Les investisseurs étrangers pourront-ils réinvestir le marché algérien ?
ALGER – Le débat parlementaire sur la suppression de la règle 51/49 et du droit de préemption de l’État, qui régissent l’investissement étranger en Algérie, en est à sa deuxième semaine. Le suspense se poursuit, bien que de l’avis des observateurs aguerris, le projet de loi relatif à la promotion de l’investissement, présenté devant l’Assemblée nationale la semaine dernière par le ministre de l’Industrie et des Mines Abdeslam Bouchouareb, passera comme une lettre à la poste.
« Le projet de loi relatif à la promotion de l'investissement s'inscrit dans le cadre de la nouvelle génération de réformes économiques au titre de la politique de diversification de l'économie adoptée par le gouvernement », a déclaré le ministre Bouchouareb devant les députés.
En 2012 déjà, les rumeurs portant sur l'éventuelle modification voire même suppression de cette règle se faisaient entendre. En réponse à celles-ci, le Premier ministre Abdelmalek Sellal affirmait toutefois que « l’État ne renoncera[it] pas à la règle de 51/49 % régissant l’investissement étranger en Algérie ». Il écartait toute suppression ou modification de ladite mesure pour le secteur de la Petite et Moyenne Entreprise (PME).
L'Agence nationale du développement de l'investissement (ANDI) explique sur son site la loi actuelle régissant les investissements directs étrangers en Algérie : « Les investissements initiés par des étrangers, personnes physiques ou morales, doivent être réalisés en partenariat avec un ou plusieurs investisseurs nationaux résidents, publics ou privés. […] 51% du capital de la société créée dans le cadre de ce partenariat doivent être détenus par la partie algérienne et 49 % par la partie étrangère. »
Toujours selon l’ANDI, « l'État, ainsi que les entreprises publiques économiques, disposent d'un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d'actionnaires étrangers. » En d’autres termes, si un investisseur étranger décide de céder ses parts ou actions, il doit d’abord se concerter soit avec son/ses partenaires locaux, soit avec l’État, car ces derniers sont prioritaires à la reprise de ces actions.
Le projet de loi prévoit, dans son article 30 notamment, de « soumettre toutes les cessions d’actions ou de parts sociales, en sus, d’actifs par ou au profit d’étrangers à une autorisation du ministre chargé de l’investissement ». L’Algérie compte ainsi remplacer le droit de préemption, qui, explique-t-on dans l’exposé des motifs présentés aux parlementaires, « reste une mesure à caractère démesurée pour les petites opérations, mais aussi exorbitante du droit commun ».
La décision de réviser les règles est motivée par la politique d’austérité imposée par l’État, depuis début 2016. La chute drastique enregistrée dans les prix du pétrole a en effet rappelé au gouvernement l’urgence d’investir dans les alternatives pour diversifier son économie. La proposition de suppression de la règle 51/49 est également motivée par la difficulté de garder un contrôle sur l’ensemble des flux entrants des investissements étrangers.
L’échec du nationalisme économique ?
La règle 51/49 s'applique depuis les années 2000 au seul secteur pétrolier, principale source de revenus du pays. En 2009, le Premier ministre Ahmed Ouyahia décide de la généraliser à d'autres secteurs par le biais de la Loi de finances complémentaire (LFC-2009), qui introduit également l'exercice par l'État du droit de préemption.
La mise en place de ces mesures, contraignantes sur bon nombres d'aspects pour les étrangers souhaitant investir en Algérie, a été perçue comme un tournant vis-à-vis du cap libéral pris par le pays depuis 2000 en faveur d'une forme de nationalisme économique.
L'institution de ces deux mesures s’est faite en réaction au rachat en 2007par le groupe français Lafarge de deux cimenteries, à M'sila et Mascara, appartenant à la filière Orascom Cement. Le groupe français était entré sur le marché algérien sans passer par le gouvernement, qui n'était même pas informé de l'opération de rachat, ce qui avait suscité un tollé.
La colère du président algérien ne s'était pas fait attendre. En juillet 2008, Abdelaziz Bouteflika, qui s'adressait alors aux maires d'Algérie, avait laissé libre cours à sa colère, s'en prenant à l’Égyptien Nassif Sawiris, patron d'Orascom Construction Industries (OCI).
