentiel de troupes saoudiennes
En dépit de ces nombreux problèmes, la proposition est actuellement prise au sérieux dans la région. L’Arabie saoudite a déclaré qu’elle était en discussions avec les États-Unis pour envoyer des troupes en Syrie. L’offre saoudienne est ancienne, mais si elle venait à se concrétiser maintenant, elle serait probablement isolée par rapport au consensus régional.
Si l’Arabie saoudite est le seul, voire le principal, pays à envoyer des troupes en Syrie, elle placerait ses militaires en confrontation directe avec les troupes locales menées par les Kurdes au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS) et d’autres milices alignées, aguerries par plusieurs années de combats et probablement hostiles à la présence de troupes étrangères.
Voilà peut-être le problème central du plan de stabilisation. Des affrontements directs entre les FDS et les forces alliées au régime se produiraient certainement si des troupes étrangères, en particulier des États arabes qui ont si activement nourri la violence en Syrie, étaient présentes dans le pays.
Les FDS ont dépendu du soutien aérien et terrestre des États-Unis dans leur campagne militaire contre l’EI et cette alliance, même temporaire, a servi de justification à la présence américaine dans ces zones. Les États-Unis ont pu imposer leur volonté militaire dans le nord-est et ont donc été tolérés par l’ensemble des puissances intervenant en Syrie.
L’Arabie saoudite va-t-elle simplement combler le vide américain et continuer à fournir le même soutien militaire aux combattants locaux ?
La réponse honnête est que toute force non américaine dirigée par des pays arabes sera considérée comme une puissance occupante et traitée comme telle. La force de stabilisation interviendrait également en dehors du consensus tripartite sur la Syrie établi par les processus de paix d’Astana et de Sotchi parrainés par la Russie, l’Iran et la Turquie, et serait créée en dehors de ce consensus régional.
La prolongation de l’engagement militaire des États-Unis serait nécessaire pour protéger la force de stabilisation des groupes alignés avec les puissances intervenantes, lesquelles s’opposent toutes aux projets de force de stabilisation.
Le désir américain de désengagement
En d’autres termes, si la force de stabilisation pourrait apaiser le désir américain de désengagement, elle représenterait néanmoins une escalade dans le conflit dans la mesure où elle introduirait une présence militaire saoudienne en dehors du consensus tripartite qui façonne actuellement l’avenir de la Syrie.
La présence indéterminée des forces saoudiennes en dehors de tout mandat régional ou international n’agirait pas en faveur d’une désescalade militaire, bien au contraire.
Malgré son impraticabilité politique et militaire, les États-Unis continueront de faire pression pour la mise en place d’une telle force de stabilisation parce que leur unique but en Syrie aujourd’hui semble être une sorte de désengagement contenu. L’administration Trump est tombée dans son propre piège, tout comme les administrations précédentes sont tombées dans les pièges irakien et afghan.
Tout retrait militaire ouvrirait la voie à la réémergence de groupes armés, nouveaux ou anciens, à l’image de l’État islamique.
Ces craintes impériales de garder un pied en Syrie sont prises au sérieux dans le milieu sécuritaire américain. C’est la raison pour laquelle nous pouvons nous attendre à ce que la politique américaine continue d’être motivée par le désir de se désengager, et le fasse en créant et en soutenant une sorte de force de stabilisation dirigée soit par l’Arabie saoudite, soit par les mercenaires d’Erik Prince.
- Samer Abboud est professeur associé d’études internationales à l’Université Arcadia, aux États-Unis, et l’auteur de Syria (Polity). Il est actuellement professeur invité au Centre d’études arabes et islamiques de l’Université Villanova, en Pennsylvanie.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des combattants rebelles syriens passent devant des pneus en feu dans la ville syrienne de Saraqib, au sud-ouest d’Alep, le 1er février 2018 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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