Tariq Ramadan est toujours présumé innocent, jusqu’à preuve du contraire
Deux affaires impliquant l’islamologue Tariq Ramadan déchaînent, depuis plusieurs jours, les chroniques de tous les journaux. Outre le fait que deux femmes aient porté plainte, peu de couverture est donnée à la plainte déposée en sens inverse par l’universitaire suisse pour dénonciation calomnieuse, ce dernier réfutant toute accusation à son encontre. Quoiqu’il en soit, il existe visiblement deux temporalités : celle des médias et celle de la justice.
Car, en effet, au regard du droit, Tariq Ramadan est toujours présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Or, les réseaux sociaux se sont mis en émois, cherchant, un par un, les amis ou collègues scientifiques de Tariq Ramadan pour leur soutirer un « Tariq est coupable » ou « Je me désolidarise de Tariq ». Cet appétit soudain est alimenté par ceux « qui le savaient déjà » et qui ne l’ont, étonnamment, jamais évoqué.
Le principe de la présomption d’innocence est bon à garder dans les tiroirs puisque les réseaux sociaux semblent clairement appliquer la présomption de culpabilité et se comporter en qualité de juge d’instruction. Quoiqu’il en soit, si on devait reprendre les termes de la secrétaire d’État à l’Égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, Twitter n’est pas un tribunal de droit commun et ne remplace pas un dépôt de plainte. Il faut donc se rappeler qu’en tout lieu, qu’il soit ou non à l’origine des faits qui lui sont reprochés, pour l’heure, Ramadan est considéré comme innocent.
Pourquoi demander aux musulmans d’élever la voix contre un éventuel (si cela est confirmé par le tribunal) scandale sexuel affectant Tariq Ramadan ? Évidemment que les musulmans seront tout aussi outrés que les autres Français si cela est avéré
Par ailleurs, cette traque à la prise de parole publique des supporteurs de Tariq Ramadan doit cesser. Rares sont les personnes qui savent tout de l’intimité de l’autre. Ni les universitaires, ni les amis de Ramadan ne partagent leurs nuits avec ce dernier ou encore ses moments les plus intimes. Or, les faits reprochés relèvent de l’intime et susciter une réaction du corps enseignant ou des amis est complètement contreproductif. Quel ami ou quel membre du corps enseignant apporterait son soutien à Tariq Ramadan si tous les faits étaient avérés ? Tant que ceux-ci ne le sont pas, la seule chose qui peut être dite est d’attendre patiemment l’issue des procédures en cours.
L’autre réaction ubuesque est celle consistant à chercher une réaction des musulmans de France. Ramadan est un islamologue, conférencier et professeur d’université. À ce titre, il propose une certaine vision de l’islam, contre laquelle on peut être en désaccord. Mais pourquoi demander aux musulmans d’élever la voix contre un éventuel (si cela est confirmé par le tribunal) scandale sexuel affectant ce dernier ? Évidemment que les musulmans seront tout aussi outrés que les autres Français si cela est avéré. Mais, outre que rien n’est avéré, ce n’est pas aux musulmans de France que revient la responsabilité des agissements des représentants de leur foi. C’est une responsabilité individuelle et sociétale.
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Si Tariq Ramadan n’est pas une idole pour beaucoup, soyons clairs, il n’en demeure pas moins que la société doit respecter l’idée de l’État de droit qui semble, tous les jours, voler un peu plus en éclats. Qu’il s’agisse du burkini ou de Tariq Ramadan, le respect de l’État de droit est primordial.
Par ailleurs, le droit français protège, à raison, les individus qui sont accusés d’avoir commis un délit en leur permettant d’avoir accès aux accusations et de se défendre dans le cadre d’une procédure équitable. Twitter ne présente aucune garantie procédurale puisque ce sont les tribunaux qui doivent les assurer. Il revient en conséquence à tout un chacun de ne pas porter atteinte aux réputations – tant des victimes que des mis en cause – en s’acharnant sur l’un ou sur l’autre en utilisant des procédés humiliants.
La Déclaration des droits de l’homme, les grands principes qui gouvernent notre nation et la Convention européenne des droits de l’homme nous interdisent de créer une présomption de culpabilité. Des années de souffrance et de bataille nous ont permis d’acquérir ce droit qui nous est cher. Qu’il s’agisse de Tariq Ramadan ou de qui que ce soit d’autre, l’heure n’est pas venue d’y renoncer.
- Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur et conférencier spécialiste des questions d’islam et de laïcité. Il a publié, au cours du mois d’octobre 2017, le livre Outils pour maîtriser la laïcité», aux éditions La Boîte à Pandore.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : l’islamologue Tariq Ramadan lors d’une conférence à Paris le 7 avril 2012 (AFP).
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