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Algérie : l’économie, éternelle otage des échéances électorales 

L’élection présidentielle annoncée pour le 12 décembre veut tenter de mettre fin à une transition politique qui bloque toute tentative de réforme de l’économie et rapproche le pays d’une situation de faillite financière annoncée par les experts
La nouvelle loi de finances, à forte coloration électorale, autorise de nouveau l’importation de véhicules d’occasion (AFP)

Nous sommes le vendredi 13 septembre, dans le centre d’Alger. C’est la fin de l’après-midi, la foule des manifestants se disperse après une journée de protestation marquée par le retour d’une forte mobilisation populaire dirigée contre le projet de présidentielle « avant la fin de l’année » que le régime tente d’imposer au pas de charge.

Vers 17 h, je suis abordé par un ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, habitué des défilés du vendredi, qui n’a manifestement pas apprécié les commentaires, tous frais, de la presse algérienne sur le projet de loi de finances pour l’année 2020.

Un Conseil des ministres, réuni deux jours plus tôt, a annoncé les grandes lignes du prochain texte de loi. Les médias algériens ont accueilli plutôt favorablement un texte qui prévoit notamment la suppression de la règle dite du « 51/49 » (obligeant un investisseur étranger à prendre un actionnaire majoritaire algérien pour sa société), le retour à l’endettement extérieur pour le financement des infrastructures économiques et l’autorisation d’importer des véhicules d’occasion.

La règle dite du « 49/51 », selon laquelle un investisseur étranger doit s’associer à un partenaire algérien majoritaire, comme l’a fait Renault pour ouvrir une usine de montage, devrait être levée (AFP)

« C’est une loi de finances pour la France et l’Union européenne mais pas pour l’Algérie », commente avec véhémence l’ancien haut fonctionnaire. « Elle va accélérer la fonte de nos réserves financières et favoriser le retour de l’investissement étranger à un moment ou les entrepreneurs nationaux sont paralysés par la campagne de lutte contre la corruption. Elle va nous jeter dans les bras du FMI [Fonds monétaire international] dans moins de deux ans ».

Notre interlocuteur est loin d’être le seul expert algérien à annoncer une crise financière majeure pour le pays dans les prochaines années. 

Il s’agit d’un pronostic qui réalise un très large consensus avec pour seule variante, la date de la crise. Certains économistes l’annoncent déjà pour 2021.

D’autres, plus optimistes, prévoient une année ou deux de répit supplémentaire avant l’apparition d’une situation de quasi cessation de paiement qui contraindra les autorités algériennes à se tourner vers les institutions financières internationales pour négocier et mettre en œuvre un plan d’ajustement économique.

Au cœur de l’été, le ministre algérien des Finances, Mohamed Loukal, a annoncé que les réserves de change de l’Algérie étaient proches, fin mai, de 70 milliards de dollars. Depuis le début de l’année, elles ont encore perdu plus de neuf milliards. 

Le pays vit au-dessus de ses moyens depuis 2014

En réalité, les réserves financières du pays fondent comme neige au soleil depuis près de cinq ans. Tous les spécialistes sont d’accord pour dire qu’après avoir atteint un pic historique de 200 milliards de dollars en 2014, elles auront du mal à se maintenir au-dessus de la barre des 60 milliards de dollars à la fin de l’année 2019. 

Avec des déficits de la balance des paiements – qui se situent entre 20 et 30 milliards de dollars – au cours des dernières années, le calcul sur leur durée de vie probable est vite fait. 

Ce qui n’empêchait pas le ministre des Finances de considérer imperturbablement, en juillet dernier, que le niveau des réserves était « relativement satisfaisant ». « Il équivaut à dix-huit mois d’importations et il nous permet une marge de manœuvre importante en matière de redressement de la situation financière. », a-t-il déclaré.

L’économiste Rachid Sekak porte un jugement tranché sur la politique économique des derniers gouvernements algériens. Ancien directeur de la dette à la Banque d’Algérie, passé dans le secteur privé ou il a créé la filiale de HSBC dans le pays, il estime qu’« en Algérie, l’ajustement économique à la situation créée par la chute des prix pétroliers de 2014 n’a pas encore commencé ». 