Cette entreprise avait réalisé dans l'opération avec Lafarge une belle plus-value, avec notamment un bénéfice de l'ordre de deux milliards de dollars après trois ans de présence dans le marché algérien. La colère du président algérien avait été accrue par le fait le groupe avait largement bénéficié de plusieurs facilitations auprès des banques du pays, sans compter les aides à l'investissement et d'importantes exonérations fiscales.
Six mois plus tard, l’État procédait à une révision totale des investissements étrangers en Algérie en mettant en place le droit de préemption et la règle 51/49. L'institution de ces règles n'avait pas été du goût de tous et avait suscité de fortes controverses. Nombre d'investisseurs et de businessmen la considéraient comme étant contreproductive, voire dissuasive en matière d'investissement.
Dans le cadre des négociations pour son accession à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui durent déjà depuis juin 1987, beaucoup de partenaires de l'Algérie ont demandé la suppression de cette règle. En réponse, le Premier ministre Sellal avait affirmé à la mi-2014 : « Nous sommes encore en discussion mais nous avons une stratégie : nous pouvons répondre [à cette requête de revenir sur la règle 51/49] que c'est possible [...] », tout en précisant : « la règle ne sera pas levée pour les secteurs stratégiques et le droit de préemption de l'État sur la cession des participations des étrangers en Algérie sera maintenu ».
Un débat tourné en procès
Selon Amir Farid, doctorant en économie à l’Université de Béjaia, « l’investissement direct étranger est un facteur important pour la diversification de l’économie et la relance de sa croissance ». Par conséquent, la suppression de la règle 51/49 « peut encourager les investisseurs étrangers à venir investir en Algérie », explique-t-il à Middle East Eye.
Toutefois, il précise que « la contribution de la suppression de la règle du 51/49 dans la croissance ne sera pas significative en raison du climat des affaires dégradé, notamment pour ce qui a trait à l’instabilité institutionnelle », explique-t-il en faisant référence notamment aux récents remaniements ministériels peu à même de rassurer les investisseurs.
Dans le contexte économique actuel, estime Amir Farid, « supprimer cette règle se traduira par la mise de la souveraineté de l’État entre les mains des multinationales, c’est mettre fin à l’État social ».
Lors du débat en plénière sur ce nouveau projet, les députés de l’Assemblée nationale ont globalement tourné la séance en procès contre les pouvoirs publics. Ces derniers ont été accusés d’avoir échoué à remettre l’Algérie sur les rails et à en faire un pôle d’attraction des investisseurs étrangers, pointant du doigt la corruption, la bureaucratie, et les divers problèmes et lenteurs du système bancaire.
Le député du Front de la Justice et du Développement (FJD), Khelifa Hedjira, a ainsi appelé à régler d’abord le problème de la corruption, qui a proliféré à grande échelle. « Il est nécessaire de ‘’débureaucratiser’’ le nouveau code de l’investissement en y consacrant la transparence tout au long de la chaîne qui l’accompagne », a-t-il soutenu.
Les autres députés de l’opposition, notamment du Parti des Travailleurs (PT) et du Front des Forces Sociales (FFS), ont quant à eux défendu bec et ongles le maintien de la règle 51/49. Pour eux, la loi devrait être maintenue à sa rigueur actuelle.
Le parti majoritaire à l’Assemblée, le Front de Libération Nationale, propose, lui, que la règle 51/49 soit appliquée seulement aux secteurs stratégiques.
« L’Algérie a besoin des investissements étrangers », a pour sa part soutenu le député Mohamed Tahar Kaddour, du Rassemblement national démocratique (RND).
Amir Farid rappelle que le processus de diversification de l’économie nationale par l’ouverture aux investissements directs étrangers doit se faire dans le cadre d’une stratégie claire de politique économique et sociale. « Il est regrettable de voir l’Algérie, au moment où à l’échelle mondiale on observe un retour aux thèses nationalistes et protectionnistes, s’ouvrir de cette façon au capital étranger », estime-t-il.
Selon les chiffres communiqués par les autorités, 5 141 étrangers ont pu s’installer et exercer une activité de commerce en Algérie, dont 711 au titre de l’import, durant la période allant de décembre 2008 à décembre 2013.
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