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Reliez les points : quatre événements inhabituels qui prennent la température d’Israël

Dans une société extrêmement obéissante et patriotique telle que la société israélienne, les protestations de groupes habituellement loyaux sont sans doute un bon signe

En Israël, les incidents de désobéissance civile et de protestation de Palestiniens ont vite lieu d’être considérés comme une menace pour la sécurité. Ceux qui s'y livrent sont criminalisés par les autorités.

Mais du côté juif, le gouvernement israélien considère les groupes qui menacent le gouvernement de deux manières différentes.

Les groupes juifs fascistes et violents issus de milieux pauvres sont généralement qualifiés de « marginaux » ou de « mauvaises herbes » (l'équivalent hébreu de l'expression « mauvaise graine »).

Le silence a été rompu : ce type de protestation n'a jamais été aussi clairement entendu au sein de la société juive majoritaire

En revanche, les colons de la classe moyenne nationaliste-religieuse qui menacent de désobéir aux décisions des tribunaux et résistent violemment aux expulsions sont promptement récompensés par des solutions créatives ou d'importantes sommes d'argent tant qu'ils acceptent de maintenir l’« ordre ».

Toutefois, on observe également des réactions qui vont au-delà de ces actes évidents de criminalisation, de marginalisation et de récompense. L’année dernière, nous avons assisté à des actes de désobéissance civile, des violences, des protestations et des actions directes que le gouvernement israélien et les médias ont minimisés, ignorés ou encadrés de manière à assurer l'ordre.

Ces événements se sont produits dans des recoins inattendus de la société et n'ont pas fait la une des journaux télévisés à l'époque.

On peut considérer quatre incidents de ce type. Pris séparément, chacun a semblé d’une portée limitée, voire insignifiant, mais conjointement, ils se fondent en un modèle capable de générer un sentiment de chaos. C'est cela que le gouvernement israélien – et en fait tout gouvernement – craint le plus.

Ces événements ont impliqué des juifs orthodoxes, des juifs éthiopiens, des nouvelles recrues de l’armée et des mères de soldats. Chacun de ces groupes joue un rôle important dans la société israélienne.

Les juifs orthodoxes forment le segment démographique qui connaît la croissance la plus rapide en Israël et ils sont essentiels pour l'avenir de l'armée et de l'économie. Les juifs éthiopiens sont peut-être un groupe minoritaire (il représentent seulement 2 % de la population) mais ils ont la plus grande motivation à servir dans l'armée. C’est aussi le seul groupe juif noir, ce qui en fait les victimes les plus immédiates du racisme et le test ultime sur le racisme dans la société.

Les soldats de combat et les mères de soldats sont tous deux des groupes conventionnels qui représentent traditionnellement l'obéissance et le patriotisme : leurs protestations sont comme une fissure dans le système.

1. La violence des juifs orthodoxes contre la police

Un débat est en cours entre l'État et la communauté juive orthodoxe concernant le service militaire obligatoire et un projet de loi appelant certains hommes religieux à servir contre leur gré.

En février 2016, des dizaines de jeunes juifs orthodoxes de la ville d'Ashdod ont violemment pris pour cible une voiture de la police militaire venue dans leur quartier défavorisé chercher des déserteurs qui ne s’étaient pas présentés au service militaire.

En quelques minutes, la voiture a été lapidée et renversée, et des renforts ont été appelés au secours. L'incident a été considéré comme grave par la police, mais les médias traditionnels n'ont pas donné la parole aux protestataires. La raison en est peut-être que le gouvernement ne veut pas faire de vagues sur cette question et risquer que les partis religieux orthodoxes ne quittent la coalition.

2. Le racisme dans les rangs de la police

En août 2016, le commissaire de police israélien Roni Alsheich a déclaré : « Des études dans le monde entier, sans exception, ont montré que les immigrants sont invariablement plus impliqués dans le crime que d'autres, et cela ne devrait pas surprendre ».

Il a ajouté qu’« il était naturel que les agents des forces de l’ordre soient plus méfiants vis-à-vis des Israéliens éthiopiens que vis-à-vis des autres citoyens », ajoutant cette phrase incroyable consistant à blâmer la victime : « nous essayons aujourd'hui de ramener la confiance de la communauté [israélienne] éthiopienne dans la police, mais la route est encore longue ».

En réponse à la logique raciste de ce qui semble être la surveillance excessive des noirs en Israël, 350 jeunes juifs éthiopiens ont signé une déclaration qui a été envoyée au chef d'état-major de l'armée israélienne. Ils n’accompliraient pas leur devoir de réserve militaire tant que la police continuerait de traiter les membres de leur communauté de manière raciste et violente, prévenaient-ils.

