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Euro 2020 : deux visions du Royaume-Uni s’affrontent

La sélection de Gareth Southgate incarne la vision d’un Royaume-Uni multiculturel que le Premier ministre Boris Johnson est déterminé à anéantir
Le sélectionneur de l’équipe d’Angleterre Gareth Southgate et le Premier ministre britannique Boris Johnson (illustration : Hossam Sarhan pour MEE)

Imaginons la scène. Harry Kane, le capitaine de l’équipe nationale d’Angleterre, remporte avec ses coéquipiers la finale de l’Euro contre l’Italie ce dimanche et son équipe devient championne d’Europe. Le Premier ministre britannique Boris Johnson, qui a exploité le succès inattendu de la sélection anglaise jusqu’à la dernière goutte, les invite aux célébrations habituelles.

Boris Johnson a exploité tous les aspects du triomphe sportif de l’Angleterre pour glorifier son propre projet politique

Rassemblés autour de Harry Kane, les héros se rendent à Downing Street et se laissent photographier devant la célèbre porte d’entrée. Et tous posent le genou à terre.

Ce geste antiraciste a gagné en popularité depuis que le joueur américain de football américain Colin Kaepernick l’a effectué durant l’hymne américain il y a cinq ans. Il a expliqué qu’il ne pouvait pas être debout pendant l’hymne national, ne souhaitant pas afficher sa fierté pour le drapeau d’un pays qui opprime sa population noire. 

Ce message visait directement Donald Trump, alors en passe de devenir président des États-Unis, et sa célébration de la suprématie blanche. Martin Luther King avait été le premier à poser le genou à terre peu de temps avant son assassinat en 1968.

Depuis le meurtre barbare de l’Afro-Américain George Floyd l’an dernier à Minneapolis, ce geste est devenu un trait caractéristique du mouvement Black Lives Matter. Depuis l’été dernier, poser le genou à terre au début des matchs est une seconde nature pour les footballeurs évoluant en première division anglaise.

Les membres du Parti conservateur de Boris Johnson ont toutefois vivement critiqué cette prise de position. Pour beaucoup d’entre eux, Black Lives Matter est un mouvement « marxiste » qui s’oppose fondamentalement aux « valeurs britanniques » que défend Boris Johnson.

L’attaquant anglais Raheem Sterling (à gauche) pose le genou à terre avant un match de l’UEFA Euro 2020 au stade de Wembley à Londres, le 29 juin (AFP)
L’attaquant anglais Raheem Sterling (à gauche) pose le genou à terre avant un match de l’UEFA Euro 2020 au stade de Wembley à Londres, le 29 juin (AFP)

Aussi, lorsque le sélectionneur anglais Gareth Southgate a fait savoir que ses joueurs poseraient le genou à terre au début des matchs, la colère des conservateurs a été immédiate. La secrétaire d’État à l’Intérieur Priti Patel, qui a construit sa carrière en attisant les guerres culturelles anglaises, a dénoncé une « politique du geste » et refusé de condamner les supporters anglais qui ont hué les joueurs de l’équipe nationale lorsque ces derniers ont posé le genou à terre. « Ils ont le droit de choisir de le faire, pour être honnête », a-t-elle soutenu.

Une sombre contradiction

Boris Johnson a également refusé de condamner ceux qui ont hué les joueurs, tandis que son porte-parole officiel a déclaré aux journalistes que « le Premier ministre s’intéress[ait] davantage aux actes qu’aux gestes ».

Cette position a reçu le soutien de la presse conservatrice : ainsi, selon le journal The Times, ce geste « a arrêté de servir son objectif et, désormais, divise plutôt qu’il n’aide ».

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Le député conservateur Brendan Clarke-Smith est allé plus loin en attribuant au mouvement Black Lives Matter des « motivations sinistres », notamment « écraser le capitalisme, priver la police de financements, détruire la famille nucléaire et attaquer Israël ». Un autre député conservateur, Lee Anderson, a déclaré qu’il boycotterait les matchs. 

Il y a donc une sombre contradiction au cœur du soutien de Boris Johnson à l’équipe d’Angleterre.

D’un côté, par opportunisme, le Premier ministre (qui, en privé, ne s’intéresse guère voire pas du tout au football) est déterminé à tirer le maximum d’avantages politiques, comme le montre une série de photos sur lesquelles il pose soigneusement avec un maillot de football floqué du numéro 10.

