Réécrire l'histoire palestinienne : la guerre des croisés contre la réalité à Bethléem
Lorsqu'une vidéo de vingt secondes réalisée par la blogueuse canadienne et « croisée » autoproclamée Faith Goldy, de l’émission de télévision « The Rebel », s’est propagée à toute allure sur Twitter, elle a suscité de nombreuses réactions, notamment de la part des chrétiens palestiniens.
La vidéo montre Goldy près d'une mosquée dans la ville occupée de Bethléem, vitupérant contre le fait que l'appel musulman à la prière puisse être entendu à travers la ville, et terminant sa diatribe avec le cri de guerre croisé « deus vult », « Dieu le veut » en latin.
Comme c'est souvent le cas, ce qui n'est pas dit peut être tout aussi intéressant, sinon plus, que ce qui l’est. Goldy ignore le fait que la maire de Bethléem, Vera Baboun, élue en 2012, est une Palestinienne catholique.
Elle ignore également que Baboun elle-même a cité le mur d'apartheid d'Israël comme un obstacle majeur au commerce et au développement, déclarant : « Notre ville est étranglée, sans aucune possibilité d’expansion en raison des colonies et du mur ». Quand Baboun a pris ses fonctions, la ville biblique, qui dépend fortement du tourisme, avait un taux de chômage de 18 %.
La véritable menace
En fait, les habitants de Bethléem ont été à l'avant-garde de la lutte contre l'apartheid israélien en Palestine, utilisant la renommée de leur ville pour attirer l'attention de la communauté internationale sur l'occupation.
Leur Jésus est un général militaire blanc qui dirige une armée conquérante, pas le Jésus de Bethléem
En 2005, la campagne populaire « Open Bethlehem » a été lancée en réponse au mur d’Apartheid récemment construit. Les initiateurs de la campagne expliquent comment le mur israélien a asphyxié les habitants de la ville : « Nous sentons que nous devons informer la communauté internationale de la menace réelle à laquelle est confrontée la population chrétienne en Palestine : l'occupation militaire de notre terre et la pauvreté paralysante qu’elle a causée ». Ils ajoutent que « la politique israélienne a réduit Bethléem à un état de captivité et d'étranglement économique, d'où, tout naturellement, ceux qui ont en les moyens fuient ».
La connaissance de ces faits est cruciale parce qu’elle détrône ces autoproclamés « défenseurs des chrétiens » en réemployant leurs propres prétendues motivations. Cela conduit un observateur honnête à se demander : s'ils prétendent défendre le christianisme mais ignorent les vrais chrétiens, quel christianisme défendent-ils ? Est-ce le christianisme de tous ses adeptes, ou n'est-ce que le christianisme des conquérants occidentaux ?
Sa reprise du cri de guerre « deus vult » à une époque de nativisme xénophobe croissant en Occident répond à ces questions. Leur Jésus est un général militaire blanc qui dirige une armée conquérante, pas le Jésus de Bethléem.
Une vidéo encore plus troublante montre Goldy dans la ville israélienne de Sdérot, à la frontière de ce qu'elle appelle la « Gaza contrôlée par le djihad ».
Ceux qui ont une conscience fonctionnelle pourraient plutôt décrire Gaza comme une prison à ciel ouvert, étant donné que le « blocus militaire israélien de la bande de Gaza est entré dans sa 10e année, poursuivant le châtiment collectif de l’ensemble de la population de Gaza ».
Faith Goldy parle des abris anti-bombes de Sdérot et des difficultés rencontrées par ceux qui vivent si proches de la frontière avec Gaza.
S'ils prétendent défendre le christianisme mais ignorent les vrais chrétiens, quel christianisme défendent-ils ?
Si je ne veux en aucun cas nier que les Israéliens vivant à Sdérot, en particulier les enfants, souffrent des conséquences de la politique de la puissance occupante, à savoir Israël, il y a quelque chose d’extraordinairement cruel dans le fait de ne pas souligner que les Israéliens, eux au moins, ont des abris anti-bombes.
À quoi ressemble un « abri anti-bombes » dans l'une des régions les plus densément peuplées du monde quand elle est bombardée par l'une des nations militarisées les plus puissantes de l'histoire ?
Les Gazaouis, à la différence des habitants de Sdérot, n'ont pas eu le luxe d’ouvrir un « cinéma de Sdérot » où les jeunes Israéliens mangeaient du pop-corn et applaudissaient en regardant l’aviation de leur pays larguer des bombes sur la population prise au piège en 2014.
