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Les enfants des membres de l’EI n’ont commis aucun crime. Pourquoi les punir ?

Détenus dans des conditions difficiles dans le désert syrien, des milliers de femmes et d’enfants ont été privés de leurs droits alors même qu’ils avaient besoin d’aide
Deux fillettes à al-Hol, un camp géré par les forces kurdes où sont incarcérés les proches des combattants du groupe État islamique (EI), dans le nord-est de la Syrie, le 3 mars 2021 (AFP)

En mars dernier, dans le désert du nord-est de la Syrie, une jeune présentatrice de la télévision arabe a pénétré dans le camp d’al-Hol pour montrer la réalité de la vie des familles détenues des combattants présumés de l’État islamique (EI).

Des tentes sont disséminées dans le désert, n’offrant aucune intimité ou commodités. La journaliste a essayé de parler avec des femmes, qui ont fui devant la caméra. Puis elle s’est approchée d’enfants qui l’observaient avec curiosité. 

Ils ne savent pas ce que c’est que d’être un enfant. Ils savent seulement qu’ils sont punis pour un destin qu’ils n’ont pas choisi

Un enfant lui a dit qu’il ne voulait pas lui parler parce qu’elle avait « une arme noire » (son micro, il n’en avait jamais vu auparavant). Un autre enfant lui a dit qu’il ne lui parlerait pas parce qu’elle n’était pas voilée et que, par conséquent, c’était une infidèle. La présentatrice lui a alors demandé : « Pourquoi suis-je une infidèle ? »

Ayant confirmé le postulat qu’elle était apparemment venue vérifier, la présentatrice a continué à importuner les enfants jusqu’à ce qu’ils lui jettent des pierres.

Ce n’était pas une scène de film, mais une vidéo diffusée par une grande chaîne arabe. Mettons de côté les erreurs journalistiques et l’approche partiale et imaginons ce que vivent les femmes et les enfants dans ce camp au quotidien.

Les péchés de leurs parents

Le camp d’al-Hol abrite environ 60 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, soumis aux dures conditions du désert, été comme hiver. L’ONU et les ONG internationales fournissent de la nourriture, de l’eau et des soins médicaux de base tandis que les Forces démocratiques syriennes (FDS) gardent le camp pour empêcher les détenus de s’échapper.

Mais qui sont les détenus ? Ont-ils commis des crimes ? S’agit-il de combattants ou de civils ? Ont-ils été traduits en justice et condamnés, ou bien ont-ils été arrêtés simplement parce qu’ils étaient associés avec quelqu’un qui a rejoint une organisation terroriste, peut être contre leur gré ?

Les milliers d’enfants en âge d’aller à l’école dans le camp, dont certains sont orphelins, ont peu d’opportunités éducatives. Ils sont en outre affectés par le traumatisme des batailles et les histoires de perte d’êtres chers partagées par leurs parents et amis. Ces enfants sont punis pour les péchés de leurs parents, sans considération pour le droit international ou les conventions concernant les droits de l’enfant.

Une petite fille porte une ration de nourriture dans le camp syrien d’al-Hol, le 11 mai 2021 (AFP)
Une petite fille porte une ration de nourriture dans le camp syrien d’al-Hol, le 11 mai 2021 (AFP)

En 2019, la coalition internationale dirigée par les États-Unis a célébré sa victoire contre l’EI après avoir éliminé ses derniers bastions. Mais est-ce que la politique de la coalition, qui reposait uniquement sur la force, était la bonne ? A-t-elle véritablement détruit les racines du problème ou ne s’agissait-il que d’une solution superficielle ?

Est-ce que ces pays cherchent vraiment à comprendre pourquoi, en premier lieu, tant de jeunes femmes et hommes ont renoncé à la stabilité sécuritaire et économique des pays européens pour se rendre sur un champ de bataille dangereux ?

La réponse de surface de l’« extrémisme islamiste » n’explique pas tout. En Europe et aux États-Unis, de nombreux immigrés connaissent une crise identitaire, ils ont l’impression de ne pas appartenir à des communautés qui ne les acceptent pas pleinement. Ils se sentent mal, seuls et pas acceptés par les autres, ce qui les pousse vers la radicalisation.

Devoir moral

Supposons un instant que les milliers de femmes et d’enfants du camp d’al-Hol nourrissent des idées radicales. Est-ce que la communauté internationale n’a pas le devoir moral de les aider à s’en débarrasser, comme il aiderait à guérir une maladie physique ?

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Les groupes terroristes attirent les opprimés, misant sur leur douleur et leur peur et promouvant leur désir de revanche. En Syrie, l’EI a tiré avantage d’un environnement profondément troublé dans lequel de nombreuses personnes ont souffert des horreurs de la guerre, de l’emprisonnement, du déplacement et du décès de leurs proches.

Malheureusement, les camps où les enfants des combattants de l’EI sont désormais parqués créent une nouvelle génération de personnes opprimées et vulnérables. Ces enfants portent un stigmate social qui les hantera longtemps. Ils ont vu le monde les priver de leurs droits alors même qu’ils en avaient le plus besoin.

Beaucoup de ces enfants ont peu de beaux souvenirs, voire aucun ; ils n’ont pas de documents officiels, aucun pays ou gouvernement ne se soucie d’eux. Ils ne savent pas ce que c’est que d’être un enfant. Ils savent seulement qu’ils sont punis pour un destin qu’ils n’ont pas choisi.

Certains de ces enfants pourraient un jour chercher à se venger d’un monde qui les a laissé tomber. Cela pourrait alimenter une nouvelle vague de terrorisme, aussi vicieuse et sanglante que la réalité dans laquelle ces enfants grandissent. Nous devons soit admettre que ce moment pourrait arriver, soit œuvrer aujourd’hui à corriger cette injustice majeure.

- Kenda Hawasli dirige l’unité sociale du Syrian Dialogue Centre. Ses recherches sont axées sur la société civile, les réfugiés et les femmes.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Kenda Hawasli is the director of the Social Unit at the Syrian Dialogue Centre. Her research interests focus on civil society, refugee, and women's issues
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