De l’autre, la sélection de Gareth Southgate, réfléchie et empreinte de bonnes manières, en est venue à incarner la vision d’un Royaume-Uni multiculturel et inclusif que Boris Johnson est déterminé à anéantir. L’ancienne star du football anglais Gary Neville a mis le doigt sur la différence entre les deux hommes en décrivant Gareth Southgate comme une personne « respectueu[se], humble, qui dit la vérité, tout ce qu’un chef devrait être ».

Aux frontières du racisme

Ainsi, imaginons un instant la rencontre entre Boris Johnson et Raheem Sterling, attaquant vedette de l’Angleterre, si l’Angleterre venait à remporter l’Euro 2020 et que l’équipe était invitée à Downing Street. Né en Jamaïque, Raheem Sterling nettoyait les toilettes des hôtels avec sa mère Nadine lorsqu’il était enfant ; pour lui, rien n’a été facile.

Pas moins de six joueurs de l’équipe d’Angleterre sont d’origine caribéenne. Combien d’entre eux auraient été autorisés à entrer au Royaume-Uni sous la politique anti-immigration de Priti Patel ?

Son histoire personnelle cauchemardesque lui a permis de comprendre ce que signifie être la cible d’abus à caractère racial.

Boris Johnson, en revanche, est un expert en matière d’abus à caractère racial. Il a insulté les noirs en les traitant de « piccaninies » (« négrillons ») et évoqué leur « sourire en forme de pastèque ». Il a utilisé l’insulte raciste « coon » (« nègre ») à six reprises dans l’un de ses livres. Il a comparé les femmes portant la burqa à des « boîtes aux lettres ». Il a défendu le colonialisme britannique en Afrique.

Les avis sont partagés quant à savoir si Boris Johnson correspond à la définition classique du raciste, c’est-à-dire à quelqu’un qui croit en une hiérarchie des races, avec normalement la race blanche au sommet. Mais il ne fait aucun doute qu’il emploie des expressions racistes, un langage islamophobe et – au moins à une occasion – des tropes antisémites.

Et il ne fait aucun doute que le fait d’évoluer aux frontières du racisme l’a servi dans sa quête des sommets de la politique. Il peut également être pertinent de relever que le conseiller spécial de Boris Johnson chargé de la société civile et des communautés, Samuel Kasumu, a démissionné en début d’année. 

Deux visions

Pas moins de six joueurs de l’équipe d’Angleterre sont d’origine caribéenne. Combien d’entre eux auraient été autorisés à entrer au Royaume-Uni sous la politique anti-immigration de Priti Patel ?

Deux visions de l’Angleterre s’affronteront si l’épopée de Harry Kane et des Three Lions les mène à Downing Street. Peut-être que cette cérémonie sera sobre, dans le pur style britannique. Harry Kane, Raheem Sterling et les autres serreront la main du Premier ministre et en resteront là.

Peut-être pas.

Après tout, Boris Johnson a exploité tous les aspects du triomphe sportif de l’Angleterre pour glorifier son propre projet politique. Pourquoi les footballeurs anglais devraient-ils à leur tour se laisser transformer en faire-valoir ? Mais nous prenons là de l’avance sur l’histoire. Un peu trop d’avance.

Gareth Southgate et sa troupe de héros devront tout d’abord battre l’Italie dimanche soir. Et toute la nation les encouragera.

- Peter Oborne a reçu le prix du meilleur commentaire/article de blog en 2017 et a été élu meilleur journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a écrit pour Middle East Eye. Il a également été nommé Chroniqueur britannique de l’année en 2013. Il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph en 2015. Son dernier livre, The Assault on Truth, a paru en février 2021. Il a précédemment publié de nombreux ouvrages dont Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.

Article complété par les recherches de Mahdi Mustafa et Meryl Lim.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Peter Oborne won best commentary/blogging in both 2022 and 2017, and was also named freelancer of the year in 2016 at the Drum Online Media Awards for articles he wrote for Middle East Eye. He was also named as British Press Awards Columnist of the Year in 2013. He resigned as chief political columnist of the Daily Telegraph in 2015. His latest book is The Fate of Abraham: Why the West is Wrong about Islam, published in May by Simon & Schuster. His previous books include The Triumph of the Political Class, The Rise of Political Lying, Why the West is Wrong about Nuclear Iran and The Assault on Truth: Boris Johnson, Donald Trump and the Emergence of a New Moral Barbarism.
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