À LIRE : Légitimer le racisme en Israël en dix étapes

« Nous en avons assez des exigences de l'État à notre encontre, écrivaient-ils, et de rester engagés dans ce contrat entre l’État et nous, un contrat qui dit que nous sommes des citoyens ayant des obligations mais pas des citoyens ayant des droits égaux […] Nous exprimons notre mécontentement par le biais d’actions organisées de désobéissance civile... ».

La couverture médiatique de cet acte courageux de désobéissance a été minimale, surtout si on la compare à la visibilité accordée à un objecteur de conscience qui avait refusé en 2016 de servir dans l’armée en signe de protestation contre l'occupation des Palestiniens.

Efrat Yerday, chroniqueuse, militante et membre du conseil d’administration de l'Association des juifs éthiopiens, explique : « Les juifs éthiopiens servent 15 % de plus que toute autre communauté qui participe à l'armée […] Le silence de l'establishment et des médias autour de cette lutte est la preuve de la menace qu’elle représente... ». Elle ajoute que si les objecteurs de conscience de gauche sont considérés par le gouvernement et le public comme des personnes n’ayant pas tous leurs esprits, les Ethiopiens de la classe ouvrière peuvent susciter beaucoup de soutien.

3. Mutinerie contre l'armée ?

En novembre 2016, 86 jeunes combattants nouvellement recrutés par l’armée sont arrivés à leur base de recrutement et ont refusé d'accepter l'unité à laquelle ils avaient été affectés. Ils se sont ensuite organisés via Facebook.

Leur objection a été si vive que l'armée a réagi de manière disproportionnée, arrêtant la moitié d’entre eux et envoyant l'autre moitié en prison. Un porte-parole de l'armée a déclaré que cette dernière n'avait jamais vu un tel acte de désobéissance massive.

Un porte-parole de l'armée a déclaré que cette dernière n'avait jamais vu un tel acte de désobéissance massive

Cette fois-ci, cependant, les médias ont réagi en accordant à l’affaire une vaste couverture. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont les rapports étaient formulés, tous les médias décrivant essentiellement les faits comme une mutinerie.

Bien qu'il soit clair que la soi-disant mutinerie impliquait seulement un petit nombre de jeunes soldats qui voulaient une unité de combat plutôt qu’une autre, la simple idée de s'organiser à l'avance, d’adresser des exigences à l’armée et de la remettre en question est en soi une fissure dans le système.

4. Les mères de l'armée brisent le silence

Ofek Buchris, officier supérieur de l'armée, a été accusé d’harcèlement sexuel sur des soldates. Les réactions de nombre de ses amis et partisans ont inclus une campagne de dénigrement contre les femmes qui avaient porté plainte. Alors que les détails d'une éventuelle négociation de peine commençaient à émerger, de nombreux observateurs croyaient qu'il recevrait une punition légère pour l'admission de crimes moins graves. La sentence est due ce mois-ci.

Même certains de ceux qui n'ont pas soutenu ses actions ont affirmé qu’il faudrait toutefois lui reconnaître le mérite d’avoir fait du bon travail dans l'armée. Ce type de soutien – terrible – a même reçu un nom : la ristourne du héros.

Son comportement a également suscité une opposition, notamment celle de 37 mères de soldates qui ont mis en ligne une chanson qui a été partagée massivement sur les réseaux sociaux. Toutes les chanteuses venaient de Maccabim-Reut, une banlieue aisée habitée par des familles de militaires. Leur ville a été classée numéro 1 en 2016 pour son pourcentage élevé de jeunes hommes servant dans l'armée (oui, un tel classement existe en Israël).

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On y voit les mères chanter à leurs filles et leur promettre de les protéger contre les hommes qui pourraient les harceler sexuellement. Elles veulent une armée morale : avec courage, elles soutiennent leurs filles et s’opposent, théoriquement, à leurs maris, à leurs voisins, à leurs fils et à leurs frères. Ces mères ont reçu un accueil chaleureux de la part des médias et de la société pour ce qui a été vu comme un acte de soutien maternel – mais qui pouvait aussi être considéré comme un acte de défi.

Le silence a été rompu : ce type de protestation n'a jamais été aussi clairement entendu au sein de la société juive majoritaire.

Relier les points

L’année 2016 a connu d'autres événements de désobéissance civile et de protestation. Ceux que j'ai choisis ici étaient surprenants en raison de l’identité de ceux qui ont protesté ou de la réaction des autorités et des médias.

En reliant les points entre ces événements mineurs, nous pouvons apercevoir une nouvelle image de la critique contre le pouvoir en provenance de lieux inattendus. Dans une société extrêmement obéissante et patriotique, c'est sans doute un bon signe.

Michal Zak est éducatrice politique et spécialiste du dialogue judéo-palestinien. Elle réside dans la communauté judéo-palestinienne de Wahat al-Salam – Neve Shalom, en Israël.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Roni Alsheich, le commissaire de police israélien dont les commentaires sur les Israéliens éthiopiens en août 2016 ont choqué (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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