« Depuis cinq ans, le pays vit financièrement au-dessus de ses moyens et accumule des déficits internes et externes considérables », explique l’expert à Middle East Eye. « Plombé par la baisse brutale des prix du baril qui a divisé par deux les recettes de la fiscalité pétrolière depuis juin 2014, le déficit du budget de l’État a dépassé le niveau astronomique de 15 % du PIB en 2015. Il est resté nettement supérieur à 10 % au cours des dernières années. » 

Sellal et Ouyahia n’ont pourtant sans doute pas le même degré de responsabilité dans la faillite financière qui pointe à l’horizon

Plutôt que de réaliser des ajustements économiques douloureux en dévaluant le dinar et en réduisant les dépenses publiques et les transferts sociaux comme le recommandent en chœur économistes algériens et institutions financières internationales, les gouvernements algériens successifs ont préféré maintenir, voire même gonfler encore récemment, le niveau des dépenses de l’État. Au risque d’épuiser rapidement les réserves financières du pays accumulées au cours de la période faste des prix pétroliers supérieurs à 100 dollars. 

Dans le sillage explosif du hirak populaire déclenché en février 2019, les deux derniers chefs de gouvernement de l’ère Bouteflika – Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia – ont eu pour l’instant un destin commun. 

Ils sont tous les deux incarcérés depuis le printemps à la prison d’El Harrach, dans la banlieue est d’Alger. L’instruction suit son court et, aux dernières nouvelles, les charges retenues contre ces deux piliers de l’ancien régime sont très lourdes. Il est question, entre autres, de « trafic d’influence » et de « dilapidation des deniers publics ».

Ils n’ont pourtant sans doute pas le même degré de responsabilité dans la faillite financière qui pointe à l’horizon.

« L’agenda politique a vite repris le dessus »

Au printemps 2016, Abdelmalek Sellal est aux commandes du gouvernement et annonce le lancement d’un « nouveau modèle économique algérien ». Il s’est entouré d’une « task force » constitué de cinq ou six économistes libéraux, dont plusieurs sont issus de la diaspora, qui ont élaboré, un peu dans l’urgence, un très ambitieux programme de réforme de l’économie algérienne. 

Le rétablissement en cinq ans des équilibres financiers au prix d’une politique d’austérité budgétaire figure au menu. Il est aussi question de diversification d’une économie excessivement dépendante des hydrocarbures grâce au renforcement de l’industrie et de promotion des énergies renouvelables pour compenser le déclin de la production pétrolière.

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Ce programme reçoit un début d’application à l’occasion de l’élaboration de la loi de finances 2017, qui sera la seule de la période à réaliser une réduction des dépenses publiques et du déficit du budget de l’État.

Maître de conférence à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, Alexandre Kateb défend la démarche de la task force dont il a fait partie : « Nous avons élaboré des propositions destinées à rétablir la solvabilité de l’État après la chute du prix du pétrole. Il est facile rétrospectivement de discréditer ou de dénigrer ce travail et plus généralement toute initiative associée de près ou de loin au gouvernement. Pour ma part, je n’ai pas à rougir de ce travail d’expertise que j’assume complètement », affirme-t-il à MEE.

« Malheureusement, l’agenda politique a vite repris le dessus. La consolidation budgétaire a été abandonnée en août 2017 au profit d’un retour à une politique budgétaire expansionniste. J’ai souligné les dangers associés à la ‘’planche à billets’’, dont le moindre mal n’est pas la déplétion accélérée des réserves de change du pays et la prévalence d’un confort illusoire à court terme, aux effets délétères à moyen et long terme. Nos propositions de réformes structurelles se sont quant à elles dissipées dans les méandres de l’inertie administrative ».     

Dès l’été 2017, les premières difficultés apparaissent. Elles sont liées à un début d’austérité budgétaire inédit depuis plus de vingt ans. Les fermetures d’entreprises et les arriérés de paiements s’accumulent dans une économie qui a développé une très forte dépendance à l’égard de la commande publique. 

