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Présidentielle en Algérie : l’humiliation d’une campagne fictive

Tandis que le pouvoir algérien entend lancer sa campagne électorale ce dimanche 17 novembre, la pression populaire ne faiblit pas. Cette campagne est vouée à être fictive et virtuelle
Les cinq candidats à l’élection présidentielle du 12 décembre – de gauche à droite : Azzedine Mihoubi, Abdelmadjid Tebboune, Abdelkader Bengrina, Ali Benflis, Abdelaziz Belaid – et Mohamed Charfi, président de l’Autorité indépendante des élections (AFP)

Le peuple algérien manifeste depuis neuf mois son rejet d’un régime qui l’a humilié dans des proportions inédites : qui est allé jusqu’à revendiquer son caractère clandestin, opaque, en maintenant un homme sans vie à la tête de l’État.

Neuf mois plus tard, la révolution algérienne n’a pas accouché d’un nouveau régime, d’une assemblée constituante susceptible de réécrire les règles du jeu comme on pouvait le rêver il y a quelques mois encore, mais se retrouve confrontée à une situation encore plus inquiétante qu’en février.

Cette révolution a eu le mérite de dévoiler le caractère militaire du pouvoir algérien, de pousser le chef d’état-major à se rendre lui-même plus haïssable que n’importe quel civil, mais elle a aussi contraint les dirigeants algériens à pousser très loin le mépris et l’arbitraire.

Un infléchissement du pouvoir algérien ? Le grand malentendu

Il serait hâtif et injuste de déclarer que la révolution algérienne entamée au début de l’année n’a rien obtenu. Elle a poussé le pouvoir à se dévoiler et à se diviser et elle a permis aux Algériens de se retrouver et d’investir le champ politique.

En face, la cryptocratie algérienne a méthodiquement démontré son incapacité à faire de la politique. Confrontée à cette « crise », elle n’a eu à offrir que des diplomates déconsidérés et des militaires arrogants. Comme s’il s’agissait d’une affaire extérieure ou comme si les Algériens qui manifestent n’étaient pas tout à fait algériens.

L’action d’Ahmed Gaïd Salah aujourd’hui ne diffère en rien de celle de son ancien président vénéré

Tandis que la majorité a fait d’Ahmed Gaïd Salah, « l’homme fort » du pays, une cible prioritaire, certains observateurs ont voulu voir en lui un héros bien intentionné. La mise à l’écart de certains symboles honnis du régime devait leur donner raison.

À défaut d’avoir un ancien régime et un nouveau régime, on aurait ainsi d’anciens « réseaux » nocifs qui seraient miraculeusement neutralisés par ce même Gaïd Salah qui s’est accommodé des pires forfaitures en tant chef d’état-major (depuis 2004) et en tant que « vice-ministre de la Défense » (depuis 2013, année de l’AVC d’Abdelaziz Bouteflika).

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Il n’en est rien. Personne ne s’est attaqué à Saïd Bouteflika (frère de l’ancien président) et à Mohamed Mediène, dit Toufik (ancien chef du tout-puissant Département du renseignement et de la sécurité), pour ce qu’ils ont infligé au peuple algérien. Il suffit de lire les chefs d’accusation à leur encontre pour s’en convaincre : on leur reproche simplement leur manque de loyauté à l’égard du pouvoir militaire.

D’ailleurs, la justice aux ordres qui a jugé ces personnalités détestées par le peuple algérien est aussi celle qui malmène des citoyens innocents et des opposants intègres pour des drapeaux, des pancartes ou des idées. Comme si le pouvoir algérien voulait pousser le pays dans un désordre moral tel que l’oligarque véreux et le manifestant honnête se retrouvent confondus.

N’en déplaise aux thuriféraires du chef d’état-major algérien, son action aujourd’hui ne diffère en rien de celle de son ancien président vénéré. Bouteflika avait écarté une partie de l’armée au profit d’un clan d’apparatchiks, d’oligarques et de militaires. Gaïd Salah a écarté une poignée d’hommes pour que des intérêts privés soient protégés et qu’un régime politique perdure. Le peuple algérien est ignoré dans les deux cas.

Un peuple esseulé

Contre cet ogre militaro-oligarchique, le peuple algérien qui manifeste avec témérité est bien seul. Pas tout à fait seul car il peut compter sur la solidarité d’autres peuples en révolte (pensons au drapeau algérien à Beyrouth) et sur la relative bienveillance de quelques médias étrangers. Mais seul en comparaison avec la légitimation internationale dont bénéficie le pouvoir algérien.

Quatre raisons expliquent l’engouement limité dont jouit aujourd’hui la révolution algérienne. Les trois premières sont évidentes : l’opacité – entretenue par le pouvoir – qui entoure la vie politique algérienne, l’essoufflement au bout de quelques mois et les pressions exercées par le pouvoir algérien sur les médias et les États qui les abritent.

