Algérie : alerte sur les engagements commerciaux de Sonatrach
ALGER – Le secteur des hydrocarbures, qui a cessé de décroître en 2015 (+ 0,2 %) après presque une décennie de déclin, enregistrant plutôt une appréciable croissance au bout de l’année suivante (+ 7,7 %), replonge dans les difficultés.
Au troisième trimestre 2017, précise l’Office national des statistiques (ONS), la décroissance est de - 6,2 %, comparativement à la même période en 2016 où l’extraction de pétrole et de gaz avait enregistré une forte hausse de 9,7 % par rapport à 2015.
Sonatrach, société nationale algérienne des hydrocarbures, première entreprise d’Afrique, a ainsi produit 194 millions de Tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2017 contre 197 en 2016 et prévoit une production en baisse à 193 millions de TEP en 2018.
« À ce rythme, je ne sais pas si ces gisements peuvent tenir au-delà de 2020 »
- Un haut cadre de Sonatrach
Afin d’avoir suffisamment de volumes à l’export, Sonatrach, coupée dans son élan par un changement brutal et sans raison apparente de son management en mars 2017 et par la démobilisation qui s’en est suivie, prélève désormais d’importantes quantités de gaz qu’elle réinjectait dans le sous-sol pour maintenir la pression des gisements et continuer à pomper les hydrocarbures dans des conditions optimales.
Au risque d’endommager irréversiblement les gisements dont les récentes projections promettaient une exploitation au-delà de 2040.
En effet, un haut cadre de Sonatrach, sollicité par Middle East Eye, s’inquiète sous couvert de l’anonymat, qu’« à ce rythme de pompage, on se dirige fatalement vers un remake de Cantarell dans les champs de Hassi Messaoud et Hassi R’Mel ». Cantarell est un gisement géant mexicain qui produisait plus d’un million et demi de barils par jour avant d’être fermé après une chute brutale des quantités extraites provoquée par une mauvaise gestion de la pression, qui a fait remonter les hydrocarbures à la surface.
Il précise que « 50 millions de mètres cubes qui devaient être réinjectés dans les champs de Hassi Messaoud, Hassi R’Mel et Rhourde El Baguel sont exportées depuis plusieurs mois afin d’honorer les engagements commerciaux de Sonatrach ».
Hassi Messaoud représente 50 % de la production de pétrole du pays, et Hassi R’Mel, 50 % de la production de gaz.
Selon lui, vingt millions de mètres cubes sont prélevés chaque jour sur les quantités qui étaient réinjectées à Hassi Messaoud, six millions de mètres cubes sur les gisements de Rhourde El Baguel et 24 millions de mètres cubes sur les quantités utilisées dans les opérations de cyclage du champ gazier de Hassi R’Mel pour augmenter les réserves d’hydrocarbures récupérables.
« À ce rythme, je ne sais pas si ces gisements peuvent tenir au-delà de 2020 », insiste-t-il.
Échecs retentissants
Dans ce contexte, il convient de rappeler que la production pétro-gazière algérienne a atteint 232 millions de TEP en 2008 avant de chuter, cinq ans après à 195 millions de TEP. Un déclin conjugué d’abord au scandale de corruption qui a éclaté en 2009, puis à la dégringolade des prix du pétrole amorcée en juin 2014, qui a mis la compagnie Sonatrach à genoux et l’État algérien avec.
Les appels d’offres lancés pendant cette période pour l’exploration du domaine minier algérien ont débouché sur des échecs retentissants et Sonatrach s’est retrouvée à prospecter les périmètres concernés presque toute seule. Aussi, de nombreuses compagnies pétrolières ont engagé des procédures d’arbitrage à son encontre, contestant le caractère rétroactif de la Taxe sur les profits exceptionnels (TPE).
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Pourtant, une autre source à Sonatrach, sollicitée par MEE, fait observer que « l’organisation mise en place à partir du début 2015, avec à la clé la création de pôles regroupant des activités complémentaires, a fluidifié le processus de décision et sorti la compagnie de la torpeur qui l’avait gagnée dans la foulée de l’instruction des affaires de corruption ».
C’est ainsi que les divisions exploration, ingénierie et développement, forage et associations, ont été placées sous une même autorité de coordination, permettant d’optimiser les moyens d’extraction des hydrocarbures et de réduire les délais de mise en exploitation des puits forés.
« La mobilisation des ressources de la compagnie a réussi à améliorer le taux de récupération des gisements. Nous avons adopté de nouvelles méthodes de production et de nouveaux procédés chimiques qui donnent d’excellents résultats. Ainsi, le taux de récupération s’est beaucoup amélioré », a expliqué le 24 février 2017 dans une déclaration à la presse, un mois avant son limogeage, l’ancien PDG de Sonatrach Amine Mazouzi, en marge des festivités du double anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures et de la création de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), célébré par Sonatrach à Hassi Messaoud.