À un peu plus d’un an de la fin du quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika et alors qu’une élection présidentielle est prévue début 2019, il n’en faut pas plus pour fragiliser fortement le gouvernement Sellal, déjà noyauté par les forces de l’argent, et précipiter la fin de son expérience éphémère de réforme économique.

C’est dans ce contexte pré-électoral qu’Ahmed Ouyahia, chef d’un des partis de l’Alliance présidentielle, le RND, fait une offre de service. 

Le programme économique d'Ahmed Ouyahia tient en une seule formule : recours au financement monétaire de l’économie et à la planche à billets (AFP)

L’homme est un familier des coulisses du régime. Il a déjà été quatre fois Premier ministre au cours du quart de siècle écoulé.

Les médias algériens indépendants lui attribuent la réputation d’un exécuteur des « sales besognes ». Son programme économique tient en une seule formule : recours au financement monétaire de l’économie et à la planche à billets. 

Dix-huit mois plus tard, lorsqu’Ouyahia quitte le palais du gouvernement, la Banque centrale a déjà mis l’équivalent de 55 milliards de dollars à la disposition du gouvernement

Une stratégie qui représente un virage à 180 degrés par rapport à celui de son prédécesseur. La proposition est accueillie avec soulagement par les décideurs politiques algériens et, en juillet 2017, Ahmed Ouyahia remplace Abdelmalek Sellal à la tête du gouvernement.

Dès sa prise de fonction Ahmed Ouyahia prépare et fait voter tambour battant par le Parlement une loi qui autorise le Trésor public algérien à s’endetter sans aucune limite auprès de la Banque d’Algérie pendant une période de cinq ans.

Dix-huit mois plus tard, lorsqu’il quitte le palais du gouvernement, la Banque centrale a déjà mis l’équivalent de 55 milliards de dollars à la disposition du gouvernement. Un montant colossal qui a permis de financer l’explosion des dépenses publiques et du déficit du budget de l’État sans augmenter aucun impôt depuis près de deux ans.

2020, une nouvelle année perdue pour la réforme de l’économie 

Le soulèvement populaire du 22 février 2019 a balayé le clan Bouteflika mais n’a rien changé dans le fond aux reflexes du régime. 

Le projet de loi de finances pour l’année 2020 qui vient d’être dévoilé par le gouvernement de Nourredine Bedoui, en place depuis le printemps, reconduit les mêmes pratiques budgétaires que son prédécesseur.

Annoncé pratiquement en même temps que la date de l’élection présidentielle, qui doit théoriquement se tenir le 12 décembre, il ne prévoit aucune mesure capable de réduire significativement le montant du déficit budgétaire qui sera encore proche de 8 ou 9 % du PIB l’année prochaine. 

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Rien non plus de prévu en ce qui concerne les énormes subventions énergétiques, estimées par les spécialistes à près de quinze milliards de dollars, et que le gouvernement algérien se refuse à supprimer, voire même à réduire, de peur d’alimenter le mécontentement populaire au cours d’une période très sensible.

Rien enfin pour commencer à combler le déficit de la caisse des retraites qui enregistre des dépenses annuelles de près de dix milliards de dollars quand les cotisations collectées ne représentent même pas la moitié de ce montant.

Cette nouvelle loi de finances à forte coloration électorale n’a, cependant, pas oublié l’annonce de mesures à caractère démagogique comme l’autorisation d’importation de véhicules d’occasion et même la création d’un impôt sur la fortune

Pour cause d’élection et de transition politique inachevée, l’année 2020 a désormais toutes les chances d’être une nouvelle année perdue pour la réforme de l’économie algérienne. 

Elle risque de rapprocher encore un peu plus l’échéance d’une faillite financière programmée.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Hassan Haddouche est un journaliste algérien. Après avoir effectué des études d’économie en France et en Algérie, il débute sa carrière dans l’enseignement supérieur avant de rejoindre la presse nationale au début des années 1990. Il a collaboré avec de nombreux journaux (L’Observateur, La Tribune, La Nation, Liberté) et sites électroniques (Maghreb émergent, TSA) algériens.
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