Le pouvoir algérien pense pouvoir avoir les manifestants à l’usure et imposer son élection

La quatrième est plus profonde et plus préoccupante. Elle explique en partie le désintérêt de certains médias panarabes. Il s’agit de la réputation positive dont jouit le régime algérien. Là encore, nous avons affaire à un malentendu.

Le pouvoir algérien est associé à la guerre de libération nationale (1954-1962), alors même que les grandes figures de cette guerre (au premier rang desquelles Djamila Bouhired) sont du côté de la révolution en cours, quand elles ne sont pas injustement emprisonnées (pensons à Lakhdar Bouregaa).

Le 1er novembre, les Algériens ont justement tenu à fêter dignement le déclenchement de cette guerre de libération. Ils ont opposé leur patriotisme aux trahisons permanentes du pouvoir qui s’est imposé à eux. Ils ont aussi rappelé leur solidarité avec les prisonniers politiques qui se multiplient et leur rejet de la prééminence du pouvoir militaire et de l’élection qu’il entend leur imposer.

Les Algériens manifestent vendredi 15 novembre à Alger pour dire non à un scrutin destiné selon eux à régénérer un « système » dont ils veulent se débarrasser (AFP)

Malheureusement, le peuple algérien est aussi esseulé à l’intérieur de ses frontières. Ses « élites » (les catégories qui disposent d’un pouvoir réel ou symbolique susceptible de contrebalancer le pouvoir politique) ne se sont pas soulevées comme un seul homme.

Les étudiants téméraires n’ont pas pu compter sur la solidarité entière des universitaires et des intellectuels, souvent enclins à tergiverser et prompts à se satisfaire des ruses du régime. Les magistrats ont interrompu leur grève sans avoir obtenu la moindre garantie sur l’indépendance de la justice. Enfin, les journalistes radicalement hostiles au pouvoir – souvent victimes d’intimidations et de répression – sont largement noyés par une majorité, au pire bienveillante à l’égard du chef d’état-major, au mieux occupée à expédier les affaires courantes.

Une élection fictive et virtuelle

Dans ces conditions, le pouvoir algérien pense pouvoir avoir les manifestants à l’usure et imposer son élection. Après tout, c’est la suite « logique » du processus constitutionnel. Les dirigeants algériens jouent la Constitution contre la démocratie et ils le font avec toutes les contradictions qui les caractérisent depuis les débuts du régime algérien.

Acrobates, les dirigeants algériens utilisent la Constitution comme bouclier antitransition tout en la piétinant allègrement. Aucune Constitution n’autorise le chef d’état-major à donner des ordres au gouvernement et aux juges, ni un gouvernement censé expédier les affaires courantes à multiplier les initiatives.

L’état-major entend simplement échapper à une transition sérieuse qu’une sortie assumée du cadre constitutionnel imposerait. Cette question est au cœur du rapport de force actuel entre le peuple qui manifeste et le pouvoir militaire qui veut passer en force.

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Le premier veut la transition avant l’élection pour une raison évidente : il ne fait pas confiance aux hommes du régime pour organiser quoi que ce soit d’honnête. Le second veut l’élection pour fermer la « parenthèse » révolutionnaire et éviter la moindre transition.

Les cinq candidats issus du régime que celui-ci a sortis de son chapeau ne nous intéressent nullement. Ce qui nous interpelle, en revanche, c’est le cadre de la campagne qui s’annonce. Là encore, le pouvoir algérien est fidèle à lui-même : s’il peut gouverner à l’abri du peuple, il n’hésitera pas à organiser une campagne électorale à l’abri du peuple.

En neuf mois, nous sommes ainsi passés de la photo de Bouteflika en campagne à cinq hommes condamnés à raser les murs et à se faire encore plus discrets que la photo. On les imagine mal « faire campagne », prononcer le moindre discours public ou échanger directement avec les citoyens.

C’est là que les médias algériens, ni vraiment publics (aucun service public) ni tout à fait privés (tenus par des oligarques liés au régime), seront cordialement invités à façonner une campagne fictive (faux débats) et virtuelle (une réalité simulée par les écrans). Ils seront invités à façonner une Algérie parallèle, une Algérie soumise à cette énième humiliation.

L’Algérie réelle aura pour elle la pression populaire. Celle-ci est capable de faire échouer cette troisième fausse élection de l’année. C’est peut-être là que la transition s’imposera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlene Mohammedi est docteur en géopolitique et notamment spécialiste de la politique arabe de la Russie postsoviétique. Il dirige le centre d’études stratégiques AESMA, ainsi qu’Araprism, association et site dédiés au monde arabe
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