Quel est le motif de la dernière attaque terroriste contre la Turquie ?
L’attaque terroriste contre le troisième plus important aéroport d’Europe constitue l’attentat-suicide le plus meurtrier qu’a connu la Turquie ces derniers mois. Le pays a été ciblé en tant que pays appartenant à la coalition américaine de lutte contre l’État islamique (EI) et ayant des difficultés à freiner les retombées de la guerre civile en Syrie voisine.
Suite à l’attaque qui a causé plus de quarante morts, la première question qui vient à l’esprit est la suivante : à qui l’organisation terroriste EI envoie un message en fermant la plus importante porte de la Turquie avec le monde par cet acte de sabotage ? Il faut absolument répondre à cette question pour interpréter correctement l’attentat à la bombe d’Istanbul. La bureaucratie sécuritaire du monde entier doit reconnaître que les grands aéroports sont devenus une cible pour les groupes djihadistes depuis les attaques du 11 septembre 2001 par al-Qaïda.
Le Premier ministre turc Binali Yıldırım, qui a récemment pris ses fonctions, a prononcé un discours au cours de la réunion du groupe parlementaire du Parti de la justice et du développement (AKP) quelques heures avant l’explosion, annonçant que les relations turco-israéliennes, qui étaient tendues ces six dernières années, reviendraient à la normale. Il a également évoqué la récente lettre du président Recep Tayyip Erdoğan au président russe Vladimir Poutine exprimant des regrets au sujet de l’avion de chasse russe abattu à la frontière avec la Syrie en novembre.
Yıldırım a exprimé l’espoir que le rapprochement entre la Turquie et la Russie renforce le tourisme turc, étant donné que le nombre de touristes visitant la Turquie en mai 2016 a chuté de 34,7 % par rapport au même mois l’an dernier – ce qui marque la plus forte baisse du tourisme turc depuis les années 1990. Alors que la Turquie espérait récolter les fruits de la diplomatie du tourisme qu’il pratique en dépit de nombreux défis, le troisième plus grand aéroport international en Europe, en d’autres termes « la porte de la Turquie », est devenu une cible pour l’organisation terroriste EI.
La Turquie combat l’EI en élargissant sa coopération aérienne avec la coalition américaine. Elle soutient également les groupes d’insurgés qui combattent l’EI en Syrie et œuvre plus efficacement qu’auparavant à arrêter les membres de l’EI qui veulent entrer en Syrie. Le pays a renoué des relations avec Israël et présenté ses excuses à la Russie pour l’avion de chasse russe qui a été abattu en novembre. Désireuse de revenir à des relations diplomatiques cordiales, la Turquie reconfigure les relations de l’EI avec de grands ennemis comme la Russie. Par conséquent, l’attitude de l’EI envers la Turquie a changé et le groupe s’efforce de démontrer, par ses attaques meurtrières, que la Turquie est aussi son ennemi. Il semble que l’EI va faire de la Turquie une cible centrale pour ses attaques, comme les pays de l’UE qu’il cible également.
Concomitance avec les attaques terroristes du PKK
Depuis l’été dernier, les attaques de l’EI et du groupe séparatiste armé du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sont en hausse constante en Turquie. Bien que les deux groupes soient ennemis sur le territoire syrien, l’EI et le PKK conduisent des attaques l’un après l’autre, semblant se soutenir mutuellement en Turquie. Cela surprend autant les individus lambda que les spécialistes du terrorisme dans le pays.
L’attentat de mardi dernier est la cinquième attaque terroriste que connaît Istanbul depuis le début de l’année et la dix-septième attaque dont a été témoin la Turquie ces deux derniers mois. Sept policiers et quatre civils au total ont perdu la vie à la suite de l’explosion d’une voiture piégée dans le quartier Vezneciler d’Istanbul, près de l’Université d’Istanbul et le Grand Bazar, il y a trois semaines. Les explosifs ont été actionnés à distance tandis qu’un bus de la police passait par le quartier le 7 juillet. Les Faucons de la liberté Kurdistan (TAK), un groupe dissident du PKK, ont revendiqué la responsabilité de l’attaque. Cette même organisation terroriste a également mené deux attaques avec des véhicules piégés à Ankara en février et en mars.
Dans le même temps, les djihadistes de l’EI ont perpétré deux attentats-suicides qui ont tué un total de seize personnes, dont douze touristes, à Istanbul depuis le début de l’année. L’organisation, qui est encline à utiliser des attentats-suicides, mène des attaques sans discrimination vis-à-vis des caractéristiques géographiques et politiques de la Turquie. Yıldırım a désigné l’EI comme l’auteur de l’attaque dans les trois heures suivant l’incident.
L’attaque d’Istanbul a une nouvelle fois mis en évidence les principaux objectifs du terrorisme. Le transport aérien international, les aéroports et les vols sont évidemment les cibles du terrorisme.
Les djihadistes de la même organisation terroriste ont attaqué Paris le 13 novembre 2015, ainsi que la station de métro de Maelbeek et l’aéroport de Zaventem de Bruxelles le 22 mars, tuant 32 personnes en deux endroits. De plus, le vol 804 d’EgyptAir qui s’est écrasé en Méditerranée pendant un vol de Paris au Caire le 19 mai reste encore un mystère. Au total, 66 personnes sont mortes dans cet accident d’avion. La bureaucratie sécuritaire internationale doit tenir compte des objectifs sur lesquels l’EI se concentre désormais. De toute évidence, il est essentiel d’adopter un nouveau point de vue sécuritaire concernant le transport aérien.
L’aéroport Atatürk est une cible symbolique. Il est très important pour l’économie turque qui traverse une période difficile en raison d’une baisse importante du nombre de touristes visitant le pays. Il tient son nom du fondateur de la République de Turquie et est un symbole de la croissance économique turque.
Existence de mesures de sécurité strictes dans les aéroports turcs
Contrairement à d’autres aéroports en Europe, les contrôles d’entrée dans les aéroports turcs sont menés avant que les passagers ne pénètrent dans le terminal. Les bagages sont scannés avant qu’ils atteignent les portes et les passagers sont obligés de passer par des détecteurs de métaux. On sait que le personnel de sécurité n’est pas laxiste dans sa tâche en raison de la grande menace terroriste en Turquie. Ainsi, les affirmations indiquant une défaillance de la sécurité sont absolument fausses.
D’autre part, il est avéré que les kamikazes n’ont pas mené cette attaque spontanément. La Turquie, qui est la cible du terrorisme depuis de nombreuses années, semble plus à l’abri que les aéroports européens du fait des mesures de sécurité qu’elle prend dans ses aéroports. Étant donné que les terroristes sont entrés dans le terminal par la porte de sortie – un point où les mesures de sécurité sont plus faibles, comme dans tous les aéroports –, je pense qu’ils sont venus à l’aéroport à plusieurs reprises avant l’attaque pour observer, puis qu’ils ont choisi la porte où ils se feraient exploser.
Le fait que les assaillants étaient des ressortissants étrangers est un autre point montrant que l’organisation a planifié très soigneusement cette attaque. Il s’agissait de trois étrangers qui ne parlaient pas anglais ou turc pour communiquer entre eux. C’est la façon la plus rationnelle d’éviter les écoutes des agences de renseignement nationales. Les téléphones portables trouvés sur les trois kamikazes après l’explosion ont révélé qu’il existait un réseau entre eux et les renseignements nationaux ne les ont pas espionnés. Le déploiement de terroristes étrangers est un moyen d’affaiblir les renseignements intérieurs, comme on le voit dans cet incident.
Comme je l’ai dit plus haut, il se peut tout à fait que les kamikazes aient pénétré dans l’aéroport au moins trois fois avant l’attaque et aient choisi un endroit pour se faire exploser. Maintenant, la police examine les images des 361 caméras de sécurité de l’aéroport. Toutefois, le principal sujet de préoccupation est de savoir comment ces trois ressortissants étrangers ont pu obtenir les bombes et les armes utilisées dans l’attaque ; depuis combien de temps étaient-ils en Turquie avant l’attaque et qui sont leurs collaborateurs dans le pays.
Autres questions qui nécessitent des réponses : comment ont-ils pu entrer dans l’aéroport ? Comment se fait-il que la police ne se soit pas rendu compte qu’il s’agissait de terroristes qui tentaient d’entrer avec des manteaux en dépit de la chaleur estivale ? Avaient-ils des collaborateurs à l’intérieur de l’aéroport ?
Nombreuses opérations anti-EI au cours du mois passé
En fait, la Turquie a lancé des opérations contre des cibles de l’EI le long de sa frontière tous les deux jours le mois dernier. Cependant, elle a assoupli ses règles d’engagement militaire dans une certaine mesure au cours des vingt derniers jours pour veiller à ce que les avions de l’OTAN puissent se déplacer librement le long de la frontière avec la Syrie. On s’attendait à ce que l’EI entreprenne de nouvelles actions et l’avertissement des États-Unis à l’attention de leurs citoyens en Turquie au sujet de la situation sécuritaire semblait indiquer des attaques imminentes.
Avec la guerre civile syrienne, la frontière entre la Turquie et la Syrie est devenue un laboratoire pour les organisations terroristes. Des groupes comme le PKK, l’EI, le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) et le Parti communiste marxiste-léniniste (MLKP), qui ont amélioré leurs capacités de guerre en Syrie, constituent une menace sérieuse depuis un an.
La Turquie combattait avec succès le PKK dans les montagnes depuis 1984. Cependant, avec le début de la crise en Syrie, le modèle d’activisme du terrorisme a changé, si bien que le PKK, qui était auparavant actif dans les montagnes, est descendu vers les villes où il a creusé plus de 1 200 tranchées et y a placé des bombes dans l’est et le sud-est de la Turquie. Il a attiré l’attention des forces de sécurité turques dans la région pendant six mois.
L’EI était une menace nouvelle pour la Turquie. Toutefois, les actions du groupe au cours de la dernière année montrent qu’il continuera à nous importuner encore un moment. En bref, des efforts sont entrepris pour occuper l’esprit de l’armée et de la sécurité turques en les testant par le terrorisme aux frontières, dans les grandes villes et dans les provinces de l’est et du sud-est. Certains pourraient dire : « Nous prévoyons de nouvelles choses ici, donc vous devriez vous concentrer sur votre sécurité intérieure. »
- Çetiner Çetin est le responsable du département Moyen-Orient et médias internationaux au bureau de la diplomatie publique du Premier ministre turc. Il écrit des analyses politiques pour le quotidien turc Yeni Şafak. Il a également travaillé avec les chaînes d’information NTV et TRT en Irak. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cetiner_cetin
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un employé de l’aéroport pleure ses collègues tandis qu’il regarde les photos des employés de l’aéroport tués au terminal international de l’aéroport Atatürk à Istanbul, le 30 juin 2016, soit deux jours après le triple attentat-suicide et la fusillade à l’aéroport (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].