Au moins 2 251 Palestiniens ont été tués, dont au moins 1 462 civils, et plus de 11 200 ont été blessés en seulement 50 jours au cours de cette offensive militaire israélienne, la troisième en moins de six ans. Israël a ciblé des infrastructures civiles, forcé le déplacement de jusqu'à 500 000 personnes, détruit vingt écoles, maternelles et collèges, détruit ou endommagé 117 hôpitaux, cliniques et pharmacies, et détruit 19 000 maisons, soit environ 380 habitations par jour.
En revanche, six civils israéliens ont été tués par des mortiers ou des roquettes tirés de Gaza. Ce n’est pas comparable.
Identités disloquées
Faith Goldy cite ensuite le maire de Sdérot, qui a déclaré : « les Gazaouis ne sont pas mon problème » parce que « nous sommes entourés de pays arabes », demandant ensuite : « Pourquoi les Saoudiens ne les aident-ils pas ? Pourquoi l'Iran ne les aide-t-il pas ? »
Elle a également demandé : « Combien de réfugiés traînent en Jordanie, en Égypte et au Liban ? Pourquoi viennent-ils tous en Europe ? »
L'existence même des catégories « juifs » et « Arabes » en tant qu'entités mutuellement exclusives est un phénomène récent dans l'histoire du Moyen-Orient
Mettant de côté le fait qu'elle ne sache pas que l'Iran n'est pas un pays arabe ou que la majorité écrasante des réfugiés syriens (plus de 4,8 millions) se trouvent en fait dans les pays voisins – la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Irak et l’Égypte – contrairement à son propre pays, le Canada, qui a accueilli et réinstallé un peu plus de 40 000 réfugiés –, l'insinuation évidente ici est que les Arabes devraient prendre soin des Arabes et les juifs devraient prendre soin des juifs.
Peu importe que les deux seuls pays qui contrôlent tous les accès de Gaza vers l'intérieur et l'extérieur de la bande côtière soient Israël lui-même et son allié arabe, l'Égypte.
Peu importe que l'existence même des catégories « juifs » et « Arabes » en tant qu'entités mutuellement exclusives soit un phénomène récent dans l'histoire de ce que nous appelons aujourd'hui le Moyen-Orient, effaçant dans le processus les juifs arabes ou les juifs arabophones dont les identités ne correspondaient pas nécessairement à cette vision binaire imposée – ce qu’Ella Shohat a appelé des « identités disloquées ».
Peu importe également que 1,3 des 1,9 million de Gazaouis soient des réfugiés ou des descendants de réfugiés en provenance des terres qui font maintenant partie d'Israël. Après tout, Sdérot a été fondé en 1951. Qu'est-il arrivé seulement trois ans auparavant, en 1948 ?
Il n’est pas rare de voir un blogueur occidental ignorant, nanti et disposant de la liberté de mouvement utiliser ses privilèges pour diaboliser et/ou effacer ceux qui en sont dépourvus. Dans un article intitulé « Les journalistes occidentaux se forgent une carrière en Palestine, puis nous laissent dans la misère », l'écrivaine et activiste palestinienne Mariam Barghouti a noté comment « en Palestine, nos voix sont souvent entendues uniquement lorsque nous souffrons ou lors de protestations violentes », soulevant la question de la représentation, ou de son absence.
En effet, alors que nombreux seront ceux qui rejetteront Goldy comme étant une fondamentaliste irrationnelle en quête d’attention et motivée par une vision cynique du monde et un besoin obsessionnel de conflit, il vaut la peine de se demander pourquoi il est si facile d'effacer les voix des populations autochtones quand elles ne correspondent pas au récit que certains veulent promouvoir.
- Joey Ayoub est rédacteur pour la région MENA à Global Voices. Chercheur libanais originaire de Beyrouth, il vit actuellement à Londres. Fondateur du blog « Hummus For Thought », il écrit principalement sur la Syrie, Israël/la Palestine et le Liban.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des soldats israéliens passent devant des membres israéliens et palestiniens du Parents Circle Families Forum, une organisation composée de plus de 600 familles ayant perdu des proches dans le conflit, alors qu'ils manifestent sur une route près du village cisjordanien d'al-Khader, à proximité de la ville biblique de Bethléem, le 10 mars 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].