En effet, avec peu d’investissements en 2015 et 2016, Sonatrach était arrivée à augmenter sa production pétro-gazière et s’était plutôt tournée vers la conquête de nouvelles parts de marché, notamment en matière de gaz.
La reprise de la production, dans un contexte marqué par la baisse des prix et alors que la plupart des compagnies pétrolières ont réduit leurs investissements au minimum, a renforcé la confiance des partenaires de Sonatrach.
En 2016, la compagnie a exporté 54 milliards de mètres cubes sur une production de 132 milliards de mètres cubes, doublant ses ventes en Italie qui sont passées à onze milliards de mètres cubes contre six milliards en 2015, et augmentant ses parts de marché en Espagne à 55 %.
Un changement inattendu
Sonatrach prévoyait même de porter ses exportations à 57 milliards de mètres cubes en 2017 avec l’entrée en production des nouveaux champs du sud-ouest à savoir, Touat, Timimoune et Reggane-Nord qui, une fois mis en exploitation, devraient produire 25 millions de mètres cubes/jour, soit environ neuf milliards de mètres cubes par an.
Aussi, la reprise de la production avait-elle permis à Sonatrach de négocier en position de force pour solder ses contentieux, notamment ceux liés à la Taxe sur les profits exceptionnels.
En 2016, Sonatrach, qui a eu gain de cause dans la procédure l’opposant à l’Espagnol Repsol, a obtenu l’assentiment de la plupart des autres partenaires – l’Italien ENI, l’Espagnol CEPSA et les Chinois Sinopec et CNPC – pour l’abandon de la contestation de la TPE.
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Il ne restait que la compagnie française Total. La compagnie algérienne en avait pris acte dans un communiqué datant de juillet 2016 où elle avait souligné que le montant des taxes, objet du contentieux avec Total, était insignifiants comparé aux autres compagnies.
« Il est observé que les droits à prélèvements [taxe prélevée sur la production] de Repsol et Total réunis sur Tin Fouyé Tebenkort [TFT, gisement gazier] sur la base d’un prix de 50 dollars par baril, représentent moins de 0,3 % de la production totale en Algérie », avait-elle déclaré.
Or, cette sérénité retrouvée après tant d’années d’agitation sur fond de scandales de corruption a vite été troublée par un changement inattendu à la tête de la compagnie Sonatrach en mars 2017.
C’était surtout le profil du successeur d’Amine Mazouzi qui a choqué les observateurs du secteur des hydrocarbures en Algérie. Abdelmoumen Ould Kaddour, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas un anonyme.
L’ancien PDG de BRC, joint-venture associant Sonatrach à KBR, société britannique rachetée en 1996 par le géant américain Haliburton, a été condamné en novembre 2007 par le tribunal militaire de Blida à 30 mois de prison pour divulgation d’informations « secret défense » et emprisonné.
Expiration des contrats gaziers
L’énergie de la compagnie a donc d’abord été mobilisée pour soigner son image, allant jusqu’à enjoliver son curriculum vitae et lui attribuer un doctorat qu’il n’a pas.
« La suppression des pôles instaurés par son prédécesseur et l’engagement d’une réflexion pour une réorganisation de la compagnie qui tarde à voir le jour, a eu un effet d’inertie », analyse un spécialiste des questions énergétiques pour MEE.
Non seulement l’entrée en production des nouveaux champs accuse des retards, mais les volumes extraits des vieux gisements de Hassi Messaoud et Hassi R’Mel baissent à vue d’œil
« Et ses dissertations dans les médias sur les retards technologiques de Sonatrach et la nécessité de recourir à l’expertise étrangère, y compris pour des procédés que la compagnie maîtrisait depuis la nationalisation des hydrocarbures il y a quatre décennies, ont fini par provoquer une démobilisation générale. »
Ould Kaddour, lui, continue à parler des retards technologiques de Sonatrach. Il a même annoncé qu’il serait judicieux de « sous-traiter la commercialisation du gaz », indiquant en octobre 2017, soit au moment où l’activité de la compagnie replonge dans la récession, que Sonatrach cherchait à mettre en place des partenariats dans le but de vendre le gaz.
Or, non seulement l’entrée en production des nouveaux champs accuse des retards, mais les volumes extraits des vieux gisements de Hassi Messaoud et Hassi R’Mel baissent à vue d’œil.
Ce qui ne contribue pas à rassurer les clients de l’Algérie sur sa fiabilité comme fournisseur, à la veille de la renégociation des contrats gaziers qui, pour la plupart, expirent entre 2019 et 2020.
En tout cas, le recours à la vente du gaz destiné à la préservation des gisements pour honorer ses engagements commerciaux ne plaide pas en faveur de la négociation de contrats à